Il y a des mots qui ne trompent personne dans le champ du travail social. Des alertes que l’on ne peut ignorer sans renier ce qui fait le cœur de nos métiers : la protection des plus vulnérables. Celle que j’ai reçu récemment et que je me permets de relayer dans cet article concerne la disparition programmée du S.A.P.S.A.D et du Centre Maternel du C.D.E.F du Vaucluse tels qu’ils existent actuellement. Explications :
La « réorganisation » : un euphémisme qui ne trompe personne
Le 5 septembre dernier, la Direction du C.D.E.F 84 (Centre Départemental Enfance et Famille du Vaucluse) a annoncé aux professionnels la fermeture de ces deux services publics au 31 décembre 2025 : le S.A.P.S.A.D (Service d’Accueil de Protection de Soutien et d’Accompagnement à Domicile) et le Centre Maternel. Deux structures essentielles qui accompagnent 73 enfants et familles en situation de vulnérabilité.
Mais attention ! Le 18 septembre dernier, lors du Conseil d’Administration, il a été expliqué aux responsables de l’établissement qu’il ne s’agissait pas d’une « fermeture » mais d’une « réorganisation ». Cette sémantique administrativo-politique ne change pourtant rien à la réalité : des services existants disparaissent. Les professionnels sont dans le brouillard, et surtout, 73 familles n’ont toujours aucune information sur l’avenir de leur accompagnement.
Ce silence vis-à-vis des familles est particulièrement inacceptable. Comment peut-on décider de l’avenir de l’accompagnement d’enfants vulnérables sans même prendre la peine d’informer leurs parents ? Ce déni de considération interroge sur la façon dont est pensée aujourd’hui le service public de la protection de l’enfance dans le Département du Vaucluse.
Des équipes pluridisciplinaires au service des plus fragiles
Pour comprendre ce qui est en train de disparaître, il faut savoir de quoi on parle concrètement. Ces deux services représentent bien plus que des lignes budgétaires : ce sont des équipes de professionnels engagés, formés, expérimentés, qui interviennent au quotidien auprès des familles.
- Le S.A.P.S.A.D : un accompagnement intensif et disponible 24h/24
Ce service intervient dans le cadre de mesures d’assistance éducative. C’est à dire lorsque la situation familiale est tellement dégradée qu’elle interroge le maintien d’un enfant à son domicile. L’objectif ? Créer les conditions de ce maintien, ou accompagner le retour d’un enfant après un placement.
L’équipe du S.A.P.S.A.D, c’est 5 éducateurs spécialisés, une éducatrice de jeune enfant, deux assistantes de services sociaux, deux assistantes familiales, une psychologue, une coordinatrice et un chef de service. Un ratio remarquable qui permet un accompagnement réellement personnalisé et intensif.
Et ce n’est pas tout : le service fonctionne tous les jours de l’année et reste joignable 24h/24 grâce à une astreinte éducative en soirée, nuit, week-ends et jours fériés. Quand on connaît la réalité des crises familiales – qui ne choisissent ni leur jour ni leur heure – on mesure l’importance vitale de cette disponibilité.
Les professionnels interviennent principalement par des visites à domicile hebdomadaires. Ils proposent aussi tout un arsenal d’outils adaptés : entretiens individuels, activités parents-enfants, visites médiatisées, aide à l’organisation familiale, et même des hébergements préventifs ou d’urgence en cas de nécessité de mise à l’abri.
- Le Centre Maternel : accompagner les mères isolées vers l’autonomie
Le Centre Maternel du C.D.E.F 84 accueille des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans. Ce sont celles qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique. Il s’agit souvent de femmes majeures ou mineures, en grande difficulté, parfois victimes de violences conjugales.
Ce type de structure, prévu par l’article 221-2 du Code de l’Action Sociale et Familiale, doit obligatoirement exister dans chaque département. Pourquoi ? Parce qu’il remplit des missions essentielles : préparer avec la mère l’arrivée de l’enfant, définir un projet de vie pour acquérir une autonomie, favoriser le lien mère-enfant, aider matériellement à l’organisation de la vie quotidienne, et favoriser l’insertion sociale et professionnelle.
Les centres maternels ne sont pas de simples hébergements : ce sont des lieux de vie où une équipe pluridisciplinaire (éducateurs spécialisés, conseillers en économie sociale, éducateurs de jeunes enfants, auxiliaire de puériculture, psychologue, chef de service) accompagne au quotidien ces femmes et leurs bébés dans la construction d’un avenir viable.
Quand les lois restent lettre morte
L’ironie de cette situation saute aux yeux. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, renforcée par celle du 7 février 2022, indique avec force l’importance de la prévention, de la continuité des parcours et de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces textes ne sont pas de simples déclarations d’intention : ils constituent le socle législatif de nos politiques publiques.
Mais sur le terrain vauclusien, ces principes semblent « s’évaporer » au contact de la « réalité budgétaire ». Il est question de réorganisation, d’optimisation, de rationalisation. Des termes qui masquent mal une vérité dérangeante : la prévention est sacrifiée sur l’autel des économies à court terme.
La prévention n’est pas un luxe, c’est un investissement
Rappelons une évidence que certains décideurs semblent avoir oubliée : la prévention n’est pas une option coûteuse. Elle est le fondement même d’une politique de protection de l’enfance efficace et, osons le mot, économique. Agir en amont permet d’éviter les ruptures, les placements traumatisants qui marquent à vie, les situations de crise qui mobilisent des moyens démesurés. Chaque euro investi dans la prévention, correspond à des dizaines d’euros économisés sur la gestion des crises ultérieures. Sans parler du coût humain pour les enfant qui est quant à lui inestimable.
Les professionnels du S.A.P.S.A.D qui interviennent dès les premiers signes d’alerte le savent bien. Ils tissent patiemment ces liens de confiance avec les familles, Tout comme les équipes du Centre Maternel qui, jour après jour, accompagnent ces jeunes mères vers l’autonomie et construisent avec elles les bases d’une parentalité sécurisante.
Des professionnels dévalorisés, des enfants en danger
Derrière ces décisions administratives, il y a des réalités humaines qu’on ne peut ignorer :
Des enfants fragilisés par leur histoire, qui risquent de perdre leurs repères et la continuité de leur accompagnement. Pour eux, chaque rupture est une blessure dans un parcours qui devient chaotique. Que deviendront les familles actuellement suivies par le S.A.P.S.A.D ?
Des mères isolées et leurs bébés accueillis au Centre Maternel, qui perdront un lieu de vie sécurisant et un accompagnement vers l’autonomie. Ces femmes, souvent victimes de violences, qui reconstruisent leur vie et leur parentalité dans un environnement protégé et bienveillant.
Des professionnels investis et compétents – éducateurs spécialisés, psychologues, CESF, assistantes familiales, chefs de service… Ils ont choisi ces métiers par engagement et portent leurs missions avec détermination. Comment se sentent-ils aujourd’hui ? Sans doute dévalorisés par une logique administrative qui ne les entend pas ou par une décision politique qui les ignore. Ces professionnels qui assurent des astreintes de nuit et de week-end, qui se rendent disponibles 365 jours par an pour les familles.
Un choix politique qui ne dit pas son nom
Ne nous y trompons pas : dans ce type de réorganisation, ne s’agit pas simplement d’une question de « gestion » ou de « réorganisation ». C’est un choix d’orientation politique qui se dessine ici. Celui de considérer – ou non – que la protection de l’enfance justifie un financement à hauteur des besoins. Les appels d’offre invitent certes à diminuer les coûts mais aussi les moyens.
Ce choix reflète une vision de la société : investit-on dans la prévention et l’accompagnement humain de proximité, avec des équipes dimensionnées pour un vrai suivi (un éducateur pour cinq enfants au S.A.P.S.A.D, c’est rare et précieux !), ou préfère-t-on gérer les crises une fois qu’elles éclatent, au prix fort, humainement et financièrement ? Que signifie cette « réorganisation » concrètement ? Va-t-on maintenir cette disponibilité 24h/24 qui fait la force du service ? Va-t-on garantir aux mères isolées du Centre Maternel un hébergement et un soutien équivalents ?
L’importance d’agir
Les professionnels du S.A.P.S.A.D et du Centre Maternel lancent un appel qui mérite d’être entendu et relayé largement. À ce jour, seules les équipes professionnelles ont été informées de la fermeture imminente de leurs services, tandis que les familles restent dans l’ignorance. (Les professionnels, dans un souci de transparence et de travail de confiance avec les familles, ont du prendre la responsabilité d’annoncer aux familles les possibles changements à venir en ce qui concerne leur accompagnement quotidien). Ce silence constitue un véritable déni de considération, tant pour les enfants et les familles que pour les professionnels.
Est-il encore temps de revenir sur cette décision ? Il est encore temps d’assumer pleinement la responsabilité politique qui incombe aux élus départementaux. Il est encore temps de dire que certains de la protection de l’enfance ne sont pas négociables et ne peuvent être découpés et transformés de façon brutale. Les structures qui assument des missions de services publics doivent être préservés, valorisés et renforcés. Les enfants et leurs familles ne peuvent pas être les variables d’ajustement de nos budgets départementaux. Ils ne peuvent pas être oubliés de nos choix collectifs.
Et maintenant ?
La mobilisation doit être collective. Professionnels, syndicats, associations, élus locaux, citoyens : tous ceux qui croient encore à l’importance du service public de protection de l’enfance doivent faire entendre leur voix. Parce que, quand même, derrière les « réorganisations » administratives, il y a des vies d’enfants. Il y a ces éducateurs disponibles pour une famille en crise. Il y a cette jeune mère qui apprend à s’occuper de son bébé dans un cadre sécurisant. Il y a ces enfants qui, grâce à un accompagnement intensif, peuvent rester chez eux plutôt que d’être placés.
Note : Si vous êtes concerné par ce type de situation, (professionnel, parent ou citoyen) que ce soit dans le Vaucluse ou ailleurs, n’hésitez pas à vous manifester et à partager votre témoignage. La force du collectif reste le meilleur atout face à ces décisions qui mettent en péril l’essence même du service public.
Photo : mobilisation.servicepublic84



Une réponse
Bonjour, vôtre article est le reflet de notre société. Nous sommes dans le même cas dans le département 77. Nos équipes sont en restructurations…. on divise les professionnels sur des antennes diverses en nous fesant croire qu’il s’agit d’un rapprochement de notre domicile. Les familles sont des pions que l’on change de référent alors qu’il a été travaillé un lien pendant dès semaines. Nous vivons le même cauchemar à la demande du département et sans ménagement de notre direction. Le travail social est peu être trop proche des familles mais les politiciens sont vraiment trop loin….tout est une question d’argent et non humaine.