Cet article vous propose de découvrir comment Alain Supiot, professeur émérite au Collège de France, analyse la lente érosion de l’État social orchestrée par les majorités politiques successives. Il nous plonge dans les mécanismes qui ont conduit à ce qu’il nomme « la sécession des riches », tout en explorant les conséquences pour les services publics et la solidarité nationale. Un regard incisif sur les défis actuels et futurs de notre modèle social.
« Notre système de santé est très régulièrement au bord de la rupture. Il s’installe à bas bruit une médecine à deux vitesses », dit-il. Après avoir assisté à la sécession des riches qui accumulent des fortunes considérables. Si on regarde la France, les milliardaires ont augmenté leur fortune de 236 milliards d’euros pendant la crise sanitaire, explique sur RFI Quentin Parinello, porte-parole d’Oxfam France. Et on voit bien que ce n’est pas grâce à l’activité économique des entreprises dans lesquelles ils ont des parts, mais bien parce qu’il y a eu un soutien public sans précédent en réponse à la crise, notamment par injection de ces centaines de milliards d’euros dans les marchés financiers. » Après la sécession des riches, une nouvelle rupture est apparue : celle des actifs qui ne vont plus voter et qui désormais désertent les emplois mal payés, peu reconnus et pourtant essentiels dans le pays.
Nous vivions par le passé avec des systèmes de solidarité auxquels tous contribuaient selon leurs ressources et dont tous bénéficiaient selon leurs besoins. Cette redistribution concernait toute la population étant entendu que les plus riches contribuaient à la hauteur de leurs impôts à rééquilibrer les différences d’accès aux soins et à l’éducation notamment. Ils finançaient les services publics, seules richesses des plus pauvres qui étaient ainsi protégés et bénéficiaient des mêmes droits. Cette égalité de traitement est en train de disparaitre.
La fin de la redistribution ?
Le but n’est plus d’assurer en amont une distribution plus juste entre les revenus des actionnaires et ceux des salariés, ou ceux des traders et ceux des infirmières. Il est dorénavant d’assurer en aval une redistribution minimale en direction des « perdants » de la globalisation. À partir de là, on passe d’un modèle de sécurité sociale fondé sur le principe de solidarité à une protection sociale inscrite caractérisée par une pratique caritative.
Il ne s’agit plus d’augmenter les salaires, générateur d’autonomie, mais plutôt d’aider au cas par cas diverses catégories de population sans régler les problèmes de fond liés à la faiblesse des revenus du travail : c’est ainsi qu’est apparu la prime d’activité payée par l’État pour pallier l’insuffisance des salaires. « Sous la présidence de François Hollande, on a ainsi réservé aux familles les plus pauvres le bénéfice de certaines prestations en privant toutes les autres, qui ont ainsi été les seules à payer le prix des économies réalisées. La solidarité entre ménages avec et sans enfants disparaît, tandis que ressurgit la charité publique qui a précédé l’invention de l’État social ». Bref, c’est un retour aux pratiques solidaristes du 19ᵉ siècle.
Un État « charitable »
L’État distribue des chèques, des bons alimentaires ou d’essence, plutôt que de rétablir la primauté des revenus du travail sur ceux de la rente, ou d’imposer aux multinationales et aux grandes fortunes de contribuer au financement des systèmes de solidarité dans notre pays d’où elles tirent leurs profits.
La diminution des impôts, la disparition de la taxe d’habitation, la diminution de la TVA, l’abandon de la redevance télé, voilà autant de pertes de ressources pour les services publics, qu’elles soient gérées au niveau de l’État que des collectivités territoriales. « Ainsi prises en tenaille entre la baisse de ses ressources et l’augmentation de ses bonnes œuvres, la République sociale s’endette ». Les services publics ne souffrent pas seulement de cet étranglement financier, mais aussi de la gouvernance par les nombres mise en place en 2001 à l’unanimité des partis de gouvernement avec la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
Pendant ce temps-là, les salariés s’épuisent. Ils ne comprennent plus le sens de leur travail qui a été réorganisé dans une logique comptable où tous les actes posés sont quantifiés et visent à être rationalisés. Cela vaut pour l’hôpital comme pour les services sociaux. Continuons avec ce que dit Alain Supiot : « La dernière trouvaille imaginée pour faire face à cette crise des vocations est de recruter des contractuels, beaucoup mieux payés que les agents statutaires, et de précipiter ainsi la dislocation des collectifs de travail.
Ajoutons à cela les constats de l’économiste Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il explique les causes de l’enrichissement des plus riches pendant la crise sanitaire. C’est » une des conséquences du ‘quoi qu’il en coûte’ qui est très nette » dit-il tout en rappelant que ce n’était pas « volontaire » de la part du gouvernement. On le sait maintenant, la fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie. « Si on regarde en France, les milliardaires ont augmenté leur fortune de 236 milliards d’euros pendant la crise sanitaire de 2021, expliquait sur RFI Quentin Parinello, porte-parole d’Oxfam France. Et on voit bien que ce n’est pas grâce à l’activité économique des entreprises dans lesquelles ils ont des parts, mais bien parce qu’il y a eu un soutien public sans précédent en réponse à la crise, notamment par injection de ces centaines de milliards d’euros dans les marchés financiers. »
Vers la disparition des services publics ?
« Une fonction publique compétente et désintéressée est la colonne vertébrale de l’État » nous rappelle Alain Supiot. « La défendre, ce n’est pas défendre le statu quo, ni fermer les yeux sur les risques de sa dégénérescence corporative » …/… « Dans une telle division du travail entre le marché et l’État, le modèle social français est condamné à disparaître » prédit-il.
Bien évidemment, l’État n’est pas une entreprise et ne doit pas être géré comme telle. En effet, sa mission est de garantir la cohésion sociale, permettre à tous de vivre dignement. Les services publics de plus en plus privatisés sont-ils appelés à disparaitre à plus ou moins long terme ? Va-t-on assister à une résistance organisée pour les défendre et les promouvoir ? Il est grand temps de se mobiliser sur ce sujet.
lire Alain Supiot avec :
- Le travail n’est pas une marchandise Contenu et sens du travail au xxie siècle
- La gouvernance par les nombres : conférence du collège de France
Photo : Alain Supiot sur le site internet du Collège de France
Une réponse
Bonjour,
Assistante Sociale, puis Directrice d’ESMS pour autistes, j’ai quitté mon poste en 2019 suite à la reprise de l’association employeur via l’Ars par un grand groupe de l’économie solidaire dans lequel l’usager est la pompe à argent. Écœurée de cette exploitation permanente de l’usager et des salariés par une réduction des services pour les uns et une baisse des qualifications des postes pour les autres, j’ai gagné une direction d’une petite association qui vivote sans indemnisation de l’État, mais où les valeurs humaines priment sur la rentabilité… Cette éthique n’est plus considérée par les managers, tous issus des mêmes filières ENA, Sciences Politiques ou HEC… qui n’ont aucune connaissance du terrain, mais la connaissance des indicateurs, PPT ou tableaux…
Le secteur sanitaire ou le secteur médico-social ou social doivent rester humains sinon les ORPEA ou KORIAN vont continuer de s’enrichir sur le dos des usagers.
Adhérente à l’ANAS depuis longtemps, après 34 de DEAS, formée à l’ENS, je crois en cette profession dont les bases m’aident au quotidien dans mes fonctions de Direction et milite pour faire valoir le respect de l’usager.