Aider les femmes victimes de violences en milieu rural : 3 grands obstacles à surmonter

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Aucun territoire ou milieu social n’est épargné face aux violences faites aux femmes. Un récent article de la Gazette Santé social qui parle de la riposte du monde rural invite à revenir sur ce sujet. En milieu rural, il est particulièrement difficile d’intervenir en soutien des femmes victimes de maltraitances. Les signalements sont moins nombreux comme le confirme Judith Chetrit dans son article. Elle nous apprend que seulement un quart des appels pris en charge par le numéro spécial 3919 provenaient de départements essentiellement ruraux alors que quasiment un féminicide sur deux s’y produit.

Ces difficultés s’expliquent, mais il est difficile d’y remédier. J’avais écrit sur ce sujet il y a quelques années en pilotant un rapport sur les actions collectives en direction des femmes victimes de violences en milieu rural. Voici ce que que l’on peut en retenir. Tout cela me semble encore d’actualité.

De nombreuses femmes n’ont pas véritablement conscience de la gravité des situations qu’elles subissent. Ce sera donc par des signes extérieurs qui leur seront renvoyés qu’elles pourront progressivement mesurer combien ce qu’elles vivent est anormal et surtout qu’il existe des voies de sortie. Ces femmes en milieu rural se retrouvent dans un grand isolement notamment si elles dénoncent ce qui se passe pour elles comme l’explique ces deux témoignages :

« Mon ex-mari était très estimé par les gens du bourg, il l’est toujours d’ailleurs. Les personnes à qui j’essayais de dire ce que je vivais ne me comprenaient pas et ne pouvaient même pas s’imaginer cela possible. Il a d’ailleurs essayé de me faire passer pour folle. Il voulait me faire interner. J’ai failli accepter. J’ai même pensé mettre fin à mes jours. Je ne voyais pas ce que je pouvais faire de mieux. Je me sentais mauvaise épouse et mauvaise mère. Je ne souhaitais pas que mes filles puissent souffrir de mon comportement que je jugeais mauvais. Les amis avec lesquels nous avons un peu pu parler nous conseillaient de nous retrouver seuls tous les deux. Ils m’ont conseillé de ne pas m’en aller car cela être «une sacrée claque» pour mon mari, par rapport aux gens du village… Quand j’ai pris ma décision de partir, j’ai voulu avertir quelques voisins proches et quelques personnes à qui je pensais pouvoir faire confiance. Certains ont éclaté en sanglots, d’autres ont tenté de me convaincre de rester et beaucoup m’ont tourné le dos ».

Un autre témoignage est tout autant révélateur

« Je vis dans un village de 1500 habitants où tout le monde se connaît. Mon conjoint est violent dans ses paroles, ses gestes et a un regard très critique, rien ne lui convient. Ses paroles ne sont que du mépris, ds menaces, des insultes que ce soit envers moi ou envers les enfants. Dans ses gestes, il tente de défoncer les meubles au poing et fait voler en éclat des objets. Il me donne des coups de pied dans les jambes, des coups de poing dans le dos. Il est jaloux. Il essaye de faire croire à ma famille que tout est de ma faute ; du coup je n’ai plus de famille qui pense que je suis folle, qu’il faudrait me faire enfermer ; je n’ai plus non plus d’amis, d’ailleurs ! Les seules personnes qui viennent sont celles qu’il invite, et sa famille uniquement. Pour tenter de trouver de l’aide, la seule possibilité est de partir, seulement il faut oser parce que c’est la peur qui retient. Et quand on essaie de parler, alors qu’on arrive à prononcer une phrase compréhensible, c’est limite si on n’est pas folle, alors autant se taire… »

3 freins majeurs à dépasser

La prise en compte des violences faites aux femmes en zones rurales est particulièrement délicate. Trois principales raisons expliquent assez simplement les difficultés rencontrées : Il y a d’abord l’absence de structures d’accueil spécialisé, viennent ensuite les difficultés de mobilité et l’isolement géographique, enfin la difficulté d’obtenir une garantie de l’anonymat, alimentée par la crainte du regard des proches dans des zones d’habitation où tout le monde se connaît.

1. L’absence de structures d’accueil et d’écoute spécialisées

L’absence de structures d’accueil et d’écoute spécialisées est une évidence et une réalité incontournable. Malgré la volonté de réaliser un maillage important des territoires, il reste difficile dans certaines régions de disposer d’une écoute par des structures spécialisées suffisamment proche des femmes qui habitent en zone rurale. L’utilisation de téléphones (numéros verts), l’Internet peuvent répondre pour partie à ces difficultés. Mais cela nécessite de veiller à ce que les communications ne laissent pas de trace et ne permettent pas à un tiers d’avoir accès aux numéros appelés ou aux sites visités.

Particulièrement, il s’agit d’expliquer aux utilisatrices la manière d’agir pour qu’elles puissent elles-mêmes effacer les éléments qui identifient leur navigation sur internet. Si le téléphone et l’utilisation de l’Internet peuvent être un des premiers moyens de contact, il n’en demeure pas moins que c’est alors la femme victimes qui fait le premier pas. Cela veut dire que la personne a déjà pris conscience de sa situation, ce qui n’est pas toujours le cas.

2. Les difficultés de mobilité et l’isolement géographique

C’est un problème essentiel récurrent et souvent très difficile à résoudre. L’absence de moyens de locomotion individuels est un réel frein à l’accès à l’autonomie. Mais l’acceptation de la mobilité n’est pas uniquement liée à l’absence de moyens de transport. Elle est un facteur culturel. Certaines femmes ont de réelles difficultés pour envisager de se déplacer en zone urbaine. Il faudra alors qu’elles soient accompagnées, car elles sont vite perdues.

Une des solutions à ce problème passe par des actions de lutte contre l’isolement. Dans certains Départements, il a pu être mis en place des programmes financés par des fonds européens qui ont permis la mise en réseau de femmes vivant en zone rurale. Ce type d’action favorise l’entraide et la création de services de type covoiturage ou de garde d’enfants. Ces services s’appuient sur un fort bénévolat et contribuent au développement du lien social et à la solidarité. Il semble important de permettre ce type de mobilisation et de s’en donner les moyens. J’avais pu, pour ma part en mener une en Pays de Retz en Loire Atlantique. Grace à un financement européen doublé de celui du département, environ 200 femmes avaient pu se retrouver dans des réseaux d’entraide non loin de là où elles habitaient ». Il m’avait fallu plus d’un an avec une collègue pour construire ce réseau en mettant en place des permanences dans les différentes communes. C’était passionnant. Et le résultat dépassa nos espérances.

3. Offrir une garantie d’anonymat et pouvoir répondre à la crainte du regard des proches

Cela peut paraitre évident pour certains mais ce n’est jamais acquis. Lorsque la voiture de l’assistante sociale est garée dans un bourg, un village ou dans une ferme, celle-ci est rapidement identifiée. Les professionnels agissent dans des lieux où « tout le monde se connaît ». Cette particularité peut être une aide mais aussi une forte contrainte. En effet dans les bourgs en campagne les mécanismes de rumeurs peuvent plus facilement se développer qu’en zone urbaine. Il est donc nécessaire d’en tenir compte et justifier par des motifs secondaires, tels que l’aide à la gestion administrative, soutien budgétaire, aide autour de l’éducation des enfants… J’ai pu aussi expérimenter cela.

Si les raisons de l’intervention du travailleur social sont considérées comme normales dans l’environnement de la personne victime, il sera d’autant plus facile de travailler avec elle dans le champ de la protection et la prévention des violences. Si par contre le travailleur social est perçu comme un étranger venant porter un regard susceptible de causer des troubles, il rencontrera alors difficultés importantes pour être reconnu par les femmes et par leur entourage.

C’est pourquoi il est important que l’intervention des travailleurs sociaux puisse être clairement identifiée comme non menaçante à travers des offres de services utilisables par tous. L’ancrage au territoire des professionnels, la garantie de leur discrétion, leur disponibilité, et leur intérêt pour l’autre sont autant de moyens qui permettent d’atteindre les personnes les plus fragiles.

Former et soutenir les professionnels qui interviennent en zones rurales

Il est nécessaire de proposer aux aidants qui sont au contact de ces femmes en zone rurale des temps de formation et de sensibilisation à leur écoute. Le public prioritaire est constitué pour une part de travailleurs sociaux qui interviennent dans le cadre de permanences décentralisées. Une attention particulière devrait être portée en direction des professionnels qui interviennent via la Mutualité Sociale Agricole, les centres communaux d’action sociale (CCAS) – souvent petits et sans professionnels formés qui agissent souvent avec leur seule « bonne volonté ».

Les assistants de service social des Départements dont le secteur est en territoire rural, animent pour certains des permanences décentralisées.   Mais celles-ci ont tendance à diminuer. De nombreux professionnels n’interviennent plus que sur rendez-vous. C’est très dommage. Il est tout autant nécessaire de réhabiliter les visites à domicile. Des permanences les jours de marché peu éloignées peuvent offrir une opportunité à une femme victime de rencontrer un travailleur social pour se renseigner.

Il faut en convenir, il reste difficile pour une femme maltraitée de prendre rendez-vous avec un travailleur social. Il lui faudra souvent invoquer un prétexte particulier pour pouvoir rencontrer ce type de professionnel. Cela pourra être par exemple à l’occasion d’une consultation PMI ou encore lorsqu’il s’agit de remplir les imprimés pour la Mutualité Sociale Agricole qui gère les allocations familiales mais aussi d’autres prestations en direction des familles d’agriculteurs. Pour les personnes qui ne relèvent pas de ce régime, ce sera la CAF. Mais problème, les permanences sociales en zone rurale ont disparu avec la dématérialisation.

Les professionnels intervenants dans les zones rurales ainsi formés doivent pouvoir bénéficier de soutien à distance. En effet, ils ne peuvent rester seuls face à la situation. Ce travail à distance doit pouvoir leur permettre d’élaborer des solutions qui tiennent compte de la réalité de la personne. Dans certaines situations, il leur sera relativement simple de provoquer une rencontre en toute discrétion. En d’autres circonstances, cette discrétion nécessaire sera rendu quasi impossible et justifiera d’autres stratégies. Une articulation avec les services de gendarmerie reste indispensable. D’où l’intérêt de déployer de travailleurs sociaux au sein des unités de gendarmerie. J’ai quelques exemples en tête où des travailleurs sociaux intervenant dans ce cadre ont pu agir de façon remarquable et ont ainsi évité des drames.

Tout cela est délicat, difficile à mettre en œuvre, mais quand un travailleur social est bien implanté dans son territoire rural, il lui sera aussi possible de mener des actions de prévention. Il pourra aussi s’appuyer, là où il y en a, sur les travailleurs sociaux qui interviennent dans les gendarmeries. Ils sont souvent en première ligne avec les forces de l’ordre quand la situation dégénère.

 

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