Aux risques de la protection des EnfanceS…

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Mon ami Saül Karsz et ses collègues m’ont invité à intervenir aux XXVIèmes Journées d’Étude et de Formation du réseau Pratiques Sociales. Elles abordent la question de la protection de l’enfance avec le titre suivant « Aux risques de la protection des enfanceS » Le S est en majuscule, car il faut bien reconnaitre que les enfances sont multiples. Leurs origines et parcours différents justifient que l’on ne parle pas de l’enfance au singulier.

Un sujet délicat et difficile à aborder.

Quand on parle d’une situation de protection, chacun y va de son point de vue, de son analyse avec souvent des opinions teintées d’émotions. Parfois, si on n’y prend garde, inconsciemment, resurgit l’enfant que nous avons été avec ses craintes et ses révoltes. Ceux qui ont vécu ou connu la maltraitance verront des solutions à l’image de ce qu’ils auraient souhaité que l’on fasse pour eux-mêmes. D’autres, de façon mécanique, tenteront d’appliquer des procédures qui rassurent. Le débat est alors piégé, car nous avons tous des filtres particuliers liés à notre histoire, nos expériences professionnelles et nos formations.

Faut-il pour autant penser que le débat sur ce sujet est impossible ? Je ne le crois pas. Mais il faut pour cela une grande honnêteté d’esprit et accepter que la situation clinique particulière ne vaut jamais généralité.

Une certitude, toutefois, « les enfances sont plurielles ». Nullement les mêmes selon les sociétés, les classes sociales et les appartenances culturelles, les quartiers d’habitation, et bien entendu les familles…  De ces différentes dimensions, les interventions de terrain ont à travailler les imbrications, à raisonner la complexité, à relever les enjeux subjectifs chaque fois mobilisés.

Une épée de Damoclès en permanence sur la tête

Il nous faut aussi (re)visiter la notion de protection (que l’on pourrait aussi mettre au pluriel). La protection est une réponse à des risques identifiés. Mais problème : nous vivons dans un monde où le risque est partout, dans nos têtes aussi, tout comme dans la vie réelle non sublimée par les réseaux sociaux. Bref, il faut protéger les enfants, face à des risques dont ceux-ci se protègent tout seuls parfois, des risques à leur propos qui peuvent être fantasmés, des risques aussi liés aux protections mises en œuvre, tout comme des risques qui justifient que l’on intervienne…

Il faut protéger, c’est un impératif dans une société qui ne parvient pas à comprendre que le risque zéro n’existe pas. Les services sociaux sont mis à l’index dès qu’un drame survient et qu’il est médiatisé. Qu’avez-vous fait ? Ou plutôt que n’avez-vous pas fait face à la mort où l’hospitalisation d’un enfant victime de violences intrafamiliales. Il y a là un curieux renversement de situation. Ce ne sont pas les auteurs de violences, voire de crimes qui sont les coupables (d’autant qu’ils ne sont pas aussitôt jugés) non, ce sont les institutions et les professionnels en charge de la protection de l’enfance qui sont accusés d’avoir permis que le drame survienne en n’ayant « rien fait » ou du moins agi de façon inconsidérée.

Faut-il le rappeler ? Les professionnels de la protection de l’enfance travaillent en permanence avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Je me souviens ce que me disait ma collègue Annick, qui travaillait à l’Aide Sociale à l’Enfance. « Quoique que nous fassions, nous avons tort. Nous sommes accusés de ne rien faire, ou de trop en faire, mais jamais de bien faire ».  Non seulement le risque est sur les têtes des professionnels, mais en plus les moyens dont ils disposent restent limités malgré les constats accablants. (manque de moyens humains, manque d’assistantes familiales, centres d’accueil saturés sans place, visites médiatisées qui se multiplient, sans compter le nombre d’IP, d’informations préoccupantes qui a explosé depuis la crise sanitaire).

Comment s’étonner alors que les services ne parviennent plus à recruter ? On parle de perte d’attractivité des métiers, mais c’est aussi le manque d’attractivité des institutions dont il est question. La crise ne vient pas que des professionnels

Et l’enfant dans tout ça ?

Si l’on prend le temps de l’écouter – ce temps qui manque tant – nous constatons qu’il a souvent beaucoup de choses à nous dire, car vous le savez bien, chaque enfant est unique, tout comme la situation dans laquelle il se trouve. Pour autant, comment ne pas dévoyer sa parole ? Ne pas l’interpréter en ne filtrant que ce que nous pouvons entendre ? L’écoute de l’enfant est une pratique qui nécessite formation, mais aussi humilité. Nous tentons de faire au mieux, sans prétention, dans la discrétion, loin du tumulte médiatique et des injonctions qui arrivent de toute part. Oui, le métier est difficile, c’est pourquoi il nous faut nous former et sortir de la cocotte-minute pour prendre le temps de penser (panser) nos pratiques, de voir ce qu’il est possible d’améliorer chacun à son échelle.

N’hésitez pas à vous inscrire à ces journées de formations proposées par Pratiques Sociales pendant 3 jours du 14 au 16 novembre. Vous y rencontrerez les intervenants suivant : Patrick Alécian pédopsychiatre, Alice Casagrande consultante, Rodolphe Constantino avocat, Charles Férard directeur, MarieAleth Grard présidente d’ATD Quart Monde, Saül Karsz philosophe sociologue formateur, Jacques Mikulovic directeur de formation, Brigitte Riéra exenseignante, Salvatore Stella président du CNAEMO et AnneSophie Vozari sociologue. J’interviendrai également lors de la première journée dans une « discussion » à plusieurs (Marie-Aleth Grard et Alice Casagrande) avec pour thème : « Pourquoi protéger ? ».

 

Dessin de Fernand Deligny 1943 « graines de crapules »

 

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