Didier Dubasque
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Ruptures et séparations : Pourquoi de nombreux hommes deviennent-ils violents ?

La violence dans les relations amoureuses, en particulier celle exercée par les hommes, est un phénomène complexe et multifactoriel. Cecile Condominas, dans son ouvrage « Sentiment amoureux et conjugalité violente : du meilleur au pire », explore les origines de cette violence si particulière. Cette ancienne éducatrice spécialisée explique comment l’amour, initialement perçu comme une expérience idyllique, peut se transformer en un terrain propice à la violence. Cette transformation s’explique souvent par la désillusion et la frustration qui surviennent lorsque l’idéalisation de l’autre s’effondre, révélant des défauts et des incompatibilités auparavant ignorés. À force de rencontrer des personnes qui se séparent violemment, les travailleurs sociaux ont généralement une connaissance assez fine du processus de vie et de fin du sentiment amoureux. Un sentiment qui est fréquemment la source de conflits de couples. Explications…

La théorie de l’attachement de John Bowlby et Donald Winnicott offre un cadre pour comprendre comment les premières expériences affectives d’un individu influencent ses relations amoureuses futures. Selon cette théorie, les modèles d’attachement formés dans l’enfance peuvent prédisposer certains hommes à des comportements possessifs ou violents dans leurs relations adultes. De plus, les travaux de Freud sur l’inconscient et les besoins de sécurité et de reconnaissance narcissique jouent également un rôle dans la formation des relations amoureuses et, potentiellement, dans l’émergence de la violence.

Les théories systémiques ajoutent une autre dimension à cette analyse. Elles prennent en compte les dynamiques de pouvoir et de complémentarité au sein des couples. Ces dynamiques peuvent soit contribuer à un équilibre, soit favoriser des conflits et de la violence, en particulier lorsque l’un des partenaires refuse d’accepter les changements ou les défauts de l’autre. C’est souvent parce qu’au départ, les couples se construisent en imaginant que l’autre est vraiment la personne qui lui convient. Elle a alors toutes les qualités. La désillusion peut survenir à tout moment quand on aime l’autre uniquement pour soi.

Il y a aussi les facteurs socioculturels et éducatifs. Ils sont tout autant déterminants dans la prévalence de la violence masculine dans les relations. L’éducation des garçons, fréquemment axée sur la force et la domination, peut encourager l’expression de la violence comme moyen de résoudre les conflits ou de gérer la frustration. De même, les stéréotypes de genre et les attentes sociales peuvent renforcer des comportements violents chez certains hommes, en particulier lorsqu’ils perçoivent leur pouvoir ou leur statut menacés.

Il est tout autant important de reconnaître que la violence dans les relations ne se limite pas aux agressions physiques. Les violences psychologiques, généralement moins visibles, sont tout aussi destructrices. Elles sont fréquentes et peuvent être une caractéristique d’une opposition larvée dans le couple. Ces violences peuvent prendre la forme de manipulations, de dénigrements ou d’autres formes d’abus émotionnel.

La violence masculine dans les relations amoureuses est un phénomène  qui s’enracine dans un mélange de facteurs psychologiques, relationnels et socioculturels. Comprendre ces facteurs est essentiel pour les travailleurs sociaux et les professionnels de la santé mentale qui cherchent à soutenir les victimes de violence et à prévenir son occurrence. Il est crucial de continuer à sensibiliser le public à ces enjeux et de promouvoir des relations saines et respectueuses pour tous.

Comment agir en tant qu’assistante sociale ?

En abordant la question des violences masculines dans le contexte des relations amoureuses, les assistantes sociales se trouvent face à un sujet complexe et délicat. Leur rôle s’avère essentiel dans l’accompagnement des victimes, mais aussi dans la prévention et la sensibilisation autour de cette problématique. Ce n’est pas simple, car elles-mêmes peuvent être traversées par des multitudes de sentiments dans leur vie personnelle. Il leur faut pouvoir se distancier de leurs propres affects et représentations. Mais comment agissent-elles ? Elles agissent avant tout « en tant » qu’assistantes sociales en faisant appel à leur méthodologie d’intervention.

Leur approche repose d’abord sur une écoute attentive de la personne qui se plaint. Elles offrent autant que faire se peut un espace sécurisé où les personnes peuvent exprimer librement leurs émotions et leurs expériences, sans crainte de jugement. Cette écoute active permet non seulement de reconnaître et de valider la souffrance de celles et ceux qui sont victimes, mais aussi de les aider à comprendre qu’elles ne sont pas responsables des violences lorsqu’elles les subissent. Dans ce cadre, le soutien relationnel est primordial, car il contribue à la reconstruction de l’estime de soi et à la reprise de contrôle sur leur vie.

Très rapidement, elles évaluent la situation en sachant qu’elles ne disposent que d’une partie des données du problème. Cela n’empêche pas de tenter de mesurer jusqu’où la personne est prête à aller. Peut-elle assumer une séparation ? Va-t-elle vite retourner vers le conjoint violent ? Y a-t-il des enfants à prendre en considération ? autant de questions à se poser. En fonction des réponses et des attentes, elles élaborent un plan d’aide négocié où chacun prendra sa part. Bien évidemment, il faudra plusieurs rendez-vous sont nécessaires pour affiner le projet. Généralement, elles proposent un accompagnement ou une orientation vers un service spécialisé.

Les assistantes sociales de polyvalence de secteur ont à ce sujet un rôle particulier dans l’orientation et l’accompagnement des victimes vers les ressources appropriées. Cela peut inclure le recours à des services d’aide juridique, à des associations spécialisées. Il y a aussi l’orientation vers des hébergements d’urgence pour femmes, vers des soins spécialisées ou des groupes de soutien. Elles agissent comme des médiatrices entre les victimes et les différentes structures d’aide, en veillant à ce que chaque personne reçoive l’assistance dont elle a besoin pour surmonter cette épreuve.

Il faut pouvoir aller plus loin

La prévention et la sensibilisation constituent un autre axe majeur de l’intervention des travailleuses sociales. Elles s’efforcent de sensibiliser le public aux signes précurseurs de la violence dans les relations amoureuses et aux moyens de prévention. Cette sensibilisation passe également par l’éducation des jeunes, notamment des adolescent(e)s en abordant des thèmes tels que le respect mutuel, la gestion des émotions et la communication non violente dans les relations. En intervenant dès le plus jeune âge, les professionnelles contribuent à la construction d’une société plus consciente des enjeux de cette violence spécifique au sein des couples.

Enfin, il est important de souligner le rôle de certains travailleurs sociaux dans le travail avec les auteurs de violence. Bien que leur priorité reste le soutien aux victimes, une approche globale exige aussi de s’attaquer aux racines du problème. Cela implique de travailler avec les hommes violents pour les aider à comprendre et à modifier leurs comportements, en abordant des questions telles que la gestion de la colère, la communication non violente et la remise en question des stéréotypes de genre. Le problème est qu’il n’existent pas suffisamment de structures adaptées dans le pays pour prendre en compte la situation des hommes violents.

En conclusion, face aux violences masculines dans les relations amoureuses, les travailleuses sociales adoptent une approche plurielle. Elle est principalement centrée sur le soutien aux victimes, la prévention, la sensibilisation et, dans une moindre mesure, la prise en charge des auteurs de violence au sein de service spécialisés. Leur rôle est essentiel pour briser le cycle de la violence et promouvoir des relations plus respectueuses au sein de la société. Et entre nous, il y a un travail sans cesse à mener tant les mécanismes de reproduction de ces violences spécifiques sont ancrées dans la société.

Plusieurs ouvrages abordent la thématique des violences masculines dans les relations amoureuses. Ces sources couvrent divers aspects du sujet, allant de la psychologie des relations à la sociologie et aux études de genre. Voici quelques exemples parmi d’autres :

  • « Les Hommes violents » de Daniel Welzer-Lang : Ce livre est une référence dans le domaine des études sur la violence conjugale. Welzer-Lang, sociologue et spécialiste des questions de genre, y explore les dynamiques de pouvoir et de violence dans les relations intimes.
  • « La Domination masculine » de Pierre Bourdieu : Bien évidemment, cet ouvrage ne se concentre pas exclusivement sur la violence conjugale mais il offre un cadre théorique essentiel pour comprendre les structures de pouvoir et de domination dans les relations entre hommes et femmes, qui peuvent conduire à des comportements violents.
  • « Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle » de Marie-France Hirigoyen : Psychiatre et psychothérapeute, Hirigoyen aborde dans cet ouvrage les formes de violence psychologique, un aspect souvent présent dans les relations abusives. Bien que centré sur le milieu professionnel, les concepts développés sont pertinents pour comprendre les dynamiques de violence dans les relations personnelles.
  • « Violences conjugales : un défi pour la parentalité » sous la direction de Ernestine Ronai : Ce livre collectif aborde la question des violences conjugales sous l’angle de la parentalité, offrant des perspectives sur les répercussions de ces violences sur les enfants et les enjeux de la coparentalité dans ce contexte.
  • Nos pères, nos frères, nos amis, Mathieu Palain :  Ce journaliste a passé quatre ans en immersion auprès d’hommes responsables de violences conjugales.  Paru aux éditions Les Arènes, son livre est une enquête sur les violences conjugales. Il est bâti autour des témoignages qu’il a pu recueillir dans des groupes de parole, en maison d’arrêt ou lors d’audiences judiciaires
  • Sentiment amoureux et conjugalité violente. Du meilleur au pire, Cécile Condominas : On entend dire ici et là que, dans la conjugalité violente, la nature du lien qui unit les partenaires est différente de l’amour. Cet imaginaire collectif dénie le caractère amoureux de la relation, parce que dérangeant probablement.

 

Ces quelques références fournissent une base solide pour comprendre les multiples facettes des violences masculines dans les relations amoureuses et les approches pour y faire face. Elles sont utiles tant pour les professionnels que pour toute personne souhaitant approfondir sa compréhension de cette problématique.


Photo : Pexel

  • Note : j’ai écrit assistante sociale et travailleuses sociales  au féminin car elles représentent l’immense majorité des « travailleurs sociaux »

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