Quand la pauvreté frappe à toutes les portes : radiographie d’une France en détresse avec le Secours populaire

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L’alarme nous vient du Secours populaire français qui a réalisé une enquête avec Ipsos.On y apprend qu’un tiers des Français redoute de basculer dans la précarité et 15,4% de la population vit déjà sous le seuil de pauvreté, soit près de 10 millions de personnes. Ces chiffres, issus du 19e baromètre Ipsos/Secours populaire qui vient d’être publié, nous présente le portrait implacable d’une société française où l’angoisse du lendemain s’enracine durablement. Plus troublant encore, cette réalité touche particulièrement les jeunes générations, avec 50% des 18-34 ans qui se déclarent mécontents de leur niveau de vie.

Le seuil de pauvreté atteint un niveau historique

Les statistiques officielles de l’INSEE confirment cette tendance  : avec un seuil de pauvreté fixé à 1.288 euros mensuels pour une personne seule en 2023, soit 60% du revenu médian, la France métropolitaine compte désormais 9,8 millions de personnes vivant sous ce seuil. Ce taux de 15,4% constitue le niveau le plus élevé depuis 1996, marquant une augmentation brutale de 0,9 point par rapport à 2022.

Taux de pauvreteCette progression s’explique principalement par l’impact de l’inflation qui, selon l’INSEE, a particulièrement affecté les ménages les plus modestes. L’institut  souligne également la non-reconduction des mesures exceptionnelles de soutien au pouvoir d’achat mises en place en 2022, notamment l’indemnité inflation et la prime exceptionnelle de rentrée.

Une réalité inquiétante

Sur le terrain, les bénévoles du Secours populaire français observent quotidiennement cette dégradation. À Clermont-Ferrand, Élodie, qui travaille à la fédération locale, rapporte « une augmentation considérable » des demandes d’aide, de l’ordre de 30% entre 2023 et 2024. « Nous avons 100 nouvelles inscriptions par mois dans une seule antenne. Il s’agit de retraités, d’étudiants étrangers, principalement des personnes dont le travail ne paye pas assez pour sortir de la pauvreté », précise-t-elle. Edith nous apportait dès 2022  un témoignage éclairant.

Cette observation rejoint les analyses d’Etienne Mercier, directeur d’Ipsos Public Affairs. Il constate que « de trop nombreux Français sont contraints de renoncer à certaines dépenses essentielles, parfois même aux besoins les plus fondamentaux tels que la nourriture ou le chauffage ». Dans certains libres-services alimentaires du Secours populaire, les bénévoles ont vu affluer jusqu’à 40% de demandes supplémentaires.

La jeunesse face à l’épreuve de la précarité

La situation des jeunes français révèle une transformation sociale profonde. En 2025, 50% des 18-34 ans se déclarent mécontents de leur niveau de vie, contre 33% en 2010, marquant une progression inquiétante. Cette insatisfaction massive se traduit par une augmentation constante des demandes d’aide : les 18-25 ans représentent désormais 13% des personnes soutenues par le Secours populaire, un chiffre à rapprocher du 1,3 million de Français de 18-29 ans vivant sous le seuil de pauvreté. Comment alors s’étonner du profond mécontentement de notre jeunesse à la lumière de ces résultats ?

Les privations touchent des domaines essentiels : près d’un jeune français sur deux (48%) rencontre des difficultés à se procurer une alimentation saine et équilibré.Ils n’étaient que 29% en 2010. Une enquête complémentaire révèle même que 62% des jeunes de 18 à 24 ans se trouvent en situation de précarité alimentaire, avec 33% confrontés à une précarité alimentaire sévère.

Des étudiants entre travail et études

Le parcours étudiant révèle une réalité particulièrement préoccupante. En France, 60% des jeunes en études supérieures travaillent durant leur cursus ou sont à la recherche d’un emploi rémunéré, malgré le risque documenté d’échec aux examens que cela représente. Cette contrainte économique pousse 43% des étudiants français à déclarer vivre dans une situation difficile.

Des témoignages recueillis lors de la Journée Bonheur à Cabourg illustrent cette réalité. Charline, 24 ans, étudiante en master et travailleuse dans l’administration universitaire, confie : « Dès le mois de mars, l’angoisse monte : il faut trouver à tout prix un job pour les trois mois d’été ». Son amie Inès ajoute : « Et encore, il nous faut faire 35 heures par semaine afin de mettre suffisamment d’argent de côté pour parer aux dépenses de l’année et, surtout, aux imprévus ».

Des impacts sur la santé mentale

Cette précarité généralisée génère des conséquences dramatiques sur la santé mentale. Parmi les personnes ayant du mal à boucler leur budget, 74% se disent « tristes, déprimées ou désespérées », soit 2% de plus que l’année précédente. Chez les jeunes, 50% expriment un fort sentiment d’angoisse en pensant à leur situation actuelle et à leur avenir, et plus d’un jeune sur cinq se dit même « désespéré ». Mais qui s’en préoccupe réellement hormis les associations ?

Charline et Inès, qui accueillent les étudiants en difficulté dans leur travail administratif à l’université, observent que « beaucoup sont fragiles ou ont des idées noires ». La santé mentale chez les 18-34 ans constitue selon elles « un sujet à prendre très au sérieux », mais le nombre de thérapeutes détachés auprès des universités demeure « très, très, insuffisant ».

Des privations invisibles mais essentielles

Au-delà de l’alimentation et des soins, les privations concernent également des domaines moins visibles mais fondamentaux. Près des deux tiers des personnes interrogées (64%) déclarent avoir été dans l’incapacité financière de faire des sorties ou de profiter de loisirs en famille. Pour les sorties les plus onéreuses, comme le cinéma ou le restaurant, 60% des personnes ont dû y renoncer.

Evidemment cette réalité touche particulièrement les jeunes : 56% d’entre eux sont obligés de se restreindre ou de se passer de loisirs et activités culturelles, contre 44% en 2010. Ces pratiques sont pourtant nécessaires à l’épanouissement, au bien-être et à l’inclusion sociale de ces classes d’âge pour qu’elles puissent prendre toute leur place dans la société.

Les travailleurs sociaux eux aussi sont en difficulté financière

Dans ce contexte de précarisation généralisée, les travailleurs sociaux ont un rôle fondamental à jouer mais ils font face à leurs propres difficultés. Le secteur social et médico-social emploie environ 1,3 million de professionnels en France, mais ces métiers souffrent d’un manque chronique de reconnaissance et d’attractivité.

Une assistante sociale diplômée bac+3 débute sa carrière avec un salaire de 1.908 euros brut par mois, soit un peu plus de 1 500 euros nets. Cette rémunération contraste avec celle d’ouvriers spécialisés de l’industrie, souvent mieux payés malgré un niveau de formation moindre. Cette situation révèle « une dévalorisation institutionnalisée pour les métiers du lien, de l’accompagnement et du soin ».

Une génération prête à s’engager malgré les difficultés

Paradoxalement, cette précarité généralisée n’entame pas l’esprit de solidarité, particulièrement chez les jeunes. Une lueur d’espoir émerge dans ce panorama sombre : les jeunes appartiennent à une génération qui se dit prête à s’engager, que ce soit à travers des pétitions (75%), des dons matériels (73%) ou financiers (60%). Un jeune sur deux se déclare tenté par l’engagement dans une association de solidarité (52%), de préférence à un syndicat ou un parti politique. Il ne faut donc pas désepérer de cette jeunesse en train de prendre le relai.

Cette tendance se retrouve dans la population générale : près d’un français sur deux (48%) se dit « prêt à consacrer du temps à une association de solidarité ». Cette volonté d’engagement témoigne selon le Secours populaire d’une résilience collective face aux épreuves, dans une philosophie d’accompagnement « d’égal à égal ». Finalement les précaires aident les précaires. Quant aux autres….

L’urgence d’une reconnaissance professionnelle

La précarisation des travailleurs sociaux constitue un enjeu majeur pour l’efficacité de l’accompagnement social. Comme l’analysent les membres du collectif Caasos de Montpellier : « Nos salaires ne sont plus alignés au coût de la vie. On a perdu 20% de pouvoir d’achat ces vingt dernières années. La précarisation de nos métiers est une réalité ».

Cette situation paradoxale de « précaires au service de précaires » affaiblit la capacité d’intervention du secteur social. Les répercussions sont directes sur l’accompagnement délivré aux personnes en difficulté, dans un contexte où les besoins ne cessent d’augmenter.

Vers une transformation nécessaire

Les données du baromètre 2025 révèlent une France mal partie. L’augmentation de la pauvreté, particulièrement chez les jeunes, interroge sur les mécanismes de solidarité et de redistribution. Comme le note Pierre Latrille d’Ipsos, « près de 9 jeunes français de moins de 35 ans sur 10 citent un sentiment négatif » concernant leur situation actuelle et leur avenir.

Cette réalité appelle à repenser les politiques sociales et la valorisation des métiers de l’accompagnement. Car derrière ces statistiques se cachent des centaines de milliers de parcours individuels, des familles qui s’organisent au quotidien pour survivre, et des professionnels qui, malgré leurs propres difficultés, continuent de tisser ce lien social indispensable à la cohésion de notre société.

Notre pays fait face en 2025 non seulement à une instabilité politique mais aussi à un autre grand défi peu médiatisé : celui de redonner espoir à une génération qui grandit dans l’incertitude tout en préservant les valeurs de solidarité qui fondent notre modèle social. Les témoignages recueillis montrent que cette volonté existe, mais elle nécessite une reconnaissance et des moyens à la hauteur des enjeux sociétaux actuels.

Sources :

 


Photo : Secours Populaire Français 2025 ©P. Montary / SPF  « Le fort niveau de privation explique que dans certains libres-services alimentaires, les bénévoles ont vu affluer jusqu’à 40 % de demandes supplémentaires »

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