En ce début d’année 2015, je ne résiste pas au plaisir de vous adresser mes meilleurs vœux mais aussi de vous communiquer un texte écrit en 1973 par Guy Raymond universitaire, ancien responsable de l’IRTS de Poitiers. Pourquoi vous proposer un tel texte ? Ce qui est écrit est totalement d’actualité à l’heure où il est proposé de former à l’avenir des travailleurs sociaux génériques issus d’un même niveau de formation. Ce texte nous rappelle que l’histoire ne fait que se renouveler et que les questions d’hier sont toujours d’actualité. Ayez la patience de lire jusqu’au bout ce texte, il mérite de s’y attarder car il a plus de 40 ans et l’on pourrait croire malgré quelques différences sur les termes utilisés qu’il a été écrit récemment…
» Réflexions au niveau de la formation »
Personne ne conteste le fait que les formations préparatoires aux professions de travailleurs sociaux doivent être des formations professionnelles. Mais si cette caractéristique commune ne souffre pas difficulté, les diplômes qui sanctionnent ces formations sont apparemment différents, et il est permis de s’interroger sur les conséquences pédagogiques que le regroupement en Institut va occasionner.
Il peut évidemment être envisagé que ce regroupement en Institut n’aura aucune conséquence : il s’agirait d’un regroupement géographique, les différentes formations continuant à coexister sans qu’il y ait de symbiose. Il est aussi possible de considérer que des interférences vont avoir lieu tant au niveau des formations qu’au niveau des étudiants et que les Instituts vont provoquer la naissance de recherche vers un autre type de formation, peut-être même vers un autre type de travailleur social.
Les conséquences pédagogiques ne sont pas l’une des moindres craintes que suscitent les Instituts : les uns craignant de s’aligner sur une formation qui, ä leurs yeux, n’est pas sérieuse, les autres pensant au contraire que la trop grande rigidité d’une autre formation les guette. Après trois années d’expérimentation au niveau pédagogique Poitiers a pu cette année fournir un projet commun aux assistants de service social et aux éducateurs spécialisés, projet qui sera sommairement résumé avant de vous livrer quelques perspectives d’avenir.
La construction du projet pédagogique commun est parti d’une comparaison des programmes de deux diplômes d’état en question. La comparaison a abouti à cette constatation que sous des langages différents, des constantes existaient, alors que d’autres aspects apparaissaient à priori propres ä chacune des formations.
La première démarche fut de regrouper les étudiants pour les cours magistraux concernant les matières communes, et de mettre en place un système d’unités de valeur que devaient suivre ä la fois les assistants et les éducateurs : il s’agissait donc dans un premier temps d’un regroupement dans les mêmes locaux, avec des cours communs, sans qu’il y a ait tellement symbiose entre les différentes promotions. Beaucoup de choses différenciaient les deux catégories d’étudiants, en particulier, le rythme des stages.
La seconde démarche consista ä perfectionner le système des unités de valeur en organisant non plus des cours magistraux, mais des petites commissions d’études de 15 à 20 étudiants sur des thèmes proposés par l’équipe de formateurs, mais choisis par l’étudiant. Ces thèmes devant regrouper l’ensemble des programmes sur les trois années. Cette méthode pédagogique mettait en contact étroit les étudiants des deux catégories de formation et permettait aux formateurs d’intervenir selon leur spécialité. Ainsi des formateurs du département service social se retrouvent avec un auditoire d’éducateurs spécialisés et réciproquement. Les cours magistraux avaient pratiquement disparus sauf dans une ou deux matières, l’apport des connaissances étant fait au sein des petits groupes par la fourniture de documents, une recherche personnelle des étudiants et bien entendu le contrale du formateur intéressé.
Pour la troisième démarche, c’est moins l’aspect programme qui nous a guidé que l’aspect recherche de l’esprit commun sous-jacent aux deux professions.
Dans le projet pédagogique actuel, et qui peut être considéré comme « provisoirement définitif » la formation s’articule autour de deux lignes de force : la partie commune et la partie spécifique.
La partie commune est divisée en trois sous-ensembles permettant de mettre en place trois équipes de formateurs qualifiés : chaque équipe se voit confier la responsabilité de l’enseignement de la partie du programme qui lui est dévolu. Ces trois sous-ensembles sont l‘axe « corps et expression », l’axe « être et relation », l’axe « être et société ». L’axe « corps et expression » a pour but dans un premier temps d’aider l’étudiant à prendre conscience de ses capacités de perception et de maîtrise de l’environnement matériel, â développer ses possibilités personnelles d’expression, et dans un second temps de favoriser l’acquisition de techniques de communication. L’axe « être et relation » veut être à la fois un apprentissage des mécanismes relationnels et donc de connaissances psychologiques et psychopathologiques en ce domaine et une pratique de la relation. L’axe « être et société » regroupe toutes les matières du programme dont le but est de donner une connaissance de la société dans laquelle œuvrera le travailleur social, et de constituer ainsi un apprentissage des techniques sociologiques.
La partie spécifique est relative à tout ce qui est apparu comme devant, dans l’état actuel des programmes être considéré comme propre â chacune des deux formations : les stages, la formation aux différentes méthodes de service social, la formation ä la relation éducative, et la préparation directe aux diplômes respectifs.
Après ce rapide tableau du projet pédagogique, il faut mentionner aussi que l’un des départements de l’Institut est consacré à la formation permanente. Cette formation permanente nous a en effet semblé essentielle et c’est un peu en fonction de cette possibilité qu’est pensé la pédagogie : donner à l’étudiant la certitude que son diplôme n’est qu’un point de départ, une mise en appétit et que , professionnel en exercice, il y aura nécessité pour lui de continuer à se former et se recycler. Par là s’explique la mise en place d’une pédagogie qui laisse aux étudiants, dans le cadre du programme une large part d’initiative et de prise en charge de leur formation en particulier, par le choix des commissions d’études à l’intérieur des axes, et par la manière d’acquérir les connaissances en laissant une large part au travail personnel.
Ce projet pédagogique brièvement exposé permet de se livrer à quelques commentaires prospectifs.
Il apparaît tout d’abord à l’évidence, après trois années de travail en commun, que le fondement des deux formations est le même ; il s’agit de préparer les étudiants ä une même réalité sociale, à un même travail relationnel qui doit s’accomplir à l’égard du client, en équipe avec d’autres travailleurs sociaux. Il existe certes des différences, celles-ci ne se situent pas au niveau de la formation, mais dans le secteur d’intervention du travailleur social. La spécificité n’apparaît pas tellement comme une différence entre l’assistant de service social et l’éducateur spécialisé, mais comme une différence à l’intérieur d’une même profession, en fonction du type d’activité professionnel. Il y a beaucoup plus de similitude de travail entre un assistant de service social de secteur et un éducateur spécialisé en milieu ouvert qu’entre ce dernier et un éducateur en internat recevant des débiles profonds, si toutefois on admet que la relation au client n’est pas fondamentalement unique.
Or, il est vain de penser que l’un ou l’autre des diplômes prépare directement et efficacement à œuvrer dans un secteur déterminé. Ces diplômes d’État sont des labels de qualité qui doivent être complétés. Actuellement cette spécialisation s’acquiert par la pratique alors que le travailleur social est déjà professionnel.
Il apparaît aussi que la préparation des travailleurs sociaux ne doit pas seulement être une préparation à un travail avec d’autres travailleurs sociaux, qu*ils soient éducateurs, assistants de service social, animateurs socio-culturels, ou autres…
Le travailleur social doit être apte à entrer dans des équipes qui pensent l’action sociale dans sa globalité : ils doivent donc être en mesure de travailler avec des administrateurs, des urbanistes, des architectes de façon ä ce que l’aménagement de l’environnement futur tienne compte de la réalité sociale que seuls connaissent ceux qui la côtoient journellement.
De tout cela, il faudrait tirer les conséquences pratiques et faire en sorte que les Instituts Régionaux ne soient pas des regroupement géographiques, mais soient l’avènement d’un nouveau mode de penser et d’agir en matière sociale.
Il s’agit de créer à une échéance dont le terme ne doit pas être trop éloigné un diplôme unique de travailleur social qui éviterait le morcellement actuel et la diversification des diplômes, Par contre, la spécificité doit intervenir pour une préparation à l’engagement professionnel par un système d’option dès la 3ème année, et surtout dans le cadre de la formation permanente pour préparer un changement de secteur de travail.
Ce diplôme unique de travailleur social devrait pouvoir être délivré à deux degrés. En effet, actuellement la recherche menée dans les instituts régionaux ne concerne que les professions se situant à un niveau baccalauréat que l’on peut considérer comme un second cycle. Or, les réflexion que l’on peut faire sur les similitudes des travailleurs sociaux ne concerne pas seulement ces catégories. Elles concernent tout aussi bien ceux qui interviennent d’une manière plus matérielle : les travailleuses familiales, aides-ménagères, aides médico-psychologiques, moniteurs-éducateurs. Les instituts devraient comprendre un premier cycle de formation au travail social qui préparerait â ce type de profession. On peut se demander d’ailleurs dans quelle mesure ce premier cycle ne devrait pas constituer la 1ère année du second cycle. Les professions qui semblent craindre actuellement leur intégration ne peuvent à mon sens qu’en retirer des avantages. D’une part, la fréquentation entre étudiants qui se fait â l’intérieur des instituts devrait permettre un meilleur travail d’équipe ultérieurement, d’autre part le premier cycle pourrait être pour un certain nombre un moyen de poursuivre des études de second cycle et donc d’arriver à un niveau supérieur. Il ne faut pas non plus négliger dans cette gradation l’hypothèse d’un troisième cycle fait en université. La poursuite d’un tel grade universitaire par les travailleurs sociaux favoriserait la recherche sociale et le recrutement des formateurs pour les Instituts, encore faudrait-il que des équivalences soient reconnues entre les travailleurs sociaux et les diplômes universitaires.
Il reste enfin et pour terminer à dire quelle est la richesse d’une telle expérience. Certes, la vie en commun n’est pas de tout repos et le mariage des assistantes sociales et des éducateurs ne va pas sans scènes de ménage.
Mais il est important de constater qu’une équipe animée d’un même esprit de recherche et d’une même volonté d’aboutir parvient malgré les heurts inévitables à faire un travail fructueux. Il reste un inconvénient, celui d’avoir le rôle de pionnier, car les textes vont très vite être dépassé par de jeunes générations d’étudiants qui ont compris la similitude de leur profession. C’est en définitive sur ces générations qu’il faut compter pour arriver à créer ce bouleversement des mentalités qu’exigent la naissance et la vie des instituts régionaux, à moins que le poids des structures anciennes ne les écrase avant d’avoir été entendu. C’est un danger qui existe effectivement, mais le risque vaut la peine d’être couru, car il y va de l’existence même des professions sociales dans les années à venir.
Guy RAYMOND
Maître-Assistant (honoraire) de la Faculté de Droit et
des Sciences Sociales de POITIERS,
(ancien) Directeur du Centre Régional de Formation et
de Recherche pour les carrières sociales «
Photo : Mop Plaud Ateliers Carnaval – IRTS de Poitiers (86)