Bonjour et bienvenue à cette revue de presse, où les sujets de société et les questions éthiques prennent le devant de la scène. Nous plongeons d’abord dans une controverse sur la protection de l’enfance, avec une enquête de Radio France sur la manière dont les signalements de harcèlement scolaire sont susceptibles se retourner contre les familles des victimes. Une enquête à prendre avec des pincettes. Ensuite, nous avons un sujet technique et juridique sur la distinction entre information préoccupante et signalement. Il est aussi question du rapport d’Oxfam sur les inégalités croissantes dans le secteur du logement. Cette revue de presse aborde d’autres sujets à travers des liens à cliquer. Installez-vous confortablement et… Bonne lecture !
Des parents d’enfants victimes de harcèlement scolaire ciblés par des enquêtes sociales
Comment peut-on justifier de telles pratiques ? Cet article de Franceinfo, rédigé par la cellule investigation de Radio France et Laetitia Cherel, nous montre comment les services sociaux sont détournés de leur mission au nom de la protection de l’enfance. Nous découvrons une réalité inquiétante sur la façon dont certains établissements gèrent le harcèlement scolaire. Cela commence avec l’histoire de Béatrice, une mère dont la fille Marie est victime de harcèlement au collège.
Le récit débute avec la réception inattendue d’une lettre de l’aide sociale à l’enfance. L’ASE convoque les parents pour une enquête suite à un signalement à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) concernant leur enfant. Cette enquête est la conséquence directe d’un signalement effectué par le collège de Marie, mais, ironiquement, non pas contre les harceleuses, mais contre ses parents. Le collège semble avoir retourné la situation, soupçonnant les parents de violences familiales.
L’article révèle un bras de fer qui s’ensuit entre les parents et l’équipe éducative du collège. Malgré les nombreux mails envoyés par la mère pour signaler le harcèlement de sa fille, l’équipe pédagogique ne réagit que tardivement et de manière inefficace, laissant la situation s’aggraver. L’état de santé de Marie se dégrade, allant jusqu’à l’auto-mutilation et l’évocation de pensées suicidaires. Ce n’est pas un cas isolé. La Cellule investigation de Radio France a identifié d’autres familles dans des situations similaires, où les parents, après avoir signalé le harcèlement de leurs enfants, se retrouvent visés par des enquêtes sociales.
Ces enquêtes se basent sur l’idée que les difficultés de l’enfant pourraient découler de problèmes familiaux, plutôt que de l’environnement scolaire. L’article aborde également le cas des enfants « HPI » (à haut potentiel intellectuel) ou atteints de troubles de l’attention, qui sont souvent cibles de harcèlement et dont les parents se retrouvent accusés de maltraitance. Un pédopsychiatre parisien témoigne de cette tendance à suspecter les parents d’être à l’origine des problèmes de leurs enfants.
Le ministère de l’Éducation nationale, contacté par la cellule investigation, affirme être conscient de cette réalité et la désapprouve. Cependant, la situation décrite dans l’article soulève de sérieuses questions sur les pratiques actuelles dans certains établissements et la manière dont les situations de harcèlement sont traitées, souvent au détriment des victimes et de leurs familles. (lire l’article de France Info)
Dans un post sur LinkedIn, Joran Le Gall ancien président de l’ANAS s’insurge et dénonce les conditions de réalisation de cette enquête : « Je viens de lire cet article de franceinfo » écrit-il. « Quelle honte pour le service public de l’information ! Un sujet (mal)traité par la « cellule investigation » du média de façon partiale, sans place au contradictoire (sauf Gabriel Attal mais l’ASE n’est pas de sa compétence, il aurait sans doute fallu le savoir). La protection de l’enfance décrite tel un système qui « cible », « vise », on croirait lire des écrits complotistes. Heureusement que les professionnels de l’enfance, malgré les difficultés qu’ils rencontrent, ont quant à eux davantage de rigueur, sinon les drames se multiplieraient ! »
Lire aussi :
Comprendre la frontière entre une information préoccupante et un signalement.
Juriste et pédagogue, Raymond Taube nous explique cette différence fondamentale dans un article publié par les ASH. Il est vrai que cette distinction est complexe et parfois floue. La protection de l’enfance implique la participation de tous les citoyens, notamment à travers la plateforme téléphonique 119. Cependant, l’IP et le signalement concernent principalement les professionnels de la protection de l’enfance et ceux qui collaborent avec eux. L’IP est adressée à un service du conseil départemental, souvent la CRIP, tandis que le signalement est fait au procureur de la République. Ces démarches, bien que guidées par des protocoles départementaux et l’article 375 du code civil, restent complexes en raison des nombreuses nuances et situations particulières.
L’article souligne que, bien que la hiérarchie au sein du Département puisse influencer la décision de transmettre une IP ou un signalement, la loi protège le travailleur social. Il agit de bonne foi, la loi lui accordant une immunité disciplinaire, civile et pénale. Cette protection juridique est essentielle, car la transmission d’une IP ou d’un signalement n’est jamais anodine et peut avoir des conséquences importantes, tant pour les personnes concernées que pour les professionnels impliqués.
Enfin, l’article aborde la question délicate de la levée du secret professionnel dans le cadre de l’IP et du signalement. Bien que nécessaire pour la protection de l’enfance, cette levée doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire à l’accomplissement de la mission de protection, respectant ainsi le principe du « secret partagé ». (je profite de ce résumé pour vous rappeler que le « secret partagé » n’existe pas en travail social. Les textes comme l’article 226-2-2 du CASF parlent de « partage d’informations à caractère secret » ce qui n’est pas la même chose. Il y aurait de quoi rédiger un article sur ce sujet) (Lire l’article des ASH)
Logement : Oxfam pointe des « inégalités à tous les étages »
Cet article signé Elena Jeudy-Ballini, JGPmedia pour la Banque des Territoires se penche sur un rapport d’Oxfam France qui met en lumière les inégalités croissantes dans le secteur du logement. Ce rapport souligne une évolution de la société vers une structure dominée par la rente et l’héritage, exacerbée par la crise actuelle du logement. En effet, la part du patrimoine hérité dans le patrimoine total des Français a considérablement augmenté, passant de 35% dans les années 1970 à 60% aujourd’hui. Oxfam critique la réponse technique et minimaliste apportée par le Conseil national de la refondation au problème du logement, estimant qu’elle ne prend pas en compte le problème essentiel des inégalités.
Le rapport pointe du doigt le désengagement progressif de l’État dans ce secteur, laissant le champ libre à des acteurs financiarisés et à une quête de rentabilité à tout prix. Cette situation est particulièrement préjudiciable pour les populations vulnérables, comme les étudiants et les personnes âgées, qui peinent à trouver un logement abordable. Le rapport dénonce également l’impact des niches fiscales qui favorisent les multipropriétaires et les investissements dans des résidences privées, au détriment de la construction de logements sociaux. La régulation des acteurs privés, notamment dans le cadre de la location de courte durée, est présentée comme un enjeu majeur pour le marché du logement.
Il met aussi en évidence l’endettement croissant des ménages français pour l’acquisition de leur résidence principale. La durée moyenne d’endettement est passée de 15,5 ans en 2000 à 22 ans. Cette situation est aggravée par la hausse des prix de l’immobilier, qui a augmenté de 160% depuis les années 2000, alors que les revenus n’ont progressé que de 29%. Cette déconnexion entre prix de l’immobilier et revenus exclut de facto les ménages les moins aisés du marché du logement. Oxfam propose plusieurs recommandations aux décideurs politiques, telles que la constitutionnalisation du droit au logement, le renforcement du service public du logement, et la limitation de la location de courte durée aux résidences principales. (lire l’article de la banque des territoires) (accéder au rapport d’OXFAM)
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Une réponse
Je réagis à cet article sur l’ASE, en rappelant que ce service n’a fait là que son travail. Ce n’est pas la première fois, (ni la dernière) qu’un signalement ou une information préoccupante est instrumentalisée dans un but malveillant. S’agit-il d’une manipulation de la part du collège ? Seule une enquête interne de l’éducation nationale permettrait de l’établir. Si c’est effectivement le cas, c’est effectivement scandaleux. Le risque est bien d’entacher de soupçons les futures infos préoccupantes en provenance de l’école. L’ASE n’a dans ce genre de situation qu’une seule solution : diligenter une évaluation. Elle est seule à même d’écarter tout risque. Que dirait-on si elle négligeait les vérifications auxquelles elle est tenue ? Quant à ce travail journalistique ne respectant pas le contradictoire, le secret professionnel empêche ce service d’avoir à étaler dans la presse la validation ou l’invalidation d’un éventuel danger. Je trouve que cette enquête est au contraire la bienvenue, du moins si elle devait permettre de clarifier d’éventuelles dérives et de les sanctionner. Jacques Trémintin (référent ASE pendant 28 ans)