Décès de Jacques Sauvageot : tristesse et souvenirs

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Comme nombre d’entre vous, j’ai appris hier la disparition de Jacques Sauvageot,  leader de 68 et militant hors pair qui n’a jamais renié ses convictions pour une société meilleure et plus fraternelle. C’est sûr, il avait évolué, mais ne s’était pas renié, cherchant à rester en cohérence avec ses idées. J’ai connu Jacques Sauvageot au temps des radios libres. Avec Yves, Jean Pierre, Jean Jacques, Jean Luc, Christophe, nous étions devenus une bande de copains chacun avec sa personnalité et son propre engagement, (PSU, Libertaires, LCR, CCA, OCT Sgen CFDT, CGT.., CSCV, j’en oublie…) certains sigles ne disent plus grand chose pour beaucoup d’entre vous sans doute. Mais bon, on y croyait à cette vie meilleure, sans ces « patrons » qui exploitent, sans ces  journées éreintantes. Nous étions certains que demain serait mieux qu’hier. Je quittais juste la SNCF et j’y avais appris la solidarité et l’action collective. J’avais été admis à l’école de service social mais parallèlement, je continuais de militer sans trop savoir où me situer d’ailleurs. Nous lisions « la gueule ouverte » le premier journal écolo et aussi l’APL un hebdo nantais qui se faisait l’écho tout ce qui bougeait dans la région.

J’ai rencontré Jacques Sauvageot lorsque j’ai rejoint le mouvement des radios libres. C’était lui qui « pilotait » les émissions de RLP, Radio Libre Populaire  Saint Nazaire. Avec un seul objectif : « casser » le monopole des ondes  et donner la parole à toutes celles et tous ceux qui ne l’avaient pas. Nous nous voulions autogestionnaires mais c’était lui qui tenait la barque. Et puis son image de leader de mai 68 le poursuivait. Nous étions fiers d’agir avec lui. Nous nous retrouvions tous les mardis dans un café à Saint Nazaire, à la Fraternité aussi car nous disposions là d’une salle sans avoir besoin d’être déclarés à la préfecture. C’était gratuit. Nous diffusions les émissions grâce à un petit émetteur (que j’ai gardé d’ailleurs) bricolé avec des pièces venant d’Italie. Marzo avait, je crois, fabriqué la valise qui permettait de brancher les micros et la platine ainsi que le lecteur de cassette. Au début en 78 -79, les émissions étaient enregistrées sur des cassettes et diffusée d’une voiture. Puis petit à petit nous sommes passés au direct, passant de la maison des syndicats (protégée de toute intervention policière) au foyer du travailleur.

« RLP » faisait partie de la FNRL la fédération nationale des radios libres. Je me rappelle comment Jacques avait, du bas de l’estrade, mis en minorité les dirigeants de la Fédération. Il avait retourné la salle. C’était un formidable orateur. Il avait une rhétorique et une capacité de vous convaincre très efficace. Il était donc bien difficile d’aller contre lui, même si à la fin, c’est ce que nous avons fait à plusieurs. Cela ne s’est pas très bien passé ensuite. Nous avions, comme disent certains « tué le père » à l’image de l’enfant qui s’émancipe de la tutelle paternelle.

La radio se voulait « émancipatrice ». Elle était brouillée par TDF et toutes les émissions commençaient par la voix rauque de Jacques qui fumait beaucoup. Il lançait alors un grand « bonjour aux brouilleurs de TDF » dès que le signal empêchait de nous entendre, Marzo lui, tournait un bouton pour changer de fréquence, à charge de l’auditeur de nous retrouver ailleurs sur la bande FM.

Nous avions tous sur nous une déclaration écrite à remettre au procureur en cas d’arrestation. Car bien évidemment tout cela était interdit même si nous nous doutions bien que les renseignements généraux (RG) devaient en savoir beaucoup sur nos occupations bénévoles et militantes. On était quand même un peu inquiet, personne n’avait envie de se voir interpellé mais bon, nous avions un avocat près à venir en cas de coup dur. Finalement nous ne fumes pas inculpés (c’était le terme à l’époque) mais ce furent ceux qui avaient parlé dans le poste : Claude Evin, député, Jeannette Lebeau secrétaire du PS et Jo Patron le leader de la CGT. Un certain François Mitterrand devait venir défendre les accusés mais au final, le  juge en avait estimé autrement  

Mais pourquoi vous parler de Jacques Sauvageot dans un blog qui traite du travail social ? Pour plusieurs raisons. Jacques avait en horreur l’injustice. Il avait préparé et lancé une émission en direction des hommes incarcérés à la prison de Saint Nazaire (elle est fermée depuis longtemps). Cette émission était  devenu un temps incroyable d’échange entre les familles et les détenus. L’émission s’appelait fort justement « petite fugue pour un violon ». Elle était animée par un bénévole (dont j’ai perdu le nom et que j’aimerais bien retrouver). La radio avait eu à l’époque l’honneur d’une page entière dans Libé, celui d’avant,  celui qui était né d’un projet de changement de société. Les taulards qui sortaient de prison une fois leur peine accomplie sont venus ensuite  la radio. Ce ne fut pas toujours rose, nous eûmes même de chaudes soirées avec des « sortant de prison » voulant régler leur compte à l’antenne avec certains gardiens  (les matons disaient-ils).  Bref cet espace de liberté était assez unique tout comme la musique. Il y avait une énergie incroyable ! Je pense aux émissions de rock and blues avec Nénesse et sa dégaine de paludier qui habitait la Baule. Un sacré bonhomme là aussi.

J’étais de la première promotion des assistants sociaux qui devaient rédiger un mémoire. J’avais à l’époque « négocié » mon stage mi-temps en polyvalence et mi temps à la radio. Nous étions alors après 81 et bien sûr nous avions reçu notre autorisation d’émettre. Mon mémoire traitait de la radio communautaire outil d’émancipation des personnes exclues. Bon, il n’était pas terrible ce mémoire mais il s’appuyait sur du réel, du vécu avec nos émissions qui toujours voulaient donner la parole aux collectifs et diverses associations de la région. C’est là que j’ai appris à agir en collectif en tentant de transférer ce savoir issu de mon engagement à la radio à celui du service social. Ce que j’avais appris à l’école collait tout à fait avec cette pratique de l’agir collectif. Vint ensuite les réseaux d’échange de savoirs, les actions collectives avec les habitants du quartier de la Bouletterie. Tout cela a pris racine aussi par ce que Jacques Sauvageot et ses compagnons de route m’ont appris. L’agir collectif nous avait permis de contribuer à vaincre un monopole celui de la radio qui plus tard a été dévoyé avec des radios libres devenues privées et dépendantes des pouvoirs d’argent.

Cela a fait dire à Jacques Sauvageot que «Nous n’avons pas su pérenniser l’expérience des radios libres». Certes, mais nous n’avons rien à regretter de cette époque là. Ce soir vous le comprendrez bien, je suis triste car c’est un homme discret à qui je dois beaucoup qui nous a quitté. Je pense d’ailleurs  que je ne suis pas le seul à l’être aujourd’hui sur la place de Saint Nazaire.

 

quelques liens :

Jacques Sauvageot. Mort d’un esprit libre et fidèle aux valeurs de mai 68

Mort de Jacques Sauvageot, figure de Mai 68

Décès de Jacques Sauvageot, figure discrète et engagée de Mai 68

Les radios libres de l’été 81

 

 

 

 

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