La question mérite d’être posée depuis que dans le cadre des Etats Généraux du Travail Social il est préconisé une réforme importante de la formation des travailleurs sociaux. Les personnes aidées risquent de ne plus être accompagnés par des éducateurs, des assistantes sociales ou des conseillères en ESF ayant suivi un cursus de 3 années mais par des « travailleurs sociaux » ayant bénéficié de 2 années de formation au lieu de 3. Cela bien sûr ne se fera pas du jour au lendemain.
Les travailleurs sociaux ne peuvent être de simples exécutants de tâches et prestations auprès des personnes et de groupes. Témoins de la réalité sociale, ils ont à interpeller les décideurs de façon construite et argumenté et être force de proposition sur les politiques sociales qu’elles soient ou non décentralisées. Avec la réforme, leurs compétences seront alors de fait limitées aux éléments essentiel liés aux interventions et l’on peut s’interroger sur leurs capacités futures à construire avec les personnes des réponses nouvelles.
Aujourd’hui le travail social est composé de multiples professions et métiers qui ont été créé au fil du temps en fonction des politiques sectorielles et catégorielles définies par l’Etat. Il s’agit dans un 1er temps de distinguer les métiers des professions : les métiers sont spécifiques à une ou plusieurs problématiques, les professions sont généralistes et s’inscrivent dans 2 principaux champs ou domaines distincts :
« L’action éducative » se décline sous forme de transmission de connaissances et de modèles positifs. Elle s’adresse en priorité à des personnes en recherche ou manque d’identité, de références et de savoirs, avec des comportements « inadaptés ». Elle concerne en priorité des publics spécifiques (jeunes en déshérence, personnes handicapées…)
« L’aide et l’assistance » relève du faire avec en partant des compétences et limites du sujet pour construire avec lui des réponses qui lui permettent de devenir autonome. Elle concerne toute la population susceptible à un moment ou à un autre de rencontrer une difficulté sociale particulière (accidents de la vie dans le domaine familial, professionnel…) « L’aide et l’assistance » s’organise quant à elle autour d’un diagnostic social qui précède la mise en place d’un plan d’aide négocié et accepté par la personne dans le strict respect de sa volonté.
L’aide dite « contrainte », c’est à dire sans un réel accord de la personne semble de plus en plus mise en œuvre dans nos institutions aussi bien dans le champ éducatif (action éducative sur mesure judiciaire) que dans le champs de l’aide sociale qui ne devrait exister sans l’accord de la personne. Cette aide contrainte qui se développe dans les dispositifs sociaux provoquent aussi des effets négatifs. Refus de l’accompagnement, défiance forte vis à vis des travailleurs sociaux et de leurs services. Il y a nécessité de repositionner le travail social dans des postures permettant une forme d’alliance des professionnels avec la population ce que permettent de moins en moins les dispositifs.
Ces 2 approches se traduisent par des méthodologies d’intervention spécifiques. Elles doivent être enseignées dès la première année des études et tout au long du cursus de formation. Ce que ne prévoient pas les projets actuels. Une approche ne doit pas être prééminente vis à vis de l’autre car elles sont complémentaires, distinctes et utiles pour les personnes. En fondant dans un « métier » unique des professionnels issus de ces deux approches, les personnes aidées perdront des repères stables et inscrit dans une histoire, celle du travail social français.
Le scénario privilégié de réforme des études opte donc pour la création d’un seul diplôme par niveau d’étude, ce qui engage à terme la disparition des diplômes d’État de 5 professions (assistant de service social, d’éducateur spécialisé, conseiller en économie sociale et familiale, éducateur jeunes enfants et éducateur technique spécialisé). Le tout réuni dans une seule profession : « travailleur social ». C’est un réel appauvrissement de l’offre d’intervention auprès de la population.
Le projet de réforme des études annonce la reconnaissance au niveau licence les 3 années d’étude pour les actuels diplômés d’Etat. ( passage du niveau III au niveau II). Mais il provoque la création d’un niveau III correspondant à 2 années d’étude pour des travailleurs sociaux qui ne verraient l’accès à une 3ème année au titre d’une option (permettant d’accéder au niveau II). Ce sera une véritable opportunité pour les employeurs. Ils pourront faire appel à des professionnels formés en 2 années qui, en principe, pourrontt être moins rémunérés que ceux de niveau II pour qui les postes d’encadrement et de coordonnateurs pourront être proposés.
3 années d’études sont nécessaires pour former des professionnels solides et capables d’intervenir dans la durée auprès des personnes les plus fragiles mais aussi les plus désocialisées. Le risque est grand en ne limitant le temps de formation incluant les stages sur 2 ans de disposer de professionnels moins préparés tant techniquement qu’humainement à savoir faire face à la grande exclusion. Diminuer le niveau de formation des travailleurs sociaux en contact avec la population est un mauvais choix : au regard des responsabilités que représentent certaines décisions, il sera à craindre une nouvelle dévalorisation de la fonction exercée.
En résumé :
il est nécessaire dans le cadre de la refonte des diplômes de préserver 2 approches méthodologiques avec à minima 2 professions généralistes centrées chacune sur une approche : celle relevant de l’action éducative avec sa profession emblématique : l’éducateur spécialisé et celle relevant de l’action d’aide et d’assistance avec la profession d’assistante sociale. Ces 2 professions sont de type généralistes et en capacité de s’adapter dans leur domaines respectifs à des demandes de spécialisation (par ex. Les assistantes sociale interviennent dans les entreprises, les hôpitaux, les départements..)
Regrouper ces 2 approches dans un même champ ne fera que diminuer la qualité du service rendu à la population
3 années d’études sont nécessaires pour former des professionnels solides et capables d’intervenir dans la durée auprès des personnes les plus fragiles mais aussi les plus désocialisées.
photo : Bernard Goldbach « Stress » Cracking under stress. Certains droits réservés