Espaces « No Kids » : ce que dit leur essor de notre rapport à l’enfance

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Restaurants, hôtels, compagnies aériennes ou lieux de loisirs : les espaces interdits ou peu accueillants aux enfants se multiplient à l’étranger. Derrière cette tendance, baptisée « no kids », se cache une vision inquiétante de l’enfance. Ce phénomène interroge notre rapport collectif à l’enfance et à sa légitimité dans la sphère publique. Certes un enfant peut être perturbant, mais est-ce une raison suffisante pour l’exclure de certains lieux ?

En France, ces espaces sans enfants sont moins courants. La pratique est même punie par la loi : jusqu’à 75.000 euros au motif qu’on n’a pas le droit d’exclure quelqu’un en raison de son âge. Mais le « no kids » se répand tout de même. Une vingtaine de campings sont désormais réservés aux adultes. Il y a aussi les fêtes privées tels les mariages, où il est demandé aux invités de venir sans leurs enfants. Cela ne semble choquer personne.

Un rejet croissant de l’enfant bruyant dans la sphère publique

Aujourd’hui, pousser la porte d’un lieu public avec un enfant en bas âge peut susciter des soupirs, quelques regards de reproche et même parfois remarques déplacées. Dans certains espaces, le message est clair : les enfants ne sont pas les bienvenus. Qui n’a pas été « agacé » par les pleurs conséquents d’un bébé dans un train, dans un car ou même un avion ?

De là instituer une interdiction de présence, il y a un pas que je ne saurai franchir. Cette tendance révèle une forme de crispation au sein de la société. L’interdiction de présence d’enfant, promue comme une réponse au besoin de calme ou de confort dans des lieux dédiés au loisir ou à la consommation nous en dit un peu plus sur notre vision des autres . Le bruit, la spontanéité, l’agitation propre à l’enfance sont perçus comme des perturbations dans un monde pensé pour la concentration, l’efficacité et la tranquillité des adultes.

Les parents eux-mêmes, souvent culpabilisés, finissent par éviter certains lieux. Ils intériorisent que leur enfant dérange, et que leur seule présence fragilise l’équilibre d’un espace jugé « adulte ».

 

Une société pensée à la mesure des adultes

panneaux enfants Depositphotos 44164209 SLe phénomène « no kids » nous rappellent aussi à quel point nos espaces collectifs sont conçus autour des normes, des besoins et des rythmes de vie des adultes. L’enfant y est toléré à condition de se faire discret, voire invisible. Il doit apprendre à se fondre dans un monde qui ne tolère pas ses débordements, ses émotions trop vives, son volume sonore ou son besoin d’expérimentation. Or c’est bien le fait d’être un enfant qui est rejeté. Notamment sa parole intempestive.

Comme l’explique le podcast « La Question du Jour » de France Culture (juin 2025), cette logique « adultocentrée » nourrit une vision bien trop normative de la présence sociale. L’enfant devient un élément perturbateur devant être canalisé. il doit être séparé ou accueilli uniquement dans des espaces spécialisés prévus à cet effet. Pourtant, il n’est ni un adulte miniature, ni un objet à déplacer : c’est un sujet en construction au droit d’être au monde.

Une fragmentation de l’espace collectif préoccupante

La multiplication des lieux « no kids » symbolise à mon avis un phénomène plus large : la fragmentation du vivre ensemble. Chaque groupe social cherche désormais à rester dans l’entre-soi. Comment ? en se créant ses zones de confort et en évitant les confrontations ou la cohabitation « forcée ». On assiste à une gentrification des espaces publics, non seulement en termes économiques, mais aussi en fonction du milieu social.

En excluant les enfants, on éloigne aussi les parents, et tout un versant de la vie sociale. L’enfant apprend la citoyenneté en se confrontant aux autres et en observant leurs réactions. Il adapte son comportement au monde. Le priver de cette possibilité revient à différer, voire affaiblir son apprentissage des codes de vie collectifs.

Inclusion ou confort personnel : un équilibre fragile

Il existe une tension entre le fait de participer à la vie sociale et ne penser qu’à son confort individuel. Plus les sociétés deviennent soucieuses de répondre aux besoins spécifiques des individus (sérénité, choix, personnalisation), plus elles s’exposent au risque de segmenter la vie publique.

L’espace commun devient alors un espace normé, sécurisé… mais aussi aseptisé. Les caméras de vidéo surveillance ne peuvent remplacer le gardien d’immeuble, la personne qui aide à traverser la rue, le policier qui renseigne et protège. Les interdictions de toutes sortes ne règlent pas les problèmes, elles les déplacent car elles ne traitent pas la racine des incivilités.

Certains parents le disent d’eux-mêmes. Ils comprennent la volonté de certains d’être tranquilles, mais ils  regrettent une société du chacun pour soi où ils doivent choisir entre socialisation de leur enfant et retrait, entre présence en société et invisibilisation. Cette question concerne aussi les personnes handicapées. Je suis surpris que l’on en voit si peu dans l’espace public en France. Dans d’autres pays tels l’Espagne, ou les pays du nord de l’Europe, elles sont visibles, même si elles peuvent parfois « déranger » les valides.

Redonner à l’enfant une vraie place dans la cité

Professionnels du travail social, acteurs de terrain, élus, éducateurs : nous avons un rôle à jouer pour promouvoir une place aux enfants dans l’espace public. Certaines villes le font et c’est heureux. Être un enfant ne veut pas dire qu’il faut le cantonner  dans des lieux de vie qui lui sont spécifiquement dédiés même s’il en faut.

Le droit de l’enfant à exister pleinement dans l’espace public est inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant. Il ne s’agit pas d’une vue de l’esprit, mais d’un fondement. Il nous faut permettre à l’enfant d’être accueilli avec ses spécificités en reconnaissant sa spontanéité sans la juger.

Une société vivante, c’est une société parfois bruyante… et toujours tolérante

L’ouverture à l’enfance est l’un des marqueurs de la vivacité d’une société. Ce n’est pas aux enfants de s’absenter du monde, mais bien à la société d’inventer des modes d’accueil qui respectent tous les âges et tous les rythmes de vie dans tous les lieux (sauf ceux où leur moralité peuvent être mise en danger bien évidemment)

La montée silencieuse des espaces « no kids » nous interpelle. Elle doit être discutée. Parce que chaque exclusion fragilise le contrat social. Même celles qui sont décidées au nom de notre confort personnel.

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