Voici de nouvelles analyses sur l’exposition aux écrans des enfants de 3 à 11 ans scolarisés en maternelle et en élémentaire en France. Elles permettent de dresser pour la première fois un état des lieux représentatif de leur situation. La moyenne de temps passé devant des écrans relevée par l’enquête nationale Enabee, conduite par Santé publique France, est désormais d’une heure vingt‑deux minutes par jour chez les tout‑petits de trois à cinq ans. Elle grimpe à deux heures trente‑trois minutes chez les élèves de neuf à onze ans. Ces résultats sont le fruit d’une enquête menée il y a trois ans et publiée le mois dernier.
Cette progression linéaire est amplifiée les jours où l’école est fermée. Force est de constater que les écrans ne sont plus de simples outils ponctuels mais un compagnon quotidien dès le plus jeune âge. Le constat initial, pourtant factuel, pose de sérieuses questions sur les conséquences potentielles pour la santé et le développement cognitif des enfants sans oublier aussi les dynamiques familiales en cours. Ce n’est pas une grande surprise : il est constaté des disparités sociales qui se creusent dès la maternelle.
Des usages différents selon l’âge et le sexe
Le panorama d’usage évolue rapidement avec l’avancée en âge. La télévision demeure l’écran le plus présent dans le quotidien des enfants, mais les consoles de jeux, les tablettes et les smartphones gagnent du terrain de façon spectaculaire. Dès l’âge de six ans, quinze pour cent des enfants possèdent déjà une tablette, et près d’un enfant sur deux à l’âge de onze ans dispose d’un smartphone avant même d’entrer au collège.
Cette évolution technologique n’est pas neutre : elle est le reflet d’une diversification des pratiques numériques. Elles s’accompagnent d’une différenciation selon le genre. Les garçons, dès le primaire, manifestent une préférence marquée pour les consoles de jeux, tandis que les filles, à partir de neuf ans, se tournent davantage vers le smartphone.
L’accès aux réseaux sociaux, encore marginal chez les trois à cinq ans (moins de deux pour cent), explose à vingt‑cinq pour cent chez les neuf à onze ans, avec un pic de trente pour cent chez les filles. Même si la législation française fixe l’âge minimum d’inscription à treize ans, une proportion non négligeable d’enfants se retrouve déjà exposée à ces plateformes, parfois confrontée à des moqueries ou des humiliations : 5% des neuf à onze ans ayant accès aux réseaux sociaux rapportent ce type d’expérience, contre moitié moins chez les six à huit ans.
Les inégalités sociales dès la maternelle amplifient l’exposition aux écrans
Ces chiffres révèlent des inégalités sociales qui transcendent l’âge. Les familles les moins diplômées voient leurs enfants utiliser des écrans en dépassant les seuils recommandés de manière nettement plus fréquente. Chez les trois à cinq ans, 72% des enfants issus de milieux peu diplômés passent plus d’une heure quotidienne devant un écran, contre 35% dans les foyers les plus instruits.
Cette tendance s’accentue avec l’âge : chez les six à huit ans, 55% des enfants des milieux défavorisés dépassent deux heures d’exposition quotidienne, contre seulement 20% dans les familles plus favorisées. Chez les neuf à onze ans, la différence persiste, avec 73% contre 39%. Ces écarts s’observent dès la maternelle. Le facteur socio‑économique agit comme un amplificateur d’exposition. Il rend les enfants des milieux modestes plus vulnérables aux risques liés à une utilisation excessive des écrans. Le rôle des parents apparaît donc double : ils sont à la fois les principaux régulateurs du temps d’écran et les vecteurs d’une inégalité qui se transmet de génération en génération.
Réponses institutionnelles et programmes de prévention
Quelles sont les réponses institutionnelles face à cette nouvelle forme d’inégalité ? Santé publique France, forte de ses données, insiste sur l’urgence d’une action collective visant à réduire les disparités et à promouvoir des comportements numériques plus sains. Plusieurs programmes sont mis en avant. Le projet « Moins d’écrans, plus d’interactions », porté par l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire organise des ateliers de sensibilisation destinés aux parents d’enfants d’âge préscolaire.Des affichettes sont proposées dans les salles d’attente en voici une que vous pouvez télécharger ici.
L’intervention Panjo, quant à elle, cible les parents en situation de vulnérabilité socio‑économique dès la grossesse et jusqu’aux douze mois de l’enfant. Cela est rendu possible grâce à un suivi à domicile réalisé par des sages‑femmes, des infirmières, mais aussi des puéricultrices des PMI. Pour autant, toutes les régions n’en bénéficient pas comme le montre cette carte. C’est même un peu léger sauf la Bretagne (carte). Bref, il semble difficile de s’appuyer uniquement sur les PMI déjà bien surchargées.
Enfin, il y a le Programme de Soutien aux Familles et à la Parentalité (PSFP). Il cherche à proposer un cadre structuré pour travailler les compétences parentales, incluant la gestion des écrans et les compétences psychosociales des enfants. Ces initiatives, bien que prometteuses, restent dépendantes de la capacité des familles à les intégrer dans leur quotidien, ce qui nécessite une prise en compte fine des contraintes matérielles, culturelles et temporelles propres à chaque foyer. Les travailleurs sociaux peuvent s’emparer de cette méthode mise en avant dès 2022. Mais bon, là aussi, il ne parait pas y avoir un suivi fort et soutenu. En attendant, vous trouverez ici une présentation de ce programme.
Contrôler le temps d’exposition versus contrôler le contenu
Revenons à l’enquête de Santé Publique France. Les données révèlent une dynamique paradoxale entre le contrôle du temps d’écran et celui du contenu. Neuf parents sur dix déclarent limiter « toujours » ou « souvent » le temps d’usage de leurs enfants, mais le contrôle du contenu diminue nettement avec l’âge : 52% des parents d’enfants de trois à cinq ans empêchent leurs enfants de consulter certains contenus, contre seulement 36% chez les neuf à onze ans. Pourtant, ces derniers ont aussi besoin d’être protégés des images et des vidéos violentes ou pornographiques. Ce relâchement pourrait s’expliquer par la confiance croissante accordée aux enfants à mesure qu’ils grandissent.
Mais il peut y avoir une autre explication. Plus l’enfant grandit, plus il est difficile de surveiller les plateformes multiples et en constante évolution. Beaucoup de parents peuvent être en quelque sorte « largués ». Quoi qu’il en soit, la perte progressive de ce filtre laisse les jeunes utilisateurs plus exposés à des contenus inappropriés. Ils risquent d’être soumis à des interactions potentiellement nuisibles et à des pressions sociales qui peuvent affecter leur estime de soi et leur bien‑être psychologique.
Mécanismes sous‑jacents et enjeux sociétaux
Au-delà des chiffres bruts, il convient de réfléchir aux mécanismes sous‑jacents qui alimentent ces tendances. Les écrans offrent aujourd’hui une palette d’activités éducatives, ludiques et sociales qui séduisent tant les enfants que les parents. Dans un monde où les activités extérieures sont parfois limitées par les contraintes urbaines ou sécuritaires, l’écran est en train de devenir un substitut attractif.
De plus, les stratégies de marketing des fabricants de dispositifs numériques ciblent de plus en plus les jeunes publics. Ils proposent des applications interactives, des jeux éducatifs et des contenus personnalisés qui renforcent l’engagement. Cette combinaison d’accessibilité, de promesse éducative et de pression commerciale crée un environnement dans lequel la modération devient vraiment difficile. Le jeu éducatif est un prétexte qui n’empêche pas l’enfant d’aller voir ailleurs dès lors qu’il peut avoir accès à internet. Cela vaut surtout pour les familles qui manquent de ressources ou de connaissances pour instaurer des règles claires.
Vers une approche multidimensionnelle ?
Il apparaît indispensable d’adopter une approche multidimensionnelle pour répondre à cette problématique. D’une part, les politiques publiques devraient davantage soutenir les familles en offrant des ressources pédagogiques accessibles, mais aussi des formations et des informations sur les risques liés au numérique. Il faudrait aussi des aides financières pour réduire les écarts matériels.
D’autre part, les professionnels de santé, d’éducation et de protection de l’enfance doivent être formés à identifier les signes de sur‑exposition. Cela peut leur permettre de conseiller des pratiques équilibrées et de faire des liens sur les origines de certains conflits entre parents et enfants. Les concepteurs de technologies ont eux aussi un rôle éthique à jouer : intégrer des limites de temps, des contrôles parentaux renforcés et des mécanismes de transparence dans les jeux vidéos mais aussi dans les application dites « éducatives ».
Pour conclure : un appel à l’action collective
Le portrait dressé par Santé publique France nous montre que les écrans sont désormais omniprésents dans la vie des enfants. Certes nous le savions déjà sans pour autant évaluer l’ampleur du phénomène et des risques qui y sont liés. Nous savons désormais que cette omniprésence des écrans dans la vie des enfants varie fortement selon l’âge, le sexe et le statut socio‑économique. Sans oublier les pratiques parentales qui ne sont pas toujours des modèles quent à leurs propres usages des écrans.
Il y a ceux qui n’ont pas conscience des risques courus par leurs enfants et c’est bien évidemment fort regrettable. Pourtant les effets ne tardent pas à se faire sentir notamment à l’école. Les orthophonistes sont souvent des témoins impuissants face au comportement de certains parents qui ne mesurent pas du tout les effets délétères des écrans alors qu’ils consultent justement parce que leur rejeton a des troubles du langage ou de la communication.
Et puis il y a aussi les parents qui ont conscience du problème mais qui ne parviennent pas à encadrer les pratiques de leur enfant. Il faut reconnaitre que c’est parfois très difficile surtout quand le pli est pris. Ces parents ont besoin d’un soutien éducatif spécifique car ils peinent à contrôler le contenu à mesure que les enfants grandissent.
Les programmes de prévention et de soutien à la parentalité déjà existants proposent des pistes concrètes. mais Cela n’est pas suffisant, loin de là. Des actions collectives d’entraide et de soutien devraient être mis en place par les travailleurs sociaux qui savent s’adapter aux réalités des familles les plus vulnérables.
Seul un effort collectif, mêlant politiques publiques, éducation, santé et responsabilité, pourrait garantir que les écrans restent des outils d’apprentissage et de divertissement. Or aujourd’hui nous constatons qu’ils sont plutôt des facteurs de déséquilibre pour les générations futures. Les fabricants de logiciels ont aussi des responsabilités qui devraient leur être rappelées. La tâche est immense. De la place des travailleurs sociaux il reste aussi beaucoup à faire. Pourtant une maitrise des écrans donne des résultats probants pour la scolarisation des enfants de la maternelle au collège.
Il ne faut surtout pas baisser les bras sur ce sujet.
Sources
- Dossier de l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire
- Enabee : étude nationale sur le bien-être des enfants | Santé Publique France
Photo :



2 réponses
Je fais de l’aide aux devoirs avec une élève de cm2. Elle me montre ses cahiers et là, surprise!
Pour avoir un récapitulatif en vidéo, il faut scanner un qr code!!
Si l’éducation nationale s’y met..
Merci beaucoup pour cet article. Je ne connaissais pas le PSFP .Ça peut être intéressant s’il se déroule à des moments adaptés à la vie professionnelle des parents. Lorsque vous êtes en emploi précaire,vous êtes dépendants des jours et horaires des missions proposées si vous voulez avoir un salaire. Or, je constate que nombre de services n’interviennent que de 9 h à midi et de 14h à 17 h,y compris les services de PMI.
C’est compréhensible vis à vis des salariés mais incompatible avec la vie des familles en difficulté.
De plus, il me semble à première vue que les parents doivent comprendre et parler un peu français,et savoir lire. Ce n’est pas le cas dans de nombreuses familles que je côtoie.