« Surveiller et punir », cet ouvrage majeur de Michel Foucault écrit en février 1978 nous invite à nous rappeler combien la fonction répressive est une façon de contraindre ceux qui ne respectent pas l’ordre social. Si des personnes se droguent dans l’espace public, c’est principalement parce qu’elles ne peuvent le faire dans l’espace privé à l’abri des regards. L’exemple de ce qui se passe à Paris pour les consommateurs de crack est assez édifiant.
Les faits sont là : Les consommateurs de crack sont des toxicomanes très dépendants. Ce sont des malades. Et à ce titre, ils devraient d’abord pouvoir être soignés. Or ils sont surtout déplacés, car ils troublent l’espace public. Chassés de la porte de la Chapelle, dealers et consommateurs se sont retrouvés autour du bassin de la Villette. Des tirs de mortiers d’artifice lancés par des riverains contre eux ont conduit la Préfecture à réagir en les incitant à se regrouper dans un parc « les jardins d’Éole » dans le XVIIIᵉ arrondissement de Paris. Puis face aux nouveaux désordres, les plaintes des riverains et les reportages télés, ils ont à nouveau été déplacés vers la porte de la Villette où un mur entre Aubervilliers et la capitale a été bâti à la hâte.
Un mur baptisé « mur de la honte »
Ce mur a aussi été construit pour permettre une meilleure répression. Le Canard Enchainé, dans son édition du 29 septembre, a révélé une note du préfet de police de Paris Didier Lallement adressée au premier ministre. Pour lui, la construction de ce mur en provoquant un « cul-de-sac », doit permettre des interpellations quotidiennes des toxicomanes et des trafiquants. La note citée par le palmipède va plus loin. Elle proposait à Jean Castex d’arrêter et de regrouper les toxicomanes afin de les interner de force dans l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de Paris. Le premier ministre ne donnera pas suite à cette préconisation.
Nombreux sont ceux qui se sont émus face à la construction de ce mur. Ils proposent logiquement qu’une prise en charge médico-sociale soit engagée. C’est ce qui au premier abord apparait le plus raisonnable au regard de la situation de ces personnes très dépendantes.
« C’est très choquant »
La sociologue de l’Inserm et spécialiste des politiques de réduction des risques, Marie Jauffret-Roustide explique que « La construction de ce mur est le symbole de l’échec de la politique française trop centrée sur la répression de l’usage de drogues ». Interrogé pour le Bondy-Blog par Héléna Berkaoui, elle précise que « La législation, depuis la loi de 1970 sur la prohibition des drogues, n’a fait que se durcir ». « les personnes qui sont sur ces scènes sont extrêmement désinsérées, elles sont dans des situations de précarité sociale très importantes ». Il faut une approche médico-sociale
Un débat confisqué par les élu(e)s de droite
Cette situation occupe désormais une place significative dans les joutes électorales, qu’elles soient municipales ou nationales. Et là les bras m’en tombent. Que nous disent les élus ? Un retour en arrière est nécessaire et c’est Marie Jauffret-Roustide qui rafraîchit notre mémoire.
En 2010, une expertise collective de l’Inserm confirme l’intérêt des salles accueillant des toxicomanes dites salles de shoot permettant d’apporter une première réponse sanitaire et sociale. Il en est recommandé l’expérimentation, avec le soutien de la Ministre de la Santé, (Roselyne Bachelot). Mais à l’époque, cette proposition est accueillie par une fin de non-recevoir par le Premier ministre, François Fillon, et par le président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies (MILDT), Etienne Apaire. Pourtant, précise la sociologue, « quand les toxicomanes ont le choix, ils préfèrent consommer à l’abri des regards et dans des espaces protecteurs ».
Plus récemment Rachida Dati s’en prend à Anne Hidalgo accusée de tous les maux. Une seule solution pour l’égérie de Nicolas Sarkozy : la contrainte. « Non seulement les salles de shoot ne soignent pas les toxicomanes, mais en plus leur présence rend le quartier invivable pour les riverains. Il faut cesser et contraindre les toxicomanes à être hospitalisés » écrit-elle. Elle affirme de façon péremptoire qu’il n’y a pas de démarche de soins dans ces lieux d’accueil où les toxicomanes prennent des produits de substitution.
En 2011 Xavier Bertrand se disait « scandalisé » face aux propos de Martine Aubry lorsqu’elle souhaitait dépénaliser l’usage du cannabis. Aujourd’hui, le candidat qui s’est autodésigné à l’élection présidentielle demande plus de répression non seulement des dealers, mais aussi des consommateurs qui devront payer « immédiatement » des amendes quitte à ce qu’elles soient saisies sur le montant du RSA (qui rappelons-le est un revenu considéré comme insaisissable). Comme Rachida Dati, il préconise une obligation de soin. De son côté Gérald Darmanin refusera la mise en place d’une salle de consommation à Lille.
Valérie Pécresse, elle aussi, a multiplié les effets d’annonce en appelant à la désintoxication forcée et de l’obligation de soins présentées comme la seule optique de soins pour les usagers de crack. La candidate à l’élection présidentielle s’inscrit dans un discours martial inscrit dans une surenchère entre les différents candidats.
Finalement, ces candidats que l’on nomme de droite dans l’échiquier politique ne proposent pas de solution médico-sociale. Ils accusent les salles de consommation à simple risque d’être des vecteurs de désordre et instrumentalisent les « riverains » en voulant parler en leur nom. Cette volonté de ne traiter un problème social uniquement par la répression et la contrainte nous montre combien l’idéologie nuit à la réalité des faits.