La compassion chez les aidants professionnels et bénévoles n’est pas toujours ce qu’il y a de plus partagé. Il en est de même en service social : si nous développons une écoute bienveillante auprès des personnes que nous rencontrons, il semble bien que nous fassions beaucoup moins d’efforts envers nous-mêmes et nos collègues au travail. Comment expliquer ce phénomène ? Les travaux du Dr Kristin Neff sur l’auto-compassion peuvent nous éclairer.
Pourquoi sommes-nous parfois si exigeant(e) avec nous-mêmes ? Personne ne nous l’a demandé.
Selon Kristin Neff, il est nécessaire de baisser les armes ou si vous préférez de « lâcher prise » et de laisser en arrière ce qui provoque chez nous de l’insécurité. Nous devrions avoir de la compassion envers notre petite voix intérieure qui nous commande d’en faire toujours plus et toujours mieux pour ressembler au travailleur social idéal que nous avons inconsciemment bâti selon nos propres schémas.
Or ce travailleur social « parfait » n’existe pas. Ce modèle à suivre n’est pas réel. Notre petite voix intérieure vise à nous rassurer et nous demande sans cesse de nous dépasser pour exister. Elle peut aussi nous conduire à critiquer ou à médire sur tel(le) ou tel(le) collègue dont l’action ne rentre pas dans les schémas idéalisés que nous avons de ce qu’il faut faire « en tant qu’éducateur » ou « en tant qu’assistante sociale ».
Pourquoi devrions-nous être moins sévère avec les autres et avec nous-mêmes ?
Nous pouvons parfois être dur(e) avec nous-mêmes ou avec les autres uniquement pour nous rassurer. Lorsque nous décidons de poser tel ou tel acte, avons-nous bien mesuré ce qu’il engage pour nous même et notre environnement ?
Le Dr Neff nous indique que notre « réponse biologique » face à un danger est, soit le combat, soit la fuite, ou encore le fait de ne rien faire. (Elle rejoint en cela les thèses de Henri Laborit développées dans le célèbre film « mon oncle d’Amérique »). Notre « critique interne » confronte un danger de la vie réelle à notre capacité à être aimé / accepté par les autres ou encore à notre capacité à de trouver nous-mêmes une réponse qui nous convient. Elle tente de nous protéger pour assurer notre sécurité, nous permettre d’être aimé(e) et accepté(e).
Dans cette logique, nous présupposons que la meilleure façon de nous motiver pour améliorer la situation ou pour prévenir de futures erreurs est d’être exigeant(e). Ainsi, nous pensons souvent que la meilleure manière de nous aider à traverser une situation pénible est d’en ignorer la douleur ou encore le risque. Il s’agirait en quelque sorte de vouloir « aller toujours plus en avant »
En réalité, cette attitude n’est pas sans danger. Elle peut motiver à court terme, mais à long terme, cette conduite peut provoquer de l’anxiété et parfois même un burn-out.
La meilleure démarche pour nous motiver est « l’auto-compassion ».
En reconnaissant l’éventuelle souffrance que nous ressentons ou du moins le stress, nous pourrions passer « à travers » la douleur. Toujours selon le Dr Kristin Neff , « l’auto compassion » qu’elle décrit possède 3 composantes principales : 1. La Self-Bonté, 2. Un sens de l’humanité commune et enfin 3. Un esprit de plénitude.
La « Self-Bonté » se réfère à une approche chaleureuse et compréhensive envers soi-même quand vous ressentez une dévalorisation, lorsque vous faites une erreur, ou lorsque vous sentez incompétent face à ce qui se passe au point d’ignorer votre propre stress. Si vous n’êtes pas dans cette position, vous pouvez finalement vous « punir » en vous engageant dans une auto-critique négative. C’est le début de la perte de l’estime de soi. Vous pouvez aussi avoir envie de critiquer les autres, ce qui finalement vous rassure inconsciemment mais fait du mal à autrui
Le sens de « l’humanité commune » est la reconnaissance que les souffrances et l’insuffisance personnelle font parties de l’expérience humaine partagée. Souvent, vous pouvez vous sentir comme si vous étiez la «seule» personne souffrant ou faisant des erreurs, ce qui conduit à un sentiment irrationnel qui provoque une forme d’isolement qu’il faut bien évidemment éviter.
Il nous faut bien comprendre que tous les êtres humains sont concernés à un moment ou à un autre par l’incertitude et la dévalorisation. Vous n’êtes pas la seule personne à vivre cela. Nous ne sommes pas des machines et bien sûr, sommes faillibles. Il est important de pouvoir reconnaître ce qui peut aider à nous sentir moins seul et à recevoir moins de jugement sur nos éventuelles faiblesses personnelles.
Un « esprit de plénitude » vous permet de devenir conscient de quand vous percevez ce stress. Cela se traduit aussi par la recherche d’un état de l’esprit sans jugement dans lequel vous êtes en mesure d’observer vos pensées et les sentiments tels qu’ils sont, sans essayer de les supprimer ou de faire comme s’ils n’existaient pas.
En utilisant ces 3 éléments ensemble, vous pouvez créer un environnement « d’auto-compassion » de l’esprit, qui est une forme de compréhension et de résistance lorsque vous ressentez du stress, quel que soit son origine.
Quelle réponse face au stress ambiant ?
Le Dr NEFF recommande la méditation. C’est une méthode qui permettrait à la fois d’augmenter votre capacité d’attention et d’auto-compassion. Je ne sais pas si cette forme de recherche de solution vous convient. Pour ma part, elle m’interroge, car les réponses par la méditation laissent supposer que le problème vient de nous et non d’une cause extérieure, telles les conditions de travail ou les pressions diverses comme celle d’une hiérarchie ou de personnes que vous accompagnez.
Il existe d’autres moyens pour développer votre conscience et votre disposition à résister aux stress du quotidien professionnel. À vous de trouver celle qui vous correspond…
Si vous êtes anglophone, cette vidéo du Dr Neff sur ce sujet devrait vous intéresser…
Enfin, je profite de cet article pour vous transmettre les propos de Cécile Alduy Professeure de littérature à l’université de Stanford (États-Unis). Elle est chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Science-Po (Cevipof) et membre de l’Observatoire des radicalités de la Fondation Jean-Jaurès. Elle avait été interrogée par le journal l’Humanité sur le concept de bienveillance, un terme souvent utilisé par le président de la république. Voici ce qu’elle en dit :
« La grande nouveauté lexicale qu’Emmanuel Macron a introduit dans l’élection de 2017, c’est ce terme de « bienveillance », totalement inconnu en France auparavant dans le champ politique. L’adjectif « bienveillant » qu’il a adopté pour définir son projet a une histoire politique aux Etats-Unis. Le linguiste George Lakoff a défini l’opposition « gauche/droite » (libéraux et conservateurs) comme reposant sur deux schémas inconscients des structures familiales :
- celui du « père autoritaire » (à droite, où les relations sociales, modelées sur celles de la famille, reposent sur l’obéissance, le mérite, l’ordre)
- celui du « père bienveillant » (à gauche, où les relations reposent sur la confiance, la solidarité, la générosité, l’égalité).
Or Emmanuel Macron utilise ce terme pour dépasser le clivage droite/gauche. Ou plutôt : pour désamorcer toute critique de son programme comme étant plutôt libéral »
Note : je rediffuse cet article aussi pour éviter de le perdre, car je l’ai retrouvé par hasard. Je l’avais initialement rédigé en septembre 2015 C’est une traduction partielle et une adaptation de l’article suivant : « The Surprising Reason We Beat Ourselves Up (and What to Do About It) » par DORLEE MICHAELI, MBA, LMSW
photo : TED conférence le Dr Kristin Neff
Une réponse
« Quelle réponse face au stress ambiant ? » dites vous. Parmi les réponses possibles il y a les groupes d’analyse des pratiques entre pairs, qui pour toutes les raisons suivantes gagneraient à être systématisés dans les services.
1) Une approche chaleureuse et compréhensive envers soi-même. C’est exactement ce que garantit dès la première seconde de travail collectif l’animateur de séances d’analyse des pratiques
2) Sens de l’humanité. « Vous n’êtes pas la seule personne à vivre cela ». Chaque mise en commun de situations vécues par les participant(e)s révèle clairement que ce que l’on croyait « n’arriver qu’à soi », arrive en réalité tout le temps à tous les collègues!
3) Devenir conscient de quand vous percevez le stress. De séances en séances, c’est bien ce qui se passe: une mise à distance, une prise de recul par rapport aux événements. Et ce qui est très important, c’est qu’il s’agit bien d’une mise à distance des événements, et pas de la relation aux personnes accompagnées, avec lesquelles nous pouvons continuer à développer l’empathie indispensable à l’accompagnement.
Il y a donc bien des réponses possibles pour faire face au stress ambiant, et cela dépend de nous (travailleurs sociaux, en demandant, argumentant, pour des séances d’analyse des pratiques, et une fois qu’elles sont acquises en se rendant disponibles pour y participer activement et sincérement) et de nos institutions ( convaincues du bien fondé de ce dispositif et de son utilité malgré le coût).