Les violences conjugales ne se limitent pas aux coups et blessures, vous le savez. Derrière les portes closes, bien des victimes subissent une autre forme de domination insidieuse et destructrice : le contrôle coercitif. Ce mécanisme d’emprise psychologique, encore largement méconnu, est pourtant au cœur des dynamiques d’oppression dans les relations abusives. Comment le définir, l’identifier et surtout y répondre ? Cet article se propose d’analyser de ce phénomène, en s’appuyant sur des exemples. Le rôle des travailleurs sociaux est de comprendre et de déceler cette forme de violence que les victimes ont du mal à prendre en compte. Il est nécessaire que la loi intègre ce phénomène qui se développe à bas bruit.
Le « contrôle coercitif », en tant que mécanisme de domination a été débattu au Sénat, le 3 avril dernier. Il devait faire l’objet d’une nouvelle infraction à part entière dans le cadre de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Mais les sénateurs en ont décidé autrement. Ils ont proposé d’intégrer le contrôle coercitif à la loi qui existe déjà sur le harcèlement sur conjoint, avec des peines entre cinq et dix ans de prison.
Qu’est-ce que le contrôle coercitif ?
Le contrôle coercitif est un ensemble de comportements abusifs visant à priver une personne de son autonomie et à instaurer un climat de peur et de soumission. Margaux Stive journaliste à France Infos donne quelques exemples après avoir interrogé plusieurs femmes victimes de ces violences : « C’est un vêtement qu’elle n’a plus le droit de porter. Des amis, des proches qu’elle ne peut plus voir. Un vernis à ongle interdit. Des coups de fils à répétition auxquels elle est obligée de répondre. » Les victimes doivent rendre sans cesse des comptes, expliquer où elles sont allées. Je me souvient une secrétaire médico-sociale là où je travaillais, qui ne pouvait sortir sans son mari. C’est lui qui l’accompagnait le matin et venait la chercher en fin de journée. Il était présent même aux temps de pauses. Nous ne savions pas comment aborder ce problème avec elle. Certains disaient que cela ne nous regardait pas.
Le « contrôle coercitif » est une tyrannie domestique, souvent invisible en dehors de la maison. Elle peut parfois déborder dans l’espace public au point que l’entourage se rend compte de ce qui ne va pas. Contrairement aux violences physiques, il s’agit ici de manipulations psychologiques répétées qui enferment la victime dans une relation d’emprise. Ce concept, essentiel pour comprendre certaines formes de violences conjugales, est pourtant encore peu reconnu dans le droit français.
Comme l’explique Yaël Mellul, avocate spécialisée dans les violences conjugales, « le contrôle coercitif est une violence psychologique qui repose sur la domination quotidienne d’un partenaire sur l’autre ». Il peut inclure des pratiques telles que l’interdiction de sortir, la surveillance constante via des outils numériques ou encore la manipulation financière. Ces comportements ne sont pas isolés, mais s’inscrivent dans une stratégie globale visant à maintenir la victime sous emprise.
Une violence qui ne laisse pas de traces visibles
Contrairement aux coups, le contrôle coercitif ne laisse pas de marques physiques. Il agit sur l’esprit et les émotions, créant un climat de terreur où chaque geste ou parole est contrôlé. Par exemple, un agresseur peut interdire à sa partenaire de voir ses amis ou sa famille, surveiller ses déplacements via une application GPS ou lui imposer des tâches domestiques incessantes. Ces actes répétés détruisent peu à peu la confiance en soi et la capacité d’agir librement.
Un témoignage recueilli par Franceinfo illustre bien cette réalité : « Mon mari avait installé une application sur mon téléphone pour suivre tous mes déplacements. Il savait où j’étais à chaque instant et m’interdisait de sortir sans son autorisation ». Ce type de contrôle numérique est devenu courant dans les violences conjugales actuelles. Le contrôle numérique peut aller plus loin : surveillance des comptes et des messageries tels les SMS ou les réseaux sociaux.
Comment identifier le contrôle coercitif de façon concrète ?
Ce mode de contrôle peut être difficile à repérer. En effet, il se manifeste souvent par des comportements subtils, mais répétitifs. Cependant, certains signes peuvent alerter :
- Il y a la surveillance numérique : c’est utilisation d’applications pour traquer les déplacements via GPS, mais aussi l’espionnage des communications ou l’accès non autorisé aux comptes personnels (email, réseaux sociaux).
- Une forme d’isolement social doit aussi vous alerter : elle se traduit par exemple à une limitation des contacts avec la famille et les amis. L’objectif est alors de couper la victime de ses soutiens extérieurs.
- Il est question aussi des manipulations financières : ce sont la privation d’accès à ses propres ressources économiques gérées pas le conjoint. Celui-ci contrôle strictement toute dépense. Il peut aussi être amené à interdire à sa femme de travailler. Cela peut s’opérer de façon subtile : « l’idéal » est que la victime accepte elle même de ne pas travailler parce que sinon « ce serait compliqué » pour la gestion du quotidien.
- Enfin il y a les pressions sexuelles : nous entrons là dans le domaine de l’intime et seule la parole de la victime peut nous éclairer. Ce type de pression se traduita par l’imposition d’actes sexuels sans consentement ou l’utilisation du sexe comme moyen de punition.
Un exemple représentatif évoqué par Franceinfo concerne un homme qui envoyait constamment des messages menaçants à sa compagne si elle ne répondait pas immédiatement. Certains agresseurs vont jusqu’à publier des informations humiliantes sur les réseaux sociaux pour discréditer leur partenaire et renforcer leur emprise.
Les technologies : alliées ou outils d’oppression ?
Il fallait s’en douter, dans notre société hyperconnectée, les smartphones et autres outils numériques sont devenus des instruments puissants de contrôle coercitif. Les agresseurs utilisent ces technologies pour surveiller leurs partenaires, limiter leur liberté et renforcer leur domination.
Par exemple, un agresseur peut utiliser une application comme « Find My Phone » pour suivre en temps réel les déplacements de sa compagne. D’autres installent des logiciels espions permettant d’accéder aux messages privés ou aux appels téléphoniques. Ces pratiques renforcent l’isolement social et augmentent la dépendance envers l’agresseur.
Que peuvent faire les travailleurs sociaux ?
Ce n’est pas évident. Il faut d’abord apprendre à déceler cette réalité alors qu’ils ne sont pas des enquêteurs. Face à ce phénomène complexe, les travailleurs sociaux occupent certes une position intéressante. Ils sont souvent les premiers interlocuteurs des victimes et jouent un rôle déterminant dans leur accompagnement.
Cependant, leur capacité à détecter le contrôle coercitif dépend largement de leur formation. Il leur est tout à fait possible de passer à côté de cette forme d’oppression si les victimes ne disent rien. Peut-être faudrait-il qu’ils soient sensibilisés à cette problématique pour ensuite pouvoir l’aborder dans leurs entretiens.
Pour être efficaces, les professionnels du travail social doivent être formés aux mécanismes du contrôle coercitif. Cela implique d’apprendre à repérer les signes subtils d’emprise psychologique et d’utiliser des outils adaptés lors des entretiens avec les victimes. Par exemple, poser des questions ciblées sur l’usage des technologies dans le couple ou sur les restrictions imposées par le partenaire peut aider à identifier ces comportements abusifs.
Les travailleurs sociaux peuvent aussi aider à la sécurisation numérique des victimes. Ils peuvent conseiller ces dernières sur la manière de protéger leurs appareils contre l’espionnage (par exemple en désactivant certaines applications ou en changeant leurs mots de passe). De plus, ils doivent être capables d’orienter les victimes vers des structures adaptées car celles-ci maitrisent particulièrement bien ce sujet.
Il faudrait légiférer sur le contrôle coercitif
Malgré sa gravité, le contrôle coercitif reste largement ignoré par notre système judiciaire. Sa reconnaissance légale pourrait transformer la lutte contre les violences conjugales en offrant aux victimes une meilleure protection. Il s’agirait en même temps de sensibiliser davantage le corps social.
« Pour sortir de cette impasse que la notion de « contrôle coercitif » pourrait tout changer estime l’avocate de Pauline, Me Pauline Rongier. Comme d’autres, elle estime que faire du « contrôle coercitif » une infraction à part entière dans la loi pourrait faciliter le travail de la justice dans ce genre de cas » explique-t-elle sur France Infos.
Dans certains pays comme le Royaume-Uni, le contrôle coercitif est déjà criminalisé depuis plusieurs années. Cette législation permet non seulement de sanctionner ces comportements, mais aussi d’utiliser des preuves numériques (messages menaçants, données GPS) devant un tribunal. En France, une telle loi serait un véritable levier pour mieux comprendre ce phénomène et agir efficacement contre lui.
L’avocate Yaël Mellul plaide pour une reconnaissance juridique du contrôle coercitif afin « d’éduquer la société sur cette forme insidieuse de violence ». Une telle loi aurait également un effet préventif en dissuadant les agresseurs potentiels tout en sensibilisant davantage le grand public aux dangers de cette pratique intrusive et liberticide.
Une loi spécifique permettrait aussi d’améliorer la prévention en intégrant cette notion dans les campagnes nationales contre les violences conjugales. Elle offrirait aux professionnels de l’aide et du soin un cadre juridique clair pour intervenir auprès des victimes tout en renforçant leur crédibilité auprès des institutions judiciaires.
Conclusion : agissons ensemble contre une violence invisible
Le contrôle coercitif est une violence invisible mais destructrice. Elle nécessite une réponse collective. Les travailleurs sociaux ont un rôle central dans cette lutte en détectant ces comportements abusifs et en soutenant les victimes vers leur libération. Mais cela ne suffira pas sans une législation adaptée qui reconnaisse pleinement cette forme d’abus.
Ensemble – professionnels du social, juristes et citoyens – nous devons œuvrer pour briser cette emprise qui est souvent masquée. Car chaque action compte pour redonner aux victimes leur liberté et leur dignité.
Sources
- Violences conjugales : le « contrôle coercitif », une notion clé pour lutter contre l’emprise de certains hommes sur leur compagne | Franceinfo:
- Violences conjugales : « Légiférer » sur le contrôle coercitif « permettrait une meilleure connaissance du phénomène », défend une avocate | Franceinfo:
Photo : @KamranAydinov freepik.com
Une réponse
Merci pour cet article vraiment très intéressant. Comme souvent quand je vous lis.