Catherine Galopin assistante sociale, nous rappelle dans ce « Point de vue » que les aidants familiaux sont surtout des aidantes. Ce sont majoritairement des femmes qui mettent entre parenthèse leur parcours professionnel pour aider un(e) proche dans le besoin. La co-autrice du livre « engager ses émotions dans la relation d’aide » nous parle des coûts cachés d’être aidante. Ils sont bien plus importants qu’ils n’y paraissent…
Le coût d’être aidante : Une perspective féministe sur l’aidance.
L’Observatoire de l’émancipation économique des femmes a publié en juin 2024 une note écrite par la journaliste, Laure Marchal « Le coût d’être aidante. Peut-on aider sans compter ? » [1]. Sa lecture éclaire d’un jour nouveau toutes les situations de proches aidantes et aidants dont j’ai eu connaissance. Celles que j’ai accompagnées et que j’accompagne encore dans le cadre de mes fonctions d’assistante de service social et tous les doutes que ces mêmes situations m’ont laissé…
Le coût d’être aidante questionne la définition officielle des proches aidants à savoir « une personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir toute une partie des actes ou des activités de la vie quotidienne d’une personne en perte d’autonomie, du fait de l’âge, de la maladie ou du handicap. » [2]
La note de l’observatoire liste la nature de l’aide et/ou des aides apportées. Le champ est large : il concerne les tâches domestiques, le soutien moral avec des échanges et des prises de nouvelles, les démarches administratives, l’accompagnement aux déplacements et aux rendez-vous extérieurs, le budget avec un soutien financier… L’aide peut se faire aussi bien à distance que dans la proximité de la personne aidée.
La note souligne la difficulté à appréhender la réalité de l’aidance tant celle-ci est vaste et complexe. En effet, Qu’y a-t-il de commun entre la situation de cette étudiante qui vit seule avec sa mère malade, de ce salarié qui a aménagé son temps de travail de manière à être disponible auprès de son fils en situation de handicap ? Ou encore de cette fille qui peine à concilier recherche d’emploi et prise en charge de ses parents âgés en perte d’autonomie ?
Au passage, elle pointe le danger à catégoriser au risque d’exclure des dispositifs ceux qui ne rentrent pas dans les « bonnes cases ». De nombreux exemples de terrain me sont revenus en mémoire : Qu’en est-il de ces étudiants qui consacraient une partie de leur bourse d’études aux règlements des factures familiales au motif que leurs parents se trouvaient en difficultés personnelles et financières ? Ou encore cet autre jeune qui soutenait sa mère élevant seule son frère avec des problèmes de comportement ? Peuvent ils être considérés comme des aidants familiaux ?
L’estimation du nombre de proches aidants en France fluctue entre 9 et 11 millions suivant les études [3]. Les chiffres seraient certainement sous-évalués. Beaucoup d’aidants n’ont pas conscience de ce statut tant l’aide apportée leur semble aller de soi au nom de la solidarité et de l’affection ; d’autres encore préfèrent rester discrets sur le sujet, notamment dans la sphère professionnelle. Aucun organisme ne les référence réellement.
Les conséquences de L’aidance : entre empêchement, limitation et renoncement :
Elles seront d’autant plus importantes qu’elle s’inscrit dans la durée. Une étude auprès d’anciens aidants montre que pour plus d’un quart ( 28%) le fait d’aider un(e) proche a duré plus de 10 ans et, pour 20 %, elle a duré entre 6 et 10 ans.
Parce que l’aidance est chronophage (21 heures par semaine en moyenne), les proches aidants s’exposent à une surcharge mentale, physique et émotionnelle. Surtout s’ils veulent tout mener de front : « J’ai une lampe constamment allumée dans le crâne, je ne peux jamais l’éteindre. » m’a dit un jour un aidant familial en faisant référence au fait qu’il devait constamment penser à tout pour lui-même et pour sa conjointe en perte d’autonomie.
La difficulté à concilier sa vie personnelle, sa vie professionnelle et sa présence auprès de l’autre est à risque pour les proches aidants : refus d’opportunités ou d’évolutions professionnelles, passages à temps partiels, absentéismes, interruptions de carrières pour les actifs, soins médicaux différés ou reportés, limitations de la vie sociale et/ou affective….
Les conséquences en sont financières. À court et à long terme avec des salaires moindres, des carrières hachées, des retraites réduites, un isolement progressif, des difficultés relationnelles, sur la santé physique et mentale…
Les aidants sont aussi aux prises avec des injonctions paradoxales. Entre responsabilité pour eux-mêmes et disponibilité pour le ou les proches en situation de vulnérabilité. Cette tension est d’autant plus forte dans un contexte de manque de structures et de pénurie de personnel qualifié. Ils sont fréquemment amenés à combler les manques de solutions collectives.
La part des aidants en activité professionnelle est non négligeable : L’âge moyen d’entrée dans l’aidance se situe vers 39 ans. Un tiers des aidants a entre 50 et 65 ans. Un salarié sur cinq est en situation de proche aidant. En 2030, c’est-à-dire demain, un actif sur quatre sera considéré comme aidant. Autant dire que l’articulation activité professionnelle et aidance est enjeu de société ! Les personnes qui exercent les emplois les moins qualifiés sont plus facilement amenées à réduire leurs horaires ou à arrêter leur travail. Ce sont elles qui auront le plus de difficultés à en retrouver.
L’aidance reste genrée.
S’il n’existe pas de profil type du proche aidant, on peut noter néanmoins la surreprésentation des femmes. Une française sur cinq est aidante et 60 % des proches aidants sont des femmes. Cela n’est pas surprenant. Depuis toujours, les femmes sont programmées à prendre soin des autres en raison de leurs qualités dites « maternantes ». Par contre, ce qui reste surprenant, c’est que sur les 700.000 jeunes qui sont considérés comme proche aidant, 72% sont des filles. Les stéréotypes ont la vie dure !
La note sur le coût d’être aidantes souligne que plus les taches liées à l’aidance sont lourdes et contraignantes, plus ce sont les femmes qui s’en occupent. Même si des évolutions ont eu lieu, les femmes restent en première ligne dans la répartition des taches domestiques et l’organisation de la vie familiale. Le cumul sphère vie privée, vie professionnelle et aidance est lourd à porter.
L’Aidance n’est pas qu’un sujet d’individu et/ou de genre ; elle constitue un enjeu sociétal majeur.
La valeur de la contribution des proches aidantes et aidants à la société est largement sous-évaluée. Elle est essentielle. Pourtant, l’aidance reste dans un grand risque de reproduire et de majorer des inégalités de genre et de classe déjà à l’œuvre dans le milieu professionnel et le travail domestique ainsi que dans le domaine de la santé.
Notes :
- Le cout d’être aidante. Peut-on aider sans compter ? Observatoire de l’émancipation économique des femmes. 20/06/2024 par Laure Marchal
- Loi n°2015, article 51 du 28 décembre 2015, article 51 et Code de l’action sociale et des familles, articles L113-1-3 et R245-7
- Tous les chiffres cités dans cet article sont issus de la note Le coût d’être Aidante. Ces chiffres ne peuvent être qu’approximatif tant les études manquent sur le sujet.
Photo : L’autrice Catherine Galopin


