Le 19 mars 2024, dans une maison de Brandon, Mississippi, une adolescente de 14 ans nommée Carly Madison Gregg tuait sa mère d’une balle de revolver avant de tenter d’assassiner son beau-père. Six mois plus tard, en septembre, à peine âgée de 15 ans, elle était condamnée à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Début septembre 2025, ses avocats ont déposé un recours devant la Cour suprême du Mississippi. Ils dénoncent une sentence jugée inconstitutionnelle pour une mineure. Depuis, c’est le silence. Aucun article de presse ne prend explicitement la défense de cette mineure. Aucun programme éducatif ne lui est proposé. La machine judiciaire a parlé, et Carly Gregg va désormais passer le reste de sa vie incarcérée, dans l’unité pour jeunes délinquants du Centre correctionnel central du Mississippi à Pearl.
Cette situation soulève une question vertigineuse : Qu’est-ce qu’une société qui condamne ses enfants à mourir en prison, sans leur offrir une seconde chance ?
Un drame familial révélateur d’une détresse ignorée
Certes, ce qu’a fait Carly Gregg est horrible. Les faits sont d’une violence indiscutable. Sa mère, Ashley Smylie, enseignante de mathématiques de 40 ans très respectée localement, venait d’être informée par une amie que sa fille consommait de la marijuana. En rentrant, elle fouille la chambre de l’adolescente à la recherche de cigarettes électroniques. Pour Carly, c’est l’effondrement. Selon le témoignage du psychiatre Andrew Clark lors du procès, cette découverte représentait « une situation de crise » pour une jeune fille qui accordait une importance démesurée à ce que pouvait dire sa mère.
Ce qui s’est passé ensuite a été filmé par une caméra de surveillance installée dans la maison. Carly se dirige vers la chambre de ses parents, récupère un revolver Magnum 357 caché sous le matelas, le dissimule derrière son dos, retourne dans sa propre chambre et tire trois fois sur sa mère. Les images montrent ensuite l’adolescente revenant dans la cuisine, jouant avec ses chiens, envoyant des messages. Elle invite même une amie à venir voir le corps, lui demandant : « Es-tu sensible à la vue des cadavres ? ». Puis elle envoie un texto au téléphone de sa mère pour attirer son beau-père Heath Smylie à la maison : « Quand seras-tu à la maison chéri ? ». À son arrivée, elle tire sur lui mais ne parvient qu’à l’effleurer à l’épaule. Heath parvient à lui arracher l’arme et appelle les secours. Carly est arrêtée à moins d’un kilomètre de chez elle.
Une défense psychiatrique balayée par l’accusation

Le procès s’est déroulé dans un climat d’intense médiatisation. La défense de Carly Gregg a plaidé la démence, s’appuyant sur le témoignage de son psychiatre Andrew Clark. Pour lui, l’adolescente souffrait de dépression clinique, de troubles de l’adaptation et entendait des voix qui « empiraient » avant le drame. Clark a diagnostiqué un trouble bipolaire de type 2, estimant que Carly passait environ 60% de son temps dans un état dépressif. L’expert a également évoqué l’effet potentiel d’un changement récent de médication antidépresseurs, notamment l’arrêt de la sertraline quelques jours avant les faits. Selon la défense, la mémoire de Carly était devenue « vide » après avoir fait sortir son chien dans le jardin ce jour-là.
La maladie mentale a de longues racines dans les antécédents familiaux de Carly, y compris le trouble bipolaire, la dépression et la schizophrénie. Début 2024, Carly avait récemment arrêté des médicaments antipsychotiques et avait commencé à prendre du Lexapro – un médicament connu pour aggraver les symptômes bipolaires chez certains patients.
Mais l’accusation a présenté ses propres experts psychiatriques qui ont réfuté cette thèse. Ils ont qualifié les actes de Carly de « diaboliques » en insistant sur le fait qu’elle avait tenté de dissimuler son crime. En outre elle avait attiré son beau-père dans un guet-apens, ce qui aggravait son cas. Pour la partie civile ces comportements prouvaient que Carly comprenait «la nature, la qualité et le caractère répréhensible» selon les standards juridiques du Mississippi. Le procureur a martelé que l’adolescente savait exactement ce qu’elle faisait devant les jurés.
Le jury n’a délibéré que deux heures avant de la déclarer coupable de meurtre au premier degré, tentative de meurtre et falsification de preuves. La phase de détermination de la peine a pris moins d’une heure : perpétuité sans libération conditionnelle pour les deux premiers chefs d’accusation, plus dix ans pour le troisième. Les avocats estiment que les instructions du juge ont induit en erreur les jurés sur les options légales disponibles et que, en l’absence d’une recommandation spécifique du jury pour la perpétuité, Carly aurait dû recevoir une peine de 20 à 40 ans.
Un système qui punit l’enfance plutôt que de la soigner
Le cas individuel de Carly Gregg nous donne à voir un tableau inquiétant du traitement des mineurs dans le système judiciaire américain. Actuellement, 412 personnes purgent des peines de perpétuité sans libération conditionnelle pour des crimes commis alors qu’elles étaient mineures aux États-Unis. Moins de 100 nouvelles condamnations à perpétuité pour mineurs ont été prononcées dans les nouvelles affaires jugées depuis 2012. La Louisiane et la Géorgie représentent à elles seules plus de la moitié de ces cas. Vingt-sept États et le District de Columbia ont interdit les peines de perpétuité sans libération conditionnelle pour les mineurs, et dans neuf États supplémentaires, personne ne purge actuellement une telle peine.
Des enfants traumatisés traités en criminels
La quasi-totalité des jeunes condamnés à perpétuité ont vécu des parcours marqués par des traumatismes profonds. Une étude de l’UCLA publiée dans le Journal of Criminal Justice révèle que plus de 2.900 mineurs ont reçu des sentences de perpétuité sans libération conditionnelle depuis la fin des années 1940.
Ces jeunes proviennent majoritairement de milieux instables, caractérisés par la violence, la négligence et les abus. Evan Miller, l’un des auteurs d’une affaire de meurtre survenue en 2012, avait tenté de se suicider quatre fois avant l’âge de 6 ans. Kuntrell Jackson, un autre mineur avait grandi dans un environnement familial « immergé dans la violence », avec une mère et une grand-mère ayant toutes deux tiré sur d’autres personnes.
Les éléments relatifs à l’histoire personnelle Carly Gregg, ont été cité lors de son procès. Son père biologique, Kevin Gregg, a révélé qu’elle avait été placée en thérapie durant son enfance suite à des « problèmes de santé mentale ». Des écrits dans son journal faisaient état des pensées suicidaires de la jeune et d’interrogations sur une possible schizophrénie ou « rupture psychotique ». Ces informations n’ont pas suffi à convaincre le jury. Or cette adolescente de 14 ans en pleine crise méritait autre chose qu’une condamnation à mourir en prison.
L’esclavage pénitentiaire : une double peine pour les détenus
Une fois incarcérés, les jeunes condamnés à perpétuité ne font pas que purger leur peine : ils deviennent une main-d’œuvre captive et exploitée. Dans sept États du Sud — Alabama, Arkansas, Floride, Géorgie, Mississippi, Caroline du Sud et Texas — presque tout le travail effectué par les détenus reste non rémunéré. Sur les 1,2 million de personnes incarcérées dans les prisons d’État et fédérales, près de 800.000 sont des travailleurs pénitentiaires, la plupart contraints de travailler.
En Alabama, un procès intenté en 2023 par d’anciens et actuels détenus dénonce le système de travail pénitentiaire de l’État comme une forme d’« esclavage moderne ». Le recours accuse l’État de maintenir un « système de travail forcé » qui contraint les prisonniers à travailler sans rémunération ou pour des salaires dérisoires, sous la menace de sanctions allant de la perte de privilèges à l’isolement cellulaire et au transfert vers des établissements plus violents. Pour les détenus en programme de sortie temporaire qui travaillent pour des entreprises privées, l’État d’Alabama prélève 40% de leur salaire brut — ce que le procès a qualifié de « frais de trafic de main-d’œuvre » — en plus des déductions pour le transport et les services de blanchisserie.
Ce système trouve son origine dans le 13e amendement de la Constitution américaine qui, tout en abolissant l’esclavage, a créé une exception explicite : « Ni l’esclavage ni la servitude involontaire, sauf en punition d’un crime […] n’existeront aux États-Unis ». Cette clause a donné aux gouvernements des États la permission d’utiliser les personnes incarcérées pour un travail gratuit ou à des salaires largement inférieurs au minimum, avec des protections minimales.
L’absence de programmes éducatifs
Carly Gregg est actuellement détenue dans l’unité pour jeunes délinquants du Centre correctionnel central du Mississippi. Selon le site du Département des corrections du Mississippi, cet établissement ouvert en 2012 offre théoriquement des programmes éducatifs, des cours de formation professionnelle, des consultation psychatriques et psychologiques en groupes et en individuels. Il y a aussi des possibilités de traitement pour l’abus d’alcool et de drogues. Mais la réalité dans de nombreux établissements correctionnels pour mineurs est bien différente.
Une étude de 2015 du Centre de justice du Conseil des gouvernements d’État a révélé que seulement 13 États fournissent aux jeunes les mêmes services éducatifs que ceux disponibles dans la hors prison. Les services d’éducation spécialisée sont soit inadéquats soit inexistants. Les programmes d’études sont assurés par des enseignants non certifiés. Et les jeunes ont un accès limité aux cours avancés de mathématiques et de sciences.
Un rapport de 2018 du Southern Poverty Law Center a révélé que l’éducation fournie aux enfants dans les prisons pour adultes en Floride est soit pratiquement inexistante, soit gravement déficiente. Dans de nombreuses petites prisons, tous les enfants sont placés en isolement cellulaire pour les séparer des adultes et se voient refuser toute éducation. Bien que les jeunes dans les grandes prisons reçoivent souvent une meilleure éducation, ceux placés en isolement — soit pour des raisons disciplinaires, soit pour les séparer des adultes — restent exclus de la programmation éducative.
Ce que disent les instances internationales
Sur la scène internationale, les États-Unis font figure d’exception. L’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par 192 nations, interdit explicitement l’imposition de la perpétuité sans libération conditionnelle pour les crimes commis par des mineurs. « Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être imposés pour des infractions commises par des personnes de moins de dix-huit ans », stipule la Convention.
Le Comité des Nations Unies pour les droits de l’enfant a interprété cette disposition en insistant sur le fait que « la possibilité de libération devrait être réaliste et régulièrement examinée ». Plus encore, le Comité recommande que toutes les formes d’emprisonnement à vie soient abolies dans la mesure où « l’emprisonnement à vie d’un enfant rendra très difficile, voire impossible, la réalisation des objectifs de la justice pour mineurs». La Commission américaine des droits de l’homme partage ce point de vue, estimant qu’une peine d’emprisonnement à vie pour les enfants de moins de 18 ans rend impossible l’atteinte des objectifs que la punition dans le système de justice pour mineurs est censée servir, tels que la réhabilitation de l’enfant et sa réintégration dans la société.
Les États-Unis demeurent le seul pays au monde à condamner régulièrement des enfants à mourir en prison. Cette pratique est aujourd’hui largement condamnée par la communauté internationale comme une violation des droits humains fondamentaux.
Vers un autre modèle de justice ?
Le cas de Carly Gregg nous montre toutes les contradictions d’un système judiciaire qui peine à reconnaître la différence fondamentale entre un enfant et un adulte. Peut-on vraiment considérer qu’une adolescente de 14 ans souffrant de dépression, de troubles de l’humeur et d’hallucinations auditives avait la même capacité de discernement et de contrôle qu’un adulte pleinement formé ? Peut-on ignorer les données scientifiques qui démontrent que le cerveau des adolescents, en particulier les régions responsables du contrôle des impulsions et de l’évaluation des conséquences, ne sont pas entièrement développées ?
Les États-Unis ont pourtant démontré, avec plus de 1.000 libérations de personnes condamnées à perpétuité pour des crimes commis en tant que mineurs, que la seconde chance fonctionne. Le taux de récidive parmi ces personnes libérées est remarquablement bas. À Philadelphie, par exemple, où 174 « lifers » (condamnés à vie) juvéniles ont été libérés, seulement six (3,5%) ont été arrêtés à nouveau, et seuls deux (1%) ont fait l’objet de nouvelles condamnations — l’une pour outrage, l’autre pour vol au troisième degré. En comparaison, on estime que 30% des individus condamnés pour homicide sont arrêtés à nouveau dans les deux ans suivant leur libération.
La nécessité d’une parole engagée
À ce jour, aucun article de presse ne défend explicitement Carly Gregg. La plupart se contentent de relater les faits ou adoptent un ton accusateur. Le site créé par ses grands-parents maternels et son beau-père, Justice for Carly Gregg, pose la question qui dérange : « Ce cas devrait nous hanter tous — pas seulement à cause de ce qui s’est passé, mais à cause de la facilité avec laquelle nous avons permis qu’une enfant vulnérable devienne une meutrière ». Le site dénonce un procès médiatique qui a condamné Carly bien avant que le jury ne rende son verdict, dans un climat où « une jeune fille de 15 ans, clairement en détresse psychologique, a été dépeinte comme froide, calculatrice et diabolique ».
Il ne s’agit pas d’excuser l’inexcusable. La mort d’Ashley Smylie est une tragédie indescriptible. Une enseignante dévouée, une mère aimante, a été arrachée à sa famille de la manière la plus violente. Cete victime mérite justice, compassion et reconnaissance de la souffrance de leurs proches. Mais reconnaître cette douleur n’implique pas de renoncer à comprendre. Carly Gregg était une enfant. Une enfant malade. Une enfant qui appelait à l’aide dans un langage silencieux que trop d’adultes ont ignoré.
Mais condamner une adolescente de 14 ans à mourir en prison sans espoir de libération ni accès à des programmes éducatifs ou thérapeutiques n’est pas de la justice. C’est de l’abandon. C’est la reconnaissance d’un échec collectif — celui des systèmes de santé mentale, des établissements scolaires, du système judiciaire — à protéger et à soigner les enfants les plus vulnérables.
Les travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres et professionnels de l’accompagnement savent que la violence extrême chez un enfant est toujours le symptôme d’une souffrance profonde, d’un trauma non traité, d’un système qui a failli. Leur expertise nous enseigne que même les actes les plus terribles commis par des enfants peuvent être compris dans un contexte plus large — sans être excusés — et que ces enfants conservent une capacité de changement que les adultes ont souvent perdue.
Dans une société civilisée, la justice devrait s’accompagner d’une attention particulière envers ses membres les plus jeunes et les plus vulnérables. Carly Gregg mérite une seconde chance. Elle mérite un traitement psychiatrique adéquat. Elle mérite l’accès à l’éducation. Elle mérite la possibilité, un jour, de prouver qu’elle a changé, qu’elle a guéri, qu’elle peut contribuer positivement à la société. Lui refuser cette possibilité, c’est nous condamner nous-mêmes à perpétuer un système qui détruit plutôt que de réparer, qui punit plutôt que de transformer.
Si nous voulons une société plus juste, plus humaine, nous devons commencer par refuser l’idée que des enfants — aussi terrible qu’ait été leur acte — sont irrécupérables. Nous devons élever nos voix pour défendre leur droit à la rédemption. Nous devons exiger que nos institutions offrent des soins, de l’éducation et de l’espoir, même aux plus perdus d’entre nous.
Le cas de Carly Gregg nous interroge tous sur le genre de société que nous voulons. Une société qui abandonne ses enfants brisés, ou une qui croit encore au pouvoir de la guérison ?
Sources
- Murder of Ashley Smylie | Wikipedia
 - Race in the United States criminal justice system | Wikipedia
 - Carly’s Story | Justice for Carly Gregg
 - Carly Gregg Appeals Conviction for Murder of Mother to MS Supreme Court | Clarion Ledger
 - New study provides first nationwide window on juvenile ‘lifer’ population | UCLA Newsroom
 
Note : J’ai été alerté de la situation de Carly Gregg par Sandie Skeen développeuse d’applications qui lit régulièrement mon blog. Elle m’a fourni les sources des articles de presse (en anglais – traduites en français par une IA) qui m’ont permis de rédiger cet article.
Photo : Carly Gregg issu du site « justice pour Carly Gregg »
															


Il y a deux mois, Donald Trump a demandé que la loi soit modifiée afin d’inculper davantage d’enfants à l’âge adulte. Traiter les enfants comme des adultes va pourtant à l’encontre des connaissances scientifiques. Nous savons, grâce aux neurosciences et aux sciences du développement, que les enfants sont différents des adultes. Leur cerveau n’est pas encore complètement développé. ils prennent des décisions impulsives ; Ils sont enclins à la pression des pairs. La Cour suprême des États-Unis a déterminé qu’ils sont catégoriquement moins condamnables que les adultes. Le système juridique doit toujours en tenir compte ; Les enfants qui causent des torts restent des enfants et doivent être traités comme tels.
Le transfert des enfants dans le système des adultes est le signe d’un échec sociétal. Le fait de placer des enfants dans le système de justice pénale pour adultes indique que notre société les abandonne. Même les jeunes qui commettent les crimes les plus graves sont capables de changer. « C’est simple. Faire payer les enfants comme des adultes est une erreur » explique le Juvenile Law Center.