Livre ouvert : « La fabrique du malheur »

Le 01/10/2025
Livres
Classé dans ASE, Educateur spécialisé, Protection de l'enfance, Violence

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Claude Ardid est un excellent journaliste d’investigation. Son dernier livre, consacré à la protection de l’enfance, n’évite toutefois pas certaines maladresses.

Les reportages présentés sur plus de 300 pages sont fluides et bien construits, donnant une image factuelle très réaliste de ce qui est décrit. La lecture s’en trouve à la fois captivante et déstabilisante, car les situations présentées ont été douloureusement vécues par des enfants qui auraient dû être protégés et qui ne l’ont pas toujours été.

Il est juste dommage que l’auteur ne réussisse pas à dépasser sa légitime émotion pour éviter un journalisme de déploration. Car, s’il décrit avec précision et de multiples détails des évènements, des faits divers et des drames, il pêche par manque d’analyse et de profondeur. Le tout est marqué d’une certaine superficialité qui ne permet pas au lecteur d’approfondir vraiment sa réflexion.

Tantôt, l’ASE est accusée d’arbitraire en tenant un enfant éloigné de sa mère jugée trop nocive. Tantôt, la même ASE est accusée de n’être pas intervenue à temps, un enfant ayant été battu à mort par le compagnon d’une maman, jugée pour complicité d’assassinat. Toujours le même paradoxe d’une protection de l’enfance toujours coupable d’intervenir trop tôt ou trop tard par un journaliste mieux placé que tout le monde pour en juger.

Pourtant, c’est le même Claude Ardid qui affirme avec justesse : « L’Aide sociale à l’enfance est-elle responsable ? (…) Ce serait beaucoup trop facile de dénoncer une structure en la jetant en pâture à l’opinion publique » (p.29) Ce qui ne l’empêche pas de proclamer « la faillite du système de protection de l’enfance » (p.119), tombant dans l’excès qu’il dénonce lui-même. Ce qu’il condamne, ce n’est pas d’inacceptables dérives, de graves manquements, d’insupportables carences, mais tout un système !

Porté par ses sentiments, l’auteur ne se montre pas avare en jugements de valeurs bien curieux. « Trois femmes magnifiques. Peut-on le dire quand on est journaliste ? Oui » (p.105). « Sam’ (qui a eu maille à partir avec l’ASE depuis de très longues années -son enfant a été placé en foyer) est une femme et une maman extraordinaire » Voilà une victime de l’ASE encensée. Ce qui n’est pas le cas de Colette jugée en correctionnel « a le regard arrogant », ni Bruno son comparse qui « ressemble à un clochard échappé d’un asile de fou » (p. 135)

On suivra néanmoins, avec grand intérêt, la description détaillée du procès de Châteauroux qui condamnera les tortionnaires agissant comme lieu d’accueil sans agrément, à qui le département du Nord avait confié six mineurs qui viendront témoigner à l’audience. Mais aussi, la reconstitution précise et éloquente du calvaire de Lilly poussée à se pendre dans son hôtel, non à cause de l’ASE, mais du fait de l’emprise qu’exerçait sur elle son « amoureux » proxénète. Rebelle à tout accompagnement éducatif, comme en témoignent avec beaucoup d’émotion ses deux éducatrices, elle refusa toute aide. Cet échec restera à jamais non comme un symbole de la faillite de la protection de l’enfance, mais de son impuissance à éviter que les grenades dégoupillées qui lui sont si souvent confiées n’explosent, un jour.

Parmi bien des interlocuteurs cités, rendons hommage à Adrien Taquet qui aura le mot de la fin. L’ancien secrétaire d’Etat à l’enfance refusa une interview à l’auteur qui eut l’honnêteté de reproduire intégralement sa réponse. Irrité sans doute par ce syndrome du train arrivant en retard qui consiste à se focaliser seulement sur ce qui ne va pas, il s’explique : « J’ai un peu le sentiment que l’on finit par tourner en rond. À l’avenir je privilégierai les enquêtes et livres qui mettent en avant les innovations formidables, les histoires merveilleuses, l’engagement impressionnant des professionnels, les avancées inattendues » (p.43) Saine réaction !