Bonjour et bienvenue à cette revue de presse qui nous emmène au cœur de trois réalités françaises trop souvent tues : l’humiliation révoltante d’un enfant confié à l’Aide sociale à l’enfance à Paris, qui interroge profondément la manière dont travaillent certains éducateurs et éducatrices ; la vie quotidienne des femmes des territoires ruraux, dévoilée par une étude qui montre comment les distances, le manque de services et l’isolement rendent chaque inégalité plus lourde à porter ; et, enfin, un billet radio engagé qui raconte comment le regard porté sur la pauvreté a glissé de la solidarité vers la suspicion, alors même que les files d’attente devant l’aide alimentaire s’allongent. Sans oublier les multiples liens susceptibles de vous intéresser… Bonne lecture.
« C’est une sanction » : des éducateurs rasent les cheveux d’un enfant placé dans un foyer à Paris et le filment
Un article signé Aurélien Thirard pour Franceinfo / Radio France a révélé cette affaire qui fait honte au métier d’éducateur : un enfant de huit ans, confié à un foyer géré par une association de protection de l’enfance à Paris, a été humilié par ceux qui étaient censés le protéger. En février dernier, dans le 13ᵉ arrondissement, Eliott – prénom modifié – est assis, torse nu, sur une chaise quand une éducatrice lui rase le crâne, sous l’œil d’un collègue. Elle filme la scène et se permet même de surnommer l’enfant « double face » alors que la moitié de sa tête est déjà tondue. L’enfant ne sourit pas, se recroqueville, tandis qu’un autre enfant présent compare son apparence à celle d’un personnage de fiction, comme si cette violence pouvait devenir un spectacle anodin.
Le plus glaçant, c’est ce qui se joue ensuite sur la boucle WhatsApp professionnelle des éducateurs du groupe des 6-10 ans, où les vidéos sont diffusées. Les échanges montrent noir sur blanc que ni l’enfant ni sa mère n’ont donné leur accord et qu’aucun responsable n’a été consulté. Une éducatrice assume le geste en parlant ouvertement de « sanction ». Une partie de l’équipe semble mesurer la gravité de ce qui vient de se passer, rappelant qu’il ne s’agit pas d’un groupe « de potes ». D’autres cependant ironisent sur « l’aérodynamisme » du garçon ou le comparent à des personnages chauves de l’univers des super-héros. Dans ce qui ressemble à un huis clos numérique, l’humiliation devient objet de moqueries, presque un divertissement partagé. Ils n’ont pas honte ?
Les conséquences pour Eliott sont lourdes. Contraint de porter un bonnet pendant des mois, autorisé par sa maîtresse qui voit bien les moqueries et les coups infligés par ses camarades, l’enfant traverse cette période avec honte et tristesse. Sa mère, d’abord abusée par un mensonge évoquant une « erreur du coiffeur », puis par l’argument de prétendus poux refusés par les salons, ne découvrira la vérité qu’en visionnant les vidéos, plusieurs mois plus tard.
La réaction institutionnelle, elle, arrive bien tard. Elle se veut ferme. La mairie de Paris se dit consternée. Elle rappelle qu’aucun accord – ni celui de l’enfant, ni celui de la mère, ni l’argument des poux – ne peut justifier une pratique aussi humiliante. Elle a saisi la justice tout en se constituant partie civile. Une cellule d’appui et de contrôle est mobilisée, la mère a été encouragée à porter plainte, et plusieurs élus annoncent saisir le procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Dans ce foyer, des salariés actuels et anciens dénoncent aussi des violences psychologiques et des négligences. La question n’est plus seulement ce qui est arrivé à Eliott, mais ce que révèle cet épisode d’un système qui laisse des enfants déjà blessés devenir la cible de ceux qui devraient les réparer.
Le Media Social rapporte que jugeant cette vidéo « insupportable », la Haute-commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry, précise toutefois « qu’elle ne doit pas salir toute une profession qui, chaque jour, tient debout des enfants déjà fragilisés ».(lire l’article de France Info)
La suite de cette maltraitance manifeste par personne ayant autorité :
- Enfant placé tondu par des éducateurs : l’association qui gère le foyer de l’ASE se dit « profondément choquée », le parquet ouvre une enquête pour « violences volontaires » | Le Monde
- Indignations après la diffusion de vidéos montrant un enfant de l’ASE tondu par ses éducateurs | Le Média Social
Ce que vivent (vraiment) les femmes rurales
La ruralité ne crée pas des inégalités entre les femmes et les hommes, mais elle les amplifie. C’est ce que montre une enquête de l’Institut Terram menée avec l’association Rura et présentée mardi dernier. Le site Maire Info s’en fait l’écho.

Cette étude, intitulée « Ce que vivent (vraiment) les femmes rurales », a été menée par Salomé Berlioux et Félix Assouly. Elle nous donne à voir la réalité quotidienne de 11 millions de femmes vivant dans les territoires ruraux français, longtemps tenues hors champ du débat public. Elle montre que la ruralité ne crée pas les inégalités de genre, mais les renforce, en transformant chaque droit théorique en parcours d’obstacles très concret : distances, manque de services, faiblesse des transports, fragilités économiques et isolement. Savez vous par exemple que près de la moitié des féminicides recensés chaque année ont lieu dans les communes rurales ?
Le rapport décrit une population loin des clichés de la « femme de paysan » : les femmes rurales sont socialement diverses, souvent plus âgées que les urbaines, et très nombreuses à connaître des carrières discontinues. Elles subissent des temps partiels, elles ont une épargne limitée et une forte dépendance financière à leur conjoint. Ces femmes assument l’essentiel du travail domestique et logistique, dans un contexte où chaque démarche prend plus de temps et coûte plus cher. Conséquence : cela alourdit leur charge mentale, réduit drastiquement leur temps pour elles-mêmes et pèse sur leur santé psychique.
L’étude montre aussi combien leurs trajectoires se jouent tôt : orientation scolaire contrainte par l’éloignement des lycées et des formations, entrée rapide dans le couple vécu à la fois comme norme sociale et amortisseur économique. S’y ajoutent un accès plus difficile aux soins, à la garde d’enfants, aux dispositifs de droits et de protection, notamment face aux violences conjugales, dans des territoires dans lesquels l’anonymat est rare et les structures spécialisées éloignées. Pourtant, Les femmes qui vivent en zones rurales sont aussi au cœur de la vie associative, civique et familiale. Mais elles portent une surcharge silencieuse qui fragilise leur autonomie et leur capacité d’engagement.
Enfin, le rapport insiste sur ce qu’il nomme un « malus rural du genre » : partout, les femmes affrontent des mécanismes de domination comparables, mais en zones peu denses, les distances, le manque de services et la structure des marchés du travail rendent chaque inégalité plus dure et plus difficile à contourner. Pour les auteurs, aucune politique d’égalité entre les femmes et les hommes ne peut être crédible si elle continue d’ignorer ces réalités rurales, tant dans la conception des dispositifs que dans leur accessibilité concrète. (Lire le rapport Rura – Institut Terram )
Lire aussi
Faire la guerre aux pauvres…

La pauvreté était une grande cause nationale, elle est devenue un stigmate et un soupçon, affirment aujourd’hui les animateurs du Secours catholique. Claude Askolovitch Journaliste, en charge de la revue de presse sur France Inter en a fait récemment une tribune percutante que je ne peux que vous recommander.
C’est une charge frontale contre la manière dont le discours politique et médiatique traite aujourd’hui la pauvreté en France. Claude Askolovitch nous dit que la pauvreté est désormais devenue un soupçon, un stigmate, sous le mot martelé d’« assistanat ». Ainsi que les plus fragiles ne sont plus simplement oubliés, ils sont publiquement désignés comme un problème, presque comme un poids de trop pour une société qui se pense fatiguée de les entendre.
Claude Askolovitch ancre sa colère dans le présent le plus concret, à travers la collecte nationale des Banques alimentaires. Ses responsables constatent qu’il y a chaque année davantage de personnes qui demandent de l’aide et, en face, de moins en moins de denrées à distribuer. Il rapproche cette réalité silencieuse d’un climat de commentaires qui, du monde politique aux plateaux de télévision, répètent que « les pauvres font chier », pour reprendre l’écho amer d’une réplique de cinéma qu’il détourne vers la vraie vie sociale d’aujourd’hui. Ce glissement brutal du registre de la compassion vers celui de l’agacement dit, pour lui, quelque chose d’inquiétant sur l’état moral du pays.
La chronique n’est pas un reportage, mais un éditorial en forme de cri. L’éditorialiste prend parti sans fard pour ceux qui se retrouvent au bout de la chaîne, ceux qui font la queue devant l’aide alimentaire. Celles et ceux qui entendent, dans le même temps, qu’ils coûteraient trop cher, qu’ils abuseraient du système. En s’appuyant sur les mots mêmes du Secours catholique, il pointe une véritable inversion de la honte : ce ne sont plus les responsables politiques d’une société inégalitaire qui rougissent, mais les personnes pauvres elles‑mêmes, sommées de se justifier. Cette parole, courte mais dense, reste fidèle à ce qui fait la marque du chroniqueur de France Inter : une attention obstinée à ceux que l’on préfère ne pas voir, et une façon de rappeler que la violence sociale commence souvent par le vocabulaire. (lire et écouter la chronique dans son intégralité sur le site de Radio France)
Vite dit, vite écrit…
Ne manquez pas ce numéros du magazine Direction[s] de ce mois de décembre. Son sujet mis en avant porte sur l’intelligence artificielle dans le secteur social et médico-social. En effet l’IA est au cœur de tous les débats, et le secteur social n’y échappe pas. Elle commence à se déployer dans les structures, charriant avec elle de nombreux espoirs, des bénéfices déjà tangibles mais aussi de nombreuses inquiétudes. Les pouvoirs publics et les fédérations sont en ordre de marche pour accompagner ce que le magazine appelle « cette révolution ».
Lire aussi :
- Aide sociale à l’enfance : « Il y a une pandémie, pure et simple, de prostitution [des mineurs] » | France Inter
- La Fondation des femmes appelle à la création d’un observatoire national des féminicides| FranceInfo:
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- Constellation : un nouveau socle d’échanges de données pour le RSA | Départements de France
- L’Unccas défend la place des communes dans l’action sociale | UNCCAS
- Marseille : la ville renforce sa politique de solidarité face à la précarité | Maritima
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- La mairie de Koné en appelle au respect et à la bienveillance après l’agression d’une assistante sociale | Franceinfo Nouvelle-Calédonie La 1ère
- RSA : suivi précaire et sanctions sévères | La Brique
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- Avoir 20 ans et être à l’aide sociale : au Point jeunes de Genève, radeau des naufragés du passage à l’âge adulte | Le Temps
- Allocataires plus sanctionnés et angoissés, personnels déprimés : le RSA rénové fait des dégâts dans le Nord | Mediacités
- Accès aux droits sociaux : un foisonnement de démarches territoriales et des questionnements sur la coordination | Banque des Territoires
Ne manquez pas dans la presse professionnelle :
- Crise de la protection de l’enfance : « Les contraintes nous poussent à changer » | Le Média Social
- Article protection de l’enfance (réf. f7472501e_70fa_4662_8385_9767d928c474) | Le Média Social
- Minima sociaux : le nombre d’allocataires encore en hausse | ASH
- Un journal de bord pour étudiants en travail social | ASH
- Retard de croissance pour le service public de la petite enfance | La Gazette des communes
- Contre le non-recours, des communes inventives aux moyens limités | La Gazette des communes
Cette semaine sur l’ e-communauté « inclusion sociale » du CNFPT (inscrivez-vous c’est entièrement gratuit pour tous, sans pub ni captation de vos données).
- L’IA a pris leur emploi
- Femmes en milieu rural : des inégalités amplifiées et encore trop invisibles
- Lettre d’information documentaire Inclusion sociale du 15 décembre 2025
- « Faire la guerre aux pauvre », une tribune percutante de Claude Askolovitch sur France Inter
- Violences économiques faites aux femmes – édition 2025
Vous êtes allé(e) au bout de cette revue de presse ? Bravo et merci ! Merci aussi à Michelle Flandre pour son soutien.




Une réponse
Concernant l’affaire « … les éducateurs rasent les cheveux d’un enfant placé…
Inadmissible !! Il faut sanctionner!! Toutefois, il faut aussi sanctionner les cadres institutionnels et ceux qui décident de la formation professionnelle tant au niveau du DEES , que formation continue tout au long de sa pratique éducative.