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Saül Karsz : « L’autorité n’est pas un problème »

Saül Karsz, sociologue et philosophe bien connu des travailleurs sociaux (et bien au-delà), président et fondateur du Réseau Pratiques Sociales, nous invite à repenser notre conception de l’autorité. Loin des lamentations sur sa prétendue « crise », il nous propose une analyse nuancée et stimulante de ce concept souvent mal compris. Qu’est-ce que l’autorité réellement ? Comment se manifeste-t-elle dans notre société et dans pratiques ? Pourquoi est-il important de la considérer comme une question complexe plutôt qu’une évidence ? Et agir en conséquence ! Un entretien réalisé avec l’aimable concours de Claudine Hourcadet.

Le sociologue démystifie les idées reçues sur l’autorité, explorant ses multiples facettes et son rôle dans les dynamiques sociales. Il nous amène à réfléchir : l’autorité est-elle vraiment en crise, ou assistons-nous plutôt à une évolution de ses formes et à une contestation de ses nombreux excès ? Comment pouvons-nous aborder l’autorité de manière éthique et progressiste dans le travail social ? Quelles sont les pistes pour une pratique plus éclairée et respectueuse ? Cet entretien apporte des perspectives nouvelles et des outils de réflexion précieux pour tous les professionnels du travail social, les éducateurs, et plus largement, pour quiconque s’intéresse aux enjeux de l’autorité dans notre société.

Bonjour Saül, vous semblez partir du principe que l’autorité est considérée aujourd’hui comme un problème ?

K : La question est de savoir qui a intérêt à la considérer comme un problème et de quoi ce problème est en fait le cache-sexe. C’est pourquoi je ne pars pas d’un principe, mais bien plutôt d’une déduction à partir des traitements actuels de la question de l’autorité. Traitements qui sollicitent l’autorité à tout bout de champ sans nullement la définir : sait-on de quoi on parle ? Sur quoi alors est-il question d’intervenir ? À ce propos, lors des prochaines Journées d’Etude et de Formation de Pratiques Sociales sur ce sujet, je compte présenter tout d’abord une cartographie de la question de l’autorité afin d’en détailler les éléments constitutifs qui participent à une définition possible. Je vais ensuite explorer quelques pistes opérationnelles.  Que peut-on faire avec la question de l’autorité aujourd’hui dans le champ du travail social, mais pas seulement…

Comment définiriez-vous le statut paradoxal de la question de l’autorité ?

SK : Il faut cesser de traiter l’autorité en termes d’évidence, de se désoler de sa perte ou de souhaiter son retour sans dire de quoi il s’agit aussi précisément que possible. C’est en termes de question qu’il faut l’aborder et la déployer. Question complexe, sans doute, car de multiples registres objectifs et subjectifs interviennent, sans que la question de l’autorité se réduise à telle ou telle caractéristique en particulier. Impossible d’aborder ce sujet si soi-même, on n’est pas convaincu de sa complexité, de la multiplicité de ses registres : aborder la question de l’autorité, plus encore si on entend apporter quelques réponses, implique de se coltiner (détailler, articuler) cette multiplicité. Car elle n’existe pas en deçà ni au-delà mais en leur sein.

Quels sont les éléments clés de votre définition de l’autorité ?

SK : Dans mon exposé initial à l’occasion des journées d’étude qui débutent le 14 octobre prochain à Villeurbanne, j’ai l’intention de tenter un inventaire des éléments de définition. De quoi l’autorité est-elle composée ? Il apparaît que l’autorité est ce qui fait référence dans un domaine social, éducatif, familial, politique. Fait référence, installe un réglage plus ou moins instable des asymétries subjectives et objectives. L’autorité présuppose qu’il y ait différences sociales, politiques, de genre, de vocation, d’intérêts matériels et symboliques, différences qui ne sont pas toutes automatiquement antagonistes, irréconciliables. Mais toute autorité comporte un volet de contrainte violente plus ou moins nuancée, tempérée, pratiquée et/ou évoquée mais jamais-jamais absente. Ce qui n’implique pas non plus que toute autorité est acceptable ou qu’il faille s’y résigner…

Autant dire qu’il ne semble pas y avoir de société sans autorité, mais celle-ci est de nature très différente et poursuit des objectifs chaque fois particuliers. La véritable question, ce n’est pas celle de l’autorité, voire de l’Autorité, mais son genre, son fonctionnement, ses visées. Ceci dit entre parenthèses, une société sans asymétries – et par voie de conséquence sans autorité – n’a jamais existé et je ne vois pas comment ce serait possible. Cessons alors de la moraliser (bonne/méchante) : importent surtout ses modalités d’exercice, ses buts y finalités. Concrètement, passons de l‘Autorité, figure métaphysique et hors de portée, aux figures d’autorité, configurations socio-historiques, évolutives et modifiables.

Ensuite, l’autorité suppose une dialectique entre contrainte, imposition, répression et en même temps autorisation et récompense. Pas une ou autre de ces caractéristiques mais toutes à la fois. Plus encore, avant d’être un rapport subjectif, comme beaucoup l’affirment, les affaires d’autorité sont des affaires d’imposition, avec ou sans l’accord des sujets qui peuvent par ailleurs souhaiter ou détester, aucunement l’Autorité, mais certaines de ses formes et de ses figures. Chercher à rétablir L’Autorité à l’école, dans la famille, dans la société, consiste en fait à instaurer certaines modalités et à refouler d’autres modalités. Pas d’option genre « l’Autorité ou le Chaos » mais différents exercices d’autorité, différents intérêts poursuivis, différentes ressources mis en œuvre, différents bénéficiaires, différentes victimes. Au point que plus d’une fois, le chaos résulte de certains exercices de certaines autorités…

Quoi qu’il en soit, l’autorité s’impose – ça impose. Elle peut être effective (police, consigne étatique, décision par un service de placement d’un enfant) et/ou virtuelle, menace ou éventualité. En même temps, l’autorité suppose des consentements subjectifs, terme rendu célèbre dans d’autres contextes. Il convient de préciser cependant que le consentement nomme un spectre (non un acte) qui va de l’adhésion à la résignation, de l’acquiescement assez libre et entier à l’opportunisme et à la panique.

Quel rôle jouent les expériences infantiles dans notre compréhension de l’autorité ?

SK : Enfants, nous apprenons ce qu’autorité veut dire, donc dépendance, obéissance, soumission feinte ou effective. Famille et école excellent en la matière. Nous apprenons aussi, petit à petit, que ceux qui détiennent l’autorité dépendent à leur tour de nous, ceci constituant probablement le premier des « jeux de société ». Mais n’en déplaise à nos amis psy, l’enfance n’est certainement pas à l’origine de l’autorité, laquelle, au sein d’une famille, de la relation éducative ou ailleurs, se trouve elle-même façonnée, plus ou moins imbibée par des orientations politiques qui excèdent son espace scolaire ou familial immédiat.

Essentiel aussi de remarquer l’autorité comporte toujours des mises en question effectives ou possibles. Il n’y a jamais eu d’autorité sans contestation de l’autorité, quel que soit le système social, éducatif ou familial. Ce n’est donc pas un incident aléatoire, ni un indice de décomposition. La contestation de l’autorité est l’ombre portée de l’autorité réelle. « Chez nous, il n’y a pas de contestation » veut dire que la contestation se passe en sourdine, voire en rêves ou en lapsus, elle est à explosion différée !  Ce qui se passe aujourd’hui avec l’autorité prouve justement que des figures d’autorité existent et fonctionnent bel et bien, tout autant que leur contestation. Pas un accident de parcours, mais une condition d’existence. Et plus d’une fois un gage d’avenir !

Pourquoi est-il important de parler d’autorités au pluriel plutôt que d’autorité au singulier ?

SK : Virage indispensable : passer de l’autorité, avec ou sans majuscule – qui est le thème de la plupart des discours, qui cultivent la tautologie et débouchent sur des culs-de-sac – aux figures d’autorité. Aucun groupe, institution ou société ne cherche à restaurer l’autorité tout court. C’est faux ! Il s’agit toujours de restaurer certaines autorités, avec certaines orientations, certains occupants, certains adversaires. Passer donc de la métaphysique de salon aux conditions socio-historiques de fonctionnement.

Comment interprétez-vous la « crise de l’autorité » dont on parle tant aujourd’hui ?

SK : La crise de l’autorité, dont on se lamente tant aujourd’hui, est plutôt la crise d’un fantasme selon lequel l’Autorité existerait en soi et pour soi, à part. Ce que l’on conteste aujourd’hui, ce n’est pas l’autorité, personne ne conteste une entité métaphysique. En revanche, il y a des contestations plurielles des figures d’autorité plurielles. Ce sont des figures d’autorité et ceux qui l’exercent, pas forcément exemplaires, qui sont contestés.

La crise de l’autorité, c’est plutôt l’opposition entre les tendances conservatrices et les tendances laïcisantes à visée démocratique, dans des sociétés occidentales. Ladite crise est éminemment social, politique, historique. Que peut-on faire aujourd’hui avec la question de l’autorité ? Tenir compte, comme je l’ai dit plus haut, de sa complexité indépassable, quoique parfaitement analysable, y compris au cours des analyses des pratiques. Il ne s’agit donc pas de restaurer l’autorité, sauf d’un point de vue conservateur qui n’avoue guère l’autorité particulière qui lui importe.

Quelles sont vos recommandations pour une approche éthique et progressiste de l’autorité aujourd’hui ?

La contestation d’une autorité n’est jamais sans cause entendable, et à entendre au mieux. Ne pas trop se dépêcher de la justifier ou de la dénigrer – mais l’accompagner, tenter de la déchiffrer. Car les causes de la contestation de l’autorité ne logent jamais chez les seuls contestataires, mais aussi, peu ou prou, dans le fonctionnement même de l’autorité et de ceux qui l’incarnent. Ces derniers contribuent grandement à la contestation quand font de celle-ci un crime de lèse-majesté, et quand ne se méfient pas assez des suiveurs apparemment dévoués (Machiavel).

Autrement dit, ne pas se soumettre à l’autorité n’est pas, par définition, un péché mortel, cela peut même être un péché mignon ! Il s’agit également de résister à la dépolitisation des questions d’autorité. Chaque fois qu’elle n’est pas politiquement adjectivée (conservatrice, à visée démocratique ou autre), elle est dépolitisée et donc renvoyée dans les limbes. À la fois inabordable et insoluble, mais bel et bien implacable dans le réel des institutions et des pratiques. À défaut d’adjectivation politique et idéologique, les figures d’autorité avancent masquées, soucieuses non pas de l’autorité mais juste de la leur. Et c’est là qu’autorité et autoritarisme se confondent.

Tout cela pour dire que l’autorité n’est pas un problème à résoudre, mais un conglomérat de questions théoriques et pratiques à déchiffrer au cas par cas.

Merci Saül, rendez-vous les 14, 15 et 16 octobre prochain à Villeurbanne (Lyon) pour les journées d’études et de formation de Pratiques Sociales qui sintitulent « Faire autorité aujourd’hui ? » (il est encore possible de s’y inscrire via ce lien )

 

Photo : Saül Karsz (capture d’écran)


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Une réponse

  1. L’Autorité, les autorités, se légitiment par la justesse et la justice de leur mise en œuvre dans un contexte donné, non ?

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