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Le smartphone, ce pharmacon à la fois remède, poison, et bouc émissaire

Les écrans, et en particulier les smartphones, continuent de susciter de vifs débats quant à leur rôle dans notre société. Bernard Stiegler, lors d’un colloque à Paris, avait introduit, il y a dix ans, l’idée que ces dispositifs possèdent des « pouvoirs à la fois toxiques et curatifs ». Il justifiait ainsi l’utilisation du terme de pharmacologie pour les décrire. Cette discipline scientifique étudie les interactions entre une substance active et l’organisme dans un but thérapeutique, une analogie pertinente pour comprendre l’impact des technologies numériques sur nos vies.

Le smartphone : remède ou poison ?

En Grèce ancienne, le pharmakon désignait à la fois le remède, le poison et le bouc-émissaire. De manière similaire, le smartphone peut être vu comme un outil aux effets ambivalents : bénéfique lorsqu’il est utilisé avec modération et discernement, mais potentiellement destructeur s’il est employé sans limites.

Pierre Marc de Biasi, directeur de recherche émérite au CNRS, a écrit en 2018 un ouvrage intéressant intitulé « le 3ème cerveau ». C’est du smartphone, bien évidemment, qu’il s’agit. Ce troisième cerveau, cet outil numérique personnel, est aujourd’hui l’endroit où nous déchargeons notre mémoire. Pierre Marc De Biasi souligne que cet outil « n’est qu’un instrument à travers lequel ce sont les pathologies de notre propre société qui s’expriment et s’exacerbent ». Cette réflexion nous montre la manière dont le smartphone, bien plus qu’un simple appareil, est en quelque sorte un miroir des dysfonctionnements sociétaux.

Des effets différenciés de l’utilisation des écrans

Les impacts des écrans sur la santé mentale continuent de susciter des préoccupations croissantes. Il faut quand même être nuancé sur cette problématique. Alors que les écrans sont devenus omniprésents, leur influence sur le bien-être psychologique de chacun justifie une attention particulière.

Selon une étude internationale datant de 2023, il est estimé que 14 % des jeunes âgés de 10 à 19 ans présentent des problèmes de santé mentale. Cela représente, à l’échelle mondiale, 13 % de toutes les maladies affectant cette population. La dépression, l’anxiété et les troubles du comportement figurent parmi les principales causes de maladie et d’invalidité chez les adolescents, et le suicide est déjà la quatrième cause de décès chez les 15-19 ans.

Les effets différenciés de l’utilisation des écrans

Les recherches actuelles montrent aussi que l’impact des écrans ne dépend pas uniquement de la durée d’exposition. Le type d’utilisation et le contenu consommé jouent également un rôle important. L’utilisation des écrans à des fins éducatives n’est pas nécessairement associée à des problèmes de santé mentale. C’est important de le souligner.

En revanche, une utilisation excessive pour des activités sociales ou récréatives (type le scrolling ou l’usage des réseaux sociaux) est liée à une diminution du bien-être mental chez les adolescents. Il est donc essentiel de considérer la nature des interactions numériques, et pas seulement le temps passé devant les écrans. Or on a peu tendance à regarder cela.

Des recommandations issues des travaux de recherche

Un groupe d’experts a recommandé des restrictions strictes sur l’utilisation des écrans pour les jeunes enfants. Ils suggèrent une interdiction totale pour les moins de trois ans et une limitation stricte jusqu’à six ans.

Ces recommandations vont au-delà des directives de l’Organisation mondiale de la santé. Elles soulignent les risques associés à l’exposition précoce aux écrans, notamment pour le développement cognitif et social. Cependant, leur mise en œuvre dans la législation reste à voir. Là il y a une grande inertie ne serait-ce que pour contraindre les réseaux sociaux ou les sites pornographiques à modifier leurs pratiques.

Comprendre les mécanismes sous-jacents

Les recherches explorent aussi les mécanismes neurologiques sous-jacents des effets des écrans. Une étude menée par des chercheurs de Yale a identifié des changements spécifiques dans le développement cérébral. Ces changements sont observés chez les jeunes utilisant fréquemment des technologies numériques.

Cela pourrait expliquer l’augmentation des problèmes d’intériorisation, tels que la dépression et l’anxiété. Ces découvertes soulignent la nécessité d’une compréhension approfondie des relations entre l’utilisation des écrans et le développement cérébral. à l’heure où les dépressions des jeunes a pris une ampleur sans précédent, il y a de quoi se poser des questions.

Santé publique France a publié en début d’année les résultats sur la santé mentale de l’enquête nationale en collèges et en lycées chez les adolescents sur la santé et les substances (EnCLASS). C’est une enquête au long cours menée par l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Et là les résultats sont inquiétants.

Plus de la moitié des jeunes interrogés (51% des collégiens et 58% des lycéens) présentent des plaintes psychologiques ou somatiques récurrentes. (c’est-à-dire au moins deux plaintes plus d’une fois par semaine durant les six derniers mois). Les plaintes les plus fréquemment rapportées sont la difficulté à s’endormir, la nervosité, l’irritabilité et le mal de dos. Pire, 14% des collégiens et 15% des lycéens présentent un risque important de dépression. Cette réalité est inquiétante quand on sait combien il est difficile d’obtenir des rendez-vous rapides auprès de spécialistes.

Une des hypothèses à retenir est que beaucoup plus de jeunes qu’on ne le croit sont victimes des applications qui visent à les soumettre aux diktats des réseaux sociaux. Comme le précise une commission de dix experts présidée par le Pr Amine Benyamina, et la Dre Servane Mouton, sollicité par le président de la République : « Nous ne pouvons accepter que les enfants deviennent des marchandises scotchées à des systèmes de récompense pensés par des experts en sciences du comportement pour être irrésistibles ».

Irons-nous vers une utilisation équilibrée des applications sur les smartphones ?

On commence à percevoir la nocivité des effets de certaines applications sur la santé mentale des jeunes. Bien que ceux-ci puissent offrir des opportunités d’apprentissage et de socialisation, leur utilisation excessive ou inappropriée a des conséquences souvent très néfastes. Elle favorise le développement de pathologies liées à l’anxiété ou encore à l’estime de soi.

Il est donc essentiel de promouvoir une utilisation équilibrée des smartphones, vecteurs du développement des réseaux sociaux. Cela ne concerne pas que les jeunes d’ailleurs. Le travail de prévention devrait s’engager en tenant compte des besoins individuels et des contextes sociaux. Laissons la conclusion au Dr Caroline Semaille, Directrice générale de Santé publique France.

Les études convergent, dit-elle. « La santé mentale des adolescents s’est dégradée, en France comme à l’international …/… Il est essentiel de poursuivre la mise en œuvre d’actions pour libérer la parole autour du mal-être, informer et orienter les jeunes vers les ressources et aides existantes. »

Elle rappelle également que chacun peut prendre soin de sa santé mentale en adoptant des comportements bénéfiques pour son bien-être. Comme pratiquer une activité physique, prendre du temps pour des loisirs, dormir suffisamment, aider les autres… Promouvoir la santé mentale, prévenir l’apparition de troubles psychiques et lutter contre la stigmatisation sont des enjeux de santé publique sur lesquels les pouvoirs publics doivent s’engager pleinement pour accompagner les adultes de demain.

Les parents, les éducateurs et les décideurs politiques doivent travailler ensemble. C’est loin d’être le cas partout. Il est essentiel que la communauté scientifique avance sur ce sujet et que ce sujet devienne une priorité nationale.

Sources:

 


Jeunes étudiants photo créée par lookstudio – fr.freepik.com

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Une réponse

  1. Cet article soulève des points très pertinents sur le smartphone en tant que double tranchant. Pour ma part, je trouve fascinant comment cet objet, à la fois remède et poison, a pris une place centrale dans notre quotidien. D’un côté, il nous offre des outils incroyables pour rester connectés et accéder à une mine d’informations, ce qui est indéniablement un avantage. De l’autre, je ne peux ignorer les effets négatifs sur notre bien-être mental et la manière dont il peut devenir un poison. Ce dilemme me fait réfléchir à la manière dont nous devons apprendre à équilibrer notre utilisation de la technologie, pour qu’elle devienne un véritable outil d’amélioration et non une source de mal-être. Et vous, comment gérez-vous cet équilibre dans votre vie quotidienne ?

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