Pendant une petite semaine, je peux profiter des délices de la grasse matinée et des ballades à pied… Voici donc pendant quelques jours des rééditions de textes et autres sujets abordés il y a déjà quelques temps et qui peuvent mériter d’être sortis des oubliettes… Comme par exemple ce regard sur la pauvreté et le positionnement ds travailleurs sociaux….
…Les travailleurs sociaux constatent dans leur quotidien professionnel des disparités en matière de traitement des exclusions car être pauvre ne veut pas forcément dire être exclu même si la quasi totalité des exclus sont pauvres économiquement.
L’exclusion peut se décliner en plusieurs domaines avec notamment :
- Les exclus économiques : Les personnes sans travail qui vivent avec les minimas sociaux. Parmi ces exclus, certains sont stabilisés dans la pauvreté. Ils survivent en alliant contrats précaires et systèmes d’entraides avec parfois le soutien d’une économie souterraine mal évaluée. Mais cette population dispose de revenus tellement bas que le moindre « accident de parcours » provoque un endettement difficilement surmontable et l’entrée dans un engrenage de dépendances à l’égard des services sociaux qui distribuent des aides extralégales selon les différentes déclinaisons des politiques départementales.
- Les exclus du territoire : Ces exclus sont les victimes de tentatives d’éloignement du regard des « inclus ». Les dispositifs d’aide sont peu où mal adaptés. Il y a les familles et personnes sans papiers, entrées illégalement ou devenus illégaux suite à une évolution de la législation Française. Les « sans papiers » font appel aux services sociaux des départements ainsi qu’aux associations caritatives et pour lesquels peu de solutions existent, ni ne sont mises en œuvre. On peut ajouter dans cette catégorie les gens du voyage mais aussi les SDF « clochardisés ». Les exclus des territoires sont aussi des exclus économiques : c’est principalement la catégorie de population la plus stigmatisée et pour laquelle il n’y a peu ou pas de réponse institutionnelle sinon la volonté de les voir déplacées ( être ailleurs )
Les personnes issues de ces 2 grandes familles d’exclus constituées de parcours fort différents sont confrontées à des difficultés assez insurmontables en matière d’accès au logement et à l’emploi.
Comment les travailleurs sociaux peuvent-ils apporter des réponses adaptées à ces situations ?
1- Avec un positionnement éthique et déontologique qui engage les professionnels
Ainsi par exemple Le code de déontologie de l’ANAS dès son 1er article traite de la dignité de la personne : Cette dignité est respectée lorsque la personne est abordée en tant que sujet dans le cadre d’une reconnaissance de sa parole, des choix qu’elle pose, mais aussi de l’acceptation par le professionnel de la culture et de l’histoire de celle-ci. Si la déontologie pose des limites et un cadre dans l’exercice d’une profession, ( ici celle des assistantes sociales) il est plus difficile pour les travailleurs sociaux qui ne disposent pas d’un code de déontologie de définir une ligne de conduite professionnellement argumentée. Ils doivent alors faire appel à des principes éthiques explicites. Retenons ceux qui sont suffisamment explicites pour aider à la conduite de l’intervention : Principe de non nocivité et d’utilité potentielle, Principe de recueil du consentement éclairé, Principe de respect de la confidentialité, Principes d’égalité et de prise en compte des différences, Principe de responsabilité et principe de conviction mais aussi Principe de réalité..
2- Avec un positionnement de co-construction des actions et des projets avec les usagers
Mais au-delà même des positionnements éthiques et déontologiques nécessaires pour expliciter un positionnement professionnel, il est aussi important de proposer une articulation en cohérence avec les orientations engagées par le Conseil Supérieur de Travail Social. Ces orientations validées dans le cadre d’un groupe de travail intitulé « le travail social confronté aux nouveaux visages de la pauvreté et de l’exclusion » (une synthèse ici ) rappellent que le monde a changé et qu’il est nécessaire « d’inverser notre rapport à la pauvreté par un accompagnement social à refonder sur des pratiques d’alliance ». Le terme « alliance » souligne l’impératif qu’il y a pour le travail social de se doter de méthodes d’intervention qui soient orientées vers des logiques de promotion sociale individuelles et collectives. S’allier, précise le rapport, c’est mutualiser les richesses, consolider les forces sociales nécessaires permettant le changement. Quitter la logique de défiance, instillées depuis plusieurs années par médias interposés et travailler d’arrache pied à la restauration du lien social.
3- Avec le développement d’interventions à caractère collectif de type développement social local et travail social collectif
Les travailleurs sociaux sont aujourd’hui confrontés à une logique de gestion de la pauvreté qui a montré ses limites. Ils sont principalement utilisés pour mettre en oeuvre des politiques d’action sociale à travers des dispositifs administratifs qui font écran à la résolution des problèmes. Ces dispositifs favorisent une forme de « consumérisme » des aides sociales et évitent que les questions de fond soient traitées. Il renvoie en permanence la responsabilité de sa situation à l’individu. C’est pourquoi seul un engagement des travailleurs sociaux en vue de mobiliser les capacités des personnes leur permettant d’agir solidairement et collectivement peut permettre d’apporter des réponses portées par du sens. Ce travail sur les compétences des personnes et le développement de leur pouvoir d’agir sur les situations qui les préoccupent devrait être une priorité de l’accompagnement social qu’il soit individuel ou collectif.
Il s’agit aussi de développer une dynamique partenariale en donnant place à la population concernée. En effet aujourd’hui nous assistons à une dérive en France du partenariat qui est utilisé comme une panacée sans tenir compte de la méthodologie à engager pour qu’il respecte les usagers et les règles de droits. Ainsi, au nom du partenariat des échanges d’information se multiplient sans que les personnes rencontrées en soient informées. Ces pratiques renforcent des clivages. Il reste encore à mettre en oeuvre et à développer un partenariat respectueux de la personne, qui l’associe et tient compte de sa parole.
Actions collectives, développement social local, travail social de groupe ou communautaire, les travailleurs sociaux sont de plus en plus invités à s’engager dans une démarche en vue de permettre la reconnaissance des besoins des personnes les plus exclus afin qu’elles puissent trouver une place dans la société. Il s’agit aussi de faire échec à une forme d’individualisme qui se traduit par une impossibilité de mettre en oeuvre les solidarités traditionnelles. Il s’agit aussi de lutter contre les « idées reçues » qui développent la peur de celui qui est différent, peur alimentée par une insécurité permanente du sujet face à son avenir (1).
En conclusion :
La situation actuelle est difficile pour les travailleurs sociaux. Le discours des médias est alimenté par des arguments simplistes qui invalident pour une grande part les méthodologies d’intervention des professionnels. Pour autant ils ont des réponses à proposer, des compétences à mettre en œuvre mais aussi des réussites à faire valoir. Encore faut-il que les travailleurs sociaux en aient conscience et qu’ils parviennent à se « dégager des politiques de dispositifs ». Ils sont légitimes au regard de la population la plus exclue (2). C’est pourquoi il leur faut oser non seulement prendre la parole mais aussi mettre en acte ce pour quoi ils ont été formés en aidant la population exclue à se mobiliser collectivement pour ne plus subir les discriminations qui l’accablent et la maintiennent dans une situation de dépendance inacceptable dans une société de Droits.
notes
(1) Lire à ce sujet le remarquable ouvrage de Robert CASTEL « L’insécurité sociale, qu’est-ce qu’être protégé ? », Coll. La République des idées, Ed. Le Seuil, Paris 2003
(2) Une étude d’opinion réalisée en 2007 commandée par la FNARS auprès de l’organisme CSA laisse apparaitre les travailleurs sociaux comme les personnes en qui les personnes exclues font le plus confiance. Cette confiance à augmenté de 18% en 9 ans passant de 64% à 82% il est à craindre aujourd’hui que cette « confiance » se soit dégradée.
crédit photo : Jean-Louis Zimmermann sous creative common