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Mobilisation des travailleurs sociaux : les leçons à tirer du mouvement des agriculteurs

C’est, à ma connaissance, la première fois que des professionnels de l’action sociale et médico-sociale mettent en place une action d’envergure qui a un tel impact. Mardi dernier, le Collectif des Métiers de l’Humain en Danger (COMEHD) a orchestré une série de barrages filtrants et d’opérations escargots dans les principales villes du Nord et du Pas-de-Calais. Ils ont à cette occasion franchi une étape significative dans leur lutte pour une meilleure reconnaissance de leur réalité. Il s’agissait aussi de montrer qu’il est nécessaire d’engager des ressources supplémentaires pour le secteur social et médico-social. Cette mobilisation, qui a débuté aux premières heures de la journée, a impliqué 2.000 personnes et 650 véhicules, créant des ralentissements notables, notamment 265 kilomètres de bouchons à Lille seul.

Dans le Pas-de-Calais cette action a pris la forme d’une opération escargot. Elle a vu la participation de 100 véhicules et près de 300 personnes selon les organisateurs, bien que les forces de l’ordre rapportent 72 véhicules et environ 200 participants.

Le cortège partant du bassin ouest à Calais, a eu pour conséquence de créer d’importants ralentissements en traversant la rocade portuaire jusqu’au centre-ville. La manifestation s’inscrivait dans la série d’actions régionales visant à réclamer plus de reconnaissance et de moyens pour notre secteur. Des organisations telles que l’Afapei du Calaisis, La Vie active, l’association Cazin-Perrochaud, et l’APF France handicap ont pris part à cette mobilisation.

Cette façon de « mettre la pression » est nouvelle. Frédéric Descamps, directeur général de l’Afapei du Calaisis, a expliqué que cette manière d’agir est désormais le seul moyen pour être entendu des pouvoirs publics. Tout notre secteur dénonce les difficultés de recrutement et attend une réaction de l’État face à la crise d’attractivité de nos métiers.

Le Gouvernement ne répond pas à cette crise. Il s’est limité à annoncer récemment la création d’un Institut National du Travail Social, certes utile, mais qui ne résoudra en rien les difficultés actuelles. Pourtant, le livre Blanc du Travail Social a bien identifié les moyens nécessaires. Mais c’est le silence radio du gouvernement sur le sujet des rémunérations hormis une déclaration intempestive de la ministre de la Santé souhaitant remettre à plat les diplômes d’État.

Des revendications claires et explicites

Le slogan « Enfance en danger, handicap, grande exclusion, personnes âgées/malades : tous concernés ! » est efficace.  Le COMEHD a clairement exprimé ses exigences : plus de moyens, plus de temps, et plus de personnel formé et qualifié pour garantir un accompagnement de qualité aux populations vulnérables.

Ces revendications ont été largement diffusées à travers des tracts distribués aux automobilistes durant les barrages. Et les retours ont été positifs ! Pas d’incidents à déplorer. La réaction du public a été majoritairement positive, avec de nombreux automobilistes s’informant activement sur les problématiques soulevées, notamment concernant la protection de l’enfance. Cette approche directe et engageante a permis de sensibiliser efficacement le grand public sur les difficultés du secteur.

« Nous voulons rester fiers de bien faire ! »

Le COMEHD n’en est pas à sa première action. Il a déjà organisé des manifestations massives à Lille en novembre 2021 et septembre 2022, rassemblant des milliers de personnes. Cependant, face à l’inaction persistante des pouvoirs publics et à l’aggravation des conditions de travail et de financement dans le secteur, le collectif a opté pour une stratégie plus perturbatrice cette fois-ci.

Les organisateurs soulignent plusieurs problèmes critiques, tels que le manque de personnel la nuit dans certains établissements.  Il a été donné en exemple le fait que 60 % des établissements de protection de l’enfance dans le Pas-de-Calais ont dépassé leur capacité d’accueil. De plus, 110 enfants handicapés dans cette région sont actuellement sans solution d’accompagnement adéquate.

Les leçons tirées du mouvement des agriculteurs

Il est apparu clairement que les manifestations traditionnelles n’ont aucun effet du côté de l’exécutif. Il faut, par la force des choses, passer à autre chose. Dans une tribune libre parue dans le Média Social, Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, ne dit pas autre chose.

Les mobilisations collectives dans le travail social sont monnaie courante, mais force est de constater que les avancées concrètes se font attendre. Pendant ce temps, les agriculteurs ont récemment mené une mobilisation d’envergure qui leur a permis d’obtenir 400 millions d’euros d’aide et des changements réglementaires significatifs en l’espace de deux semaines seulement. Comment expliquer un tel contraste ?

Pour Jean-Luc Gautherot, les agriculteurs ont su habilement exploiter une triple fenêtre temporelle : la proximité des élections européennes, le salon de l’agriculture et les Jeux olympiques. En exerçant une pression sur le pouvoir exécutif juste avant des élections à enjeux, ils ont contraint les représentants du pouvoir en place à faire des concessions pour garantir leur victoire. De plus, une crise non réglée en pleine période électorale offre aux adversaires politiques un angle de critique tout trouvé. Enfin, l’attention médiatique portée au salon de l’agriculture et la crainte d’une honte internationale en cas de blocage de Paris pendant les Jeux olympiques ont renforcé la pression sur le gouvernement.

Le monde du travail social pourrait-il s’inspirer de cette stratégie ? Il est vrai que les travailleurs sociaux ne bénéficient pas d’une image aussi positive que celle des agriculteurs dans l’imaginaire collectif, ce qui pourrait limiter le soutien de l’opinion publique. Toutefois, la réalité de l’activité des travailleurs sociaux reste très mal connue, et il est certain que la mise en lumière de leur rôle essentiel dans la société contribue à renforcer leur légitimité.

Un autre facteur clé de la réussite de la mobilisation agricole est l’unité de ses représentants. Dans le monde de l’agriculture, il existe quatre syndicats, mais les membres de ces groupes ont su rester unis et parler d’une seule voix dans les négociations pour obtenir gain de cause.

Dans le travail social, en revanche, la mobilisation est à l’image de la structure du secteur : éparpillée façon puzzle. Il existe bien sûr des dizaines d’organisations représentatives des secteurs et des métiers, mais elles n’ont pas la légitimité pour parler au nom de tous les travailleurs sociaux de tous les secteurs.

Enfin, les agriculteurs ont su créer un rapport de force en jouant habilement avec la frontière de la violence tolérable par le grand public : des actes illégaux, symboliques pour montrer leur détermination, mais pas trop violents, pour ne pas perdre le soutien de l’opinion. Certes, certaines actions ont été discutables et ont pu choquer. Mais l’exécutif s’est bien gardé de les réprimer.

Dans le travail social, en revanche, les mobilisations collectives existent, mais elles ne créent pas de véritable rapport de force. L’habitude est à la discussion polie entre les pouvoirs publics et les grandes Fédérations dans le cadre de grandes rencontres participatives qui débouchent rarement sur des solutions qui engagent des moyens.

Il parait essentiel que les travailleurs sociaux s’inspirent de ces leçons pour renforcer l’impact de leurs revendications. Cela passe notamment par une meilleure connaissance et une valorisation de notre rôle dans la société. Il faudra aussi une unité des représentants pour parler d’une seule voix. C’est à partir de cette visibilité à retrouver qu’il sera possible de créer un véritable rapport de force qui conduira le gouvernement à agir.

 


Le COMEHD est composé des structures suivantes :

signataires du COMEHD


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