La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ?

[current_page_url]

Vous le savez, le numérique a favorisé l’apparition de nouveaux métiers, notamment celui d’agent d’accueil et d’accompagnement des maisons France Service et plus largement celui de médiateur numérique. Ces métiers ont leur propre filière et dépendent de différents ministères. Ces professionnels « percutent » en quelque sorte le travail des médiateurs sociaux qui ont développé leurs propres pratiques en intégrant les usages des outils informatiques. Ces métiers vont-ils disparaitre pour fusionner et n’en devenir qu’un seul ? La question m’a été posée il y a quelques mois.

Le numérique crée un nouvel ordre social

Les métiers qui n’ont pas à un moment ou à un autre besoin de faire appel à un logiciel, une interface ou une plateforme sont désormais minoritaires. La volonté du gouvernement de mettre en place une administration entièrement dématérialisée accélère un processus déjà bien engagé dans le secteur marchand. Que l’on soit en accord ou en désaccord avec cette vision totalisante d’une société qui ne peut plus fonctionner sans les outils numériques, il nous faut prendre acte de cette réalité.

Oui, mais voilà, plus la société adopte une technologie spécifique, plus de nouvelles questions apparaissent sur les usages de ce qu’en font les humains. Il y a ceux qui s’adaptent bon gré mal gré, ceux qui « jouent » avec la technologie et ceux qui la subissent. On le voit particulièrement dans les usages des réseaux sociaux pilotés par des algorithmes. Certains les utilisent pour communiquer. Ils les maitrisent et en faisant appel à leurs capacités, mais aussi à leurs failles. D’autres les utilisent pour simplement s’informer (et parfois – souvent ? – être désinformés). Ils ne maîtrisent que ce que l’algorithme choisit de leur montrer. Et puis enfin, il y a ceux qui ne les utilisent pas du tout. Ils sont en dehors de tout cela et s’en passent très bien. Ceux-là sont hors-jeu, hors système. Ils disparaissent des débats qui s’instaurent sur les réseaux sociaux.

Quand on utilise les réseaux sociaux, force est de constater que des minorités extrémistes sont très présentes. Elles laissent supposer que leurs idées sont majoritaires. Comment ? Elles sont très actives, utilisent les outils développés pour améliorer leur classement et leur visibilité et n’hésitent pas à utiliser des fermes à clics pour multiplier leur audience. Tout cela est documenté.

La technologie permet l’apparition d’un nouvel ordre social, une nouvelle hiérarchie des valeurs qui s’impose à tous. L’essayiste et avocat Laurent Cohen-Tanugi, nous avait expliqué que l’environnement numérique révèle trois caractéristiques principales avec :

  • le caractère structurant des nouvelles technologies de l’information et de la communication, fondatrices d’un nouveau paradigme économique, mais aussi de nouveaux usages sociaux, culturels, politiques ;
  • le caractère hiérarchisé de l’univers numérique, dans ses dimensions économique, sociale et géopolitique
  • Un caractère régulé ou régulable, et la spécificité de cette régulation. Pour l’Europe le RGPD en fait foi même si cette régulation reste largement insuffisante.

 

Mais pour cela, bien évidemment, il faut être connecté. Et gare à vous si vous n’entrez pas dans la famille des technophiles qui profitent à fond des atouts de l’Internet. Je pense à ce directeur d’une grande agence de pôle emploi : il m’avait dit lors d’une réunion « un demandeur d’emploi qui n’utilise pas un ordinateur et une connexion, il est mort ! ». Derrière cette affirmation abrupte, se dessine une réalité bien connue des travailleurs sociaux : l’exclusion générée par la non maitrise de la technologie est sans pitié. Elle a un impact très important sur le quotidien de celui qui la subit.

C’est dire combien les métiers du travail social, de la médiation (qu’elle soit sociale ou numérique) sont non seulement utiles, mais aussi indispensables pour qu’une société puisse continuer de fonctionner avec tous ses membres.

La médiation, une affaire de missions.

Parlons maintenant de 2 métiers de plus en plus proches : celui de médiateur social et celui de médiateur numérique : Les missions des conseillers médiateurs en numérique sont définies dans le répertoire national des certifications professionnelles (codes 24137 et 26573).  Ils « accompagnent différents publics vers l’autonomie, dans les usages des technologies, services et médias numériques ». Ils « assistent les utilisateurs dans des espaces collaboratifs et/ou de fabrication numérique » et enfin ils « collaborent à la valorisation numérique d’un territoire, d’une entreprise ou d’un projet ». Leurs compétences sont essentiellement techniques, mais, précise le RNCP, elles sont aussi relationnelles et pédagogiques. Il leur est demandé d’être en capacité d’animer un réseau et des actions collectives ». Leur porte d’entrée est l’usage des outils numériques.

La médiation sociale, quant à elle, est une forme d’intervention et de régulation sociale qui vise à favoriser le « mieux vivre ensemble », dans l’esprit de deux textes de référence : la convention européenne des droits de l’homme et la charte de référence de la médiation sociale mise en place dès 2001 par le Comité interministériel des villes. Comme pour les travailleurs sociaux, leur porte d’entrée ne passe pas les usages du numérique, mais par les relations sociales des particuliers entre eux et aussi avec les administrations. Dans le champ de l’accès aux droits, qui reste une de leurs grandes priorités, le numérique n’est qu’un outil qui leur est imposé par la dématérialisation. Ils sont aussi chargés de prévenir les conflits susceptibles de survenir à l’échelle d’un territoire. Là aussi, l’usage du numérique s’impose à eux, car les désaccords apparaissent souvent via les réseaux sociaux avec tous les excès que l’on connait.

Des missions différentes avec des aspects communs.

On peut considérer que déjà les médiateurs sociaux mais aussi plus largement les travailleurs sociaux sont conduits de fait à consacrer un temps non négligeable à devenir des aidants numériques sur tel ou tel aspect d’une situation. Il est par exemple plus simple pour un travailleur social d’expliquer à un usager comment se connecter au site de la CAF et d’en maitriser les méandres que de l’orienter vers un médiateur numérique pour qu’ensuite, il puisse revenir vers lui pour traiter le problème administratif souvent révélateur d’un problème social. Réorienter serait un non-sens. Pour autant, cette pratique ne peut répondre à tous les besoins.

Déjà des Conseils départementaux, comme le Nord ou des métropoles comme celle de Bordeaux ont fait le choix de recruter des médiateurs numériques pour consolider l’offre de service à la population et pour travailler en complémentarité avec les intervenants sociaux. C’est là une reconnaissance de l’intérêt d’un métier spécifique considéré comme utile et nécessaire. Ces pratiques sont à regarder de près, car si les médiateurs numériques n’apportent pas la preuve de leur plus-value, leur position sera fragilisée.

Les métiers de la médiation sociale et de la médiation numérique sont différents. Leurs missions et portes d’entrée dans leurs relations aux usagers sont suffisamment spécifiques pour qu’ils développent une identité professionnelle malgré des tâches qu’ils ont en commun. Il en est de même pour les métiers du travail social. L’éducateur développe sa propre approche qui sera différente de celle de l’assistante sociale ou encore de la Conseillère en économie sociale familiale. Leurs méthodologies, leurs façons d’approcher les familles sont différentes comme peuvent l’être l’accompagnement de service social et l’accompagnement éducatif. (Même si on a souvent tendance à mettre dans un grand tout l’accompagnement dit « socio-éducatif »). Non, réellement, dans le quotidien des praticiens, les approches sont différentes.

Des métiers différents, tous utiles et complémentaires.

La multiplicité des sujets abordés par les usages des outils numériques justifie cette différence des métiers. L’accès aux droits en est un parmi d’autre,s même s’il semble prendre toute la place. Imagine-t-on construire une maison avec un métier unique qui regrouperait en un seul le maçon, le menuisier, le couvreur, l’électricien ? Il en est de même pour les métiers de l’aide et du soutien. Chacun possède ses spécificités.

Mais plus un métier est récent, plus il doit faire preuve de son efficacité et de sa légitimité. C’est plutôt là l’enjeu qui se pose aux métiers de la médiation qu’elle soit numérique ou sociale. C’est par les compétences spécifiques qu’ils apportent, leurs capacités de travailler en collaboration avec les autres métiers techniques et sociaux qu’ils trouveront leur reconnaissance. Ils prendront alors toute leur place au regard de leur utilité qui, déjà à mon avis, n’est plus à démontrer.

 

Note : Cet article est une reprise revue et corrigée d’un texte que j’avais fourni en février 2022 à Yann Vandeputte, Ingénieur de formation à l’AFPA dans le cadre de sa mission de chargé du titre professionnel du ministère du Travail de niveau 5 « Responsable d’Espace de Médiation Numérique » (REMN), ex-« Conseiller Médiateur Numérique » (CMN).

 

Photo : Pexels Andrea Piacquadio Andrea Piacquadio

Articles liés :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.