Cette étude menée sur plus de 200 évaluations interne et externe et plus particulièrement sur les 30 travaux les plus fouillés a permis d’apporter un certain nombre d’enseignements.
Il y eut d’abord les méthodologies d’évaluation de l’ANESM. Elles affichaient comme ambition le partage d’une culture commune de la performance, l’appropriation des meilleures pratiques et l’intégration des démarches de progrès. Mais, leur importation du monde de l’entreprise induisit une logique procédurale privilégiant les indicateurs quantitatifs et renforçant le contrôle bureaucratique.
Puis vint le référentiel de la Haute autorité de santé (HAS). Il se présenta sous la forme d’un listing composé de 3 chapitres, décomposés en 38 objectifs, eux-mêmes répartis en 157 indicateurs. Il imposa une seule et même logique standard pour les 40 000 établissements et services sociaux et médico-sociaux. Chacun d’entre eux ne doit pas être évalué à partir de sa singularité, de son mode de fonctionnement spécifique ou du public qu’il accompagne, mais à partir de normes figées et édictées hors-sol sans réflexivité possible.
Les effets sur le terrain ? La coupe est pleine ! Désubjectivation par la formalisation des procédures. Vision réductrice et simplificatrice des problématiques complexes et multiformes. Identification des déficits de protocole sans en interroger le sens. Appréhension de la qualité limitée aux seuls actes techniques. Contrôle de la conformité par la vérification d’une suite de prestations détachables des personnes à qui elles s’adressent.
Ces évaluations ignorent la contextualisation, l’informel et le collectif. Elles fétichisent le déroulement des actions menées. Elles prescrivent de l’uniformité et standardisent les pratiques. Elles privilégient les indicateurs de mesure. Elles proposent des variables simplistes et disjointes. Elles exigent des preuves à fournir. Elles requièrent une traçabilité écrite et des notations chiffrées, des cotations par critères ainsi que des rapports standardisés et numérisés.
Pour mener ce travail, les évaluateurs se doivent de recouper les points de vue de la direction, de l’encadrement, des professionnels et des personnes accompagnées. Chacun est questionné sur les mêmes critères pour mesurer le degré d’information, d’intégration et d’application des procédures dans les pratiques. Les entretiens sont très directifs, suivant un format imposé par des questions fermées. L’administration de la preuve l’emporte sur la parole tenue. La seule chose qui compte, c’est la conformité aux normes et la mise en œuvre de procédures écrites.
La mobilisation des salariés et la redynamisation des collectifs autour de finalités pensées, explicitées et élaborées, ne va guère être favorisée par cette simplification outrancière édictée par des instances surplombantes. Le participatif est ici instrumentalisé pour produire de l’impératif. Les personnes sollicitées sont transformées en informateurs de tableaux, en exécutants de cases à cocher, en répondants de normes à vérifier. Leur parole propre est mise à distance, leur spécificité est niée, leur créativité ignorée.
Face à ce triste et pathétique tableau, dix initiatives alternatives sont décrites dans la dernière partie du livre. Elles démontrent qu’il est possible de réorganiser autrement les équipes, de multiplier les espaces d’échange et de renouveler les regards sur les pratiques et les résolutions de problèmes. Le bénéfice apporté tant aux professionnels qu’aux personnes accompagnées est réel, même s’il n’est pas produit par cette gigantesque usine à gaz que constitue le référentiel HAS. Pour en mesurer l’efficacité il suffit de rappeler le palmarès de la responsabilité sociale des entreprises réalisé à l’aide de ce type de référentiel. En 2022, à ORPEA avait obtenu un score de 69,7 sur 100 et KORIAN de 80,1. Démonstration éclatante de la haute pertinence de ces mesures !
- Enquête sur l’évaluation dans les établissements sociaux et médico-sociaux Laurent Fraisse, Marie-Catherine Henry, Jean-Louis Laville, Anne Salmon, Éd. érès, 2025 ; 213 p.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »
Il est signé Jacques Trémintin
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