Cet argumentaire reprend une partie de mon intervention lors des journées d’études de l’ANAS de Nantes à l’occasion d’une table ronde intitulée « Retrouver le sens et le lien dans le contexte actuel de l’action sociale » J’avais fait état des principaux défis qui, à mon sens, sont posés aux travailleurs sociaux aujourd’hui…Il y en a certainement d’autres.
Il y a d’abord le manque de reconnaissance de l’utilité de notre travail : L’aide et L’assistance sont de plus en plus perçues comme de l’assistanat. En effet 64% des Français pensent que s’ils le voulaient, les chômeurs pourraient retrouver un emploi. 76% des personnes interrogées estiment qu’il est parfois plus avantageux de percevoir les minima sociaux que de travailler. 53% considèrent que le RSA incite les gens à ne pas travailler. Ce chiffre était de 31 % en 2009. L’opinion s’est retournée entre 2008 et 2014. En fait, les Français pensent que l’aide apportée par les pouvoirs publics aux familles très modestes est suffisante. Cette opinion a plus que doublé, puisqu’elle est passée de 31 à 63 %. Ainsi, une majorité de Français pensent que finalement, les personnes qui vivent dans la pauvreté n’ont pas fait les efforts suffisants pour s’en sortir et que lorsque l’on est aidé par la solidarité nationale, on profite d’un système.Il y a aussi l’idée que les classes moyennes payent pour les autres. Ce contexte constitue le premier élément des difficultés que nous rencontrons aujourd’hui.
Le deuxième élément est interne à nos organisations de travail : Il s’agit de la complexité des dispositifs et l’accès aux droits de plus en plus conditionnés. Par le passé, nous avions un droit qui était général, pour tous. Nous n’avions pas besoin de remplir des tonnes de formulaires pour justifier une pratique ou une démarche d’une personne allant vers l’emploi et être assurée qu’elle puisse toucher le minima social prévu par la loi.
Le 3ème élément lié au précédent est plus large : nos institutions produisent de plus en plus de bureaucratie. Ainsi, non seulement nous appliquons les lois votées par les élus, mais nous sommes enfermés dans une machinerie et une logique administrative qui perd son sens. Les États Généraux, le CSTS, tout le secteur professionnel critiquent ces politiques de dispositifs. Tout le monde s’en plaint. À l’inverse, je vois ces dispositifs grandir, prospérer et continuer à avancer de façon quasiment automatique. Ainsi, nous n’avons pas trouvé de remède ni de solution à ce problème. Nous avons effectivement des leviers possibles. Nous sommes assez d’accord, sur les constats mais reconnaissons tout de même que pour l’instant, nous sommes dans une impasse.
Il va donc falloir retravailler la question du lien avec les citoyens avec une autre approche. Pour autant dans les centres médico-sociaux, nous percevons bien les tensions. Nous accueillons des usagers qui viennent dire leur ressenti d’injustice, voire même de honte. On sent aussi une montée de l’intolérance ou des recettes faciles énoncées de façon abruptes : « Y’a qu’à… faut qu’on.. ». Effectivement, on ne peut pas répondre à des situations complexes en très peu de temps et avec des réponses simples, voire simplistes. L’intolérance augmente en situation de crise et c’est toujours le plus fragile qui a tort. Le personnes marginales ont du soucis à se faire sur ce sujet.
Enfin nous sommes face à une gestion du temps et des priorités problématiques. Les priorités posées par nos institutions ne sont pas celles des personnes que nous accompagnons. Nous avons nécessité d’aller vers les personnes alors qu’aujourd’hui nous n’y arrivons plus, puisque les rendez-vous s’établissent fréquemment avec des délais de plusieurs semaines. Il y a là un paradoxe. Il nous est demandé d’aller vers la population alors que celle ci doit attendre pour pouvoir nous rencontrer dans des délais raisonnables. Beaucoup de monde qui demande à être reçu par le service social… Si nous voulons innover – je vous prends au mot – prenons des temps et des espaces pour le faire. Sortons le nez du guidon et permettons-nous de ne pas être tout le temps dans la construction de partenariats qui sont certes utiles mais ne répondent pas toujours loin de là aux besoins des personnes en difficulté.
Comment répondre à ces défis qui nous sont posés ? Nous aurions sans doute aimé que les Etats Généraux du Travail Social en prenne la mesure et se penchent sur ces difficultés spécifiques.. Certains aspects de ce défis sont abordés dans les récents rapports remis au ministère mais certaines propositions risquent d’être assez contre productives…
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