Revue de presse | 3 jours de grève «Nous ne nous laisserons pas faire» / Le SMIG protège-t-il ? / La protection de l’enfance en 2025

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Bonjour et bienvenue à cette revue de presse qui nous emmène au cœur d’un hiver social où les professionnels du social, du médico-social et de la protection de l’enfance tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme.  Nous parlerons aussi des chercheur·ses qui questionnent l’efficacité du SMIC face à la pauvreté. De quoi faire tomber quelques idées reçues ! Et puis ne manquez pas ce rapide résumé du rapport 2025 de la protection de l’enfance. Les chiffres concernent 2023 mais il nous montrent une augmentation sans cesse des mesures de protection avec des moyens toujours aussi limités. Sans oublier les multiples liens susceptibles de vous intéresser. Il y en a un paquet cette semaine ! Bonne lecture et bonnes fêtes de fin d’année si vous pouvez en profiter !


Trois jours de grève inédits : quand les travailleurs sociaux disent « stop » à la maltraitance institutionnelle

Banderolle greveDu jamais vu dans le secteur ! Les 16, 17 et 18 décembre, les professionnel(le)s du social et du médico-social ont mené une mobilisation exceptionnelle sur trois jours consécutifs. C’est en  rupture avec les journées de grève isolées et sans lendemain. De Strasbourg à Toulouse, de Grenoble à la Seine-Saint-Denis, plusieurs centaines de personnes se sont mobilisées dans plusieurs villes pour dénoncer une situation devenue insupportable.

Le mouvement témoigne d’un ras-le-bol généralisé. En Île-de-France, six plateformes du 115 sur huit ont été en grève, tout en continuant à répondre aux appels d’urgence. Les chiffres donnent le tournis : En  Seine-Saint-Denis, Dans la rue, environ 500 personnes se voient refuser un toit chaque nuit après avoir composé le 115. À Paris, seuls 20 % des appels sont décrochés, faute de personnel suffisant.

« D’une année sur l’autre, c’est de pire en pire », témoigne Ioana, assistante sociale à Interlogement 93. « Le travail qu’on nous demande est inhumain, c’est de la maltraitance institutionnelle », renchérit Jesús Blanco, écoutant au Samu social de Paris. La moyenne d’un écoutant social ? Six à sept mois avant de craquer. Le turnover est effarant.

Des moyens pour le socialLa dégradation ne vient pas de nulle part. Les expulsions locatives ont explosé : +29 % en un an avec un record de 25.000 ménages sortis de leur logement en 2024. Dans le Tarn-et-Garonne, 270 salariés de l’association Sauvegarde de l’enfance Haute-Occitanie ne seront plus payés en cette fin d’année. En Loire-Atlantique, les éducateurs de rue luttent depuis trois semaines, soutenus par une caisse de grève participative. À Saint-Denis de La Réunion, les agents de l’ASE ont débrayé contre la suppression de postes.

Florence, travailleuse à l’Aide Sociale à l’Enfance, le dit sans détour : « Faut pas se leurrer, notre quotidien ne va faire que s’aggraver si on ne fait rien. » En cette période de Noël où le sort des personnes à la rue refait surface médiatiquement, Camille du CATSI 93 appelle à « ramener la question du sans-abrisme sur le terrain politique. La solution ne viendra que de la construction d’un rapport de force. »

Ce résumé est une synthèse de plusieurs articles :

 

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« Nous ne nous laisserons pas faire ! »

Toujours au titre de la colère qui gronde voici une tribune qui ne peut que nous alerter. Plusieurs centaines de salarié(e)s du social et du médico-social, en grande partie installés dans l’Hérault, ont pris la plume pour dire qu’ils refusent de se résigner face aux coupes budgétaires et à une certaine violence managériale qui s’abat sur leur secteur. Ils décrivent un champ professionnel déjà épuisé, où l’austérité imposée pour les budgets 2025 et 2026 provoque une maltraitance institutionnelle avec un manque chronique de moyens, au détriment des personnes accompagnées, souvent déjà parmi les plus fragilisées socialement.

Les auteur·es racontent comment, face à cette situation, ils se sont organisés en coordination pour défendre un travail social digne, centré sur les besoins et les intérêts des publics, et non sur « des tableaux Excel dictés par les coupes budgétaires ». Mais cette mobilisation s’est heurtée, à Montpellier, à une forme de répression d’une rare intensité. Fin août, après une grève de trois heures à AREA pour dénoncer l’expulsion d’un bidonville qui a laissé plusieurs familles à la rue, l’État, via la DDETS, décide de couper les financements de l’association : dix salarié·es sont licencié·es et 400 personnes perdent brutalement un accompagnement construit sur une décennie.

Quelques semaines plus tard, une infirmière du Samu social, engagée elle aussi dans la coordination, est mise à pied puis licenciée. Ce n’est pas un hasard, elle avait participé à un piquet de grève devant l’association l’Avitarelle, où les équipes dénonçaient à la fois le manque de moyens et un management autoritaire, sans dialogue. Les signataires soulignent que, dans le même temps, les licenciements « scandaleux » se multiplient dans plusieurs associations montpelliéraines, notamment à l’APSH34, tandis que les salarié·es qui osent parler de perte de sens, de maltraitance ou de dysfonctionnements institutionnels subissent pressions et intimidations. Je vous invite à prendre connaissance par vous même de cette tribune révélatrice d’un climat délétère  (lire la Tribune dans l’espace invités de Médiapart)

 


Le SMIC protège-t-il encore de la pauvreté ?

À l’heure où le Groupe d’experts sur le SMIC publie son rapport annuel, la question revient avec une acuité particulière. Elle est posée par Hugo Spring-Ragain doctorant en économie & mathématique au Centre d’études diplomatiques et stratégiques. Ce chercheur vient de publier un article plutôt intéressant sur ce sujet.

Le salaire minimum suffit-il vraiment à protéger de la pauvreté ? La réponse, comme souvent dans les questions sociales, est : ça dépend. Premier constat rassurant : le SMIC a joué son rôle d’amortisseur pendant la période récente d’inflation. Ses revalorisations automatiques l’ont fait progresser aussi vite, voire plus vite, que l’indice des prix à la consommation. Un mouvement qui contraste avec celui des salaires moyens, dont la progression a été plus lente, resserrant ainsi la hiérarchie salariale.

Mais voilà, le salaire brut ne détermine pas à lui seul la pauvreté. Ce qui compte vraiment, c’est le revenu disponible après transferts sociaux, impôts et charges contraintes. Et c’est là que le tableau se complique sérieusement.

Une personne seule rémunérée au SMIC à temps plein dispose d’un revenu disponible supérieur au seuil de pauvreté. C’est grâce à la prime d’activité qui  joue son rôle en l’absence de charge familiale. Cela permet de s’en sortir. Jusqu’ici, tout va bien. Mais changez la donne familiale, et tout bascule.

Pour un parent isolé avec un enfant, même à temps plein au SMIC, on se retrouve clairement en dessous du seuil de pauvreté. Pire encore : le revenu disponible ne compense plus suffisamment le salaire net malgré les transferts sociaux. C’est ici que la notion de « pauvreté laborieuse » prend tout son sens. Selon l’Insee, les familles monoparentales sont aujourd’hui le groupe le plus exposé à la pauvreté et à la privation matérielle, non parce qu’elles travaillent moins, mais parce qu’elles cumulent un revenu unique, des charges plus élevées et une moindre capacité d’ajustement.

Autre surprise : un couple avec un enfant et deux SMIC vit lui aussi en dessous du seuil de pauvreté. La composition familiale crée une pauvreté structurelle même avec deux salaires au minimum. Une partie du gain salarial disparaît en raison de la baisse des aides et de l’entrée dans l’impôt, ce que les économistes appellent les « taux marginaux implicites ».

Et ce n’est pas tout. Le temps partiel contraint, qui touche une proportion importante de salariés au SMIC, modifie radicalement l’équation. On parle d’un salaire minimum horaire, mais concrètement, les ressources mensuelles ne reflètent pas ce taux. Un SMIC versé sur 80 % d’un temps plein conduit mécaniquement à un revenu inférieur et donc à une exposition accrue à la pauvreté.

Cette réalité confirme un phénomène en hausse : la pauvreté laborieuse touche des travailleurs insérés, qualifiés et en contrat stable. Pour autant le salaire minimum, appliqué sur un volume horaire insuffisant ou absorbé par des dépenses contraintes, ne permet plus un niveau de vie décent. Selon l‘Observatoire des inégalités, environ une personne en situation de pauvreté sur trois occupe un emploi. (Lire l’article sur The Conversation)


Protection de l’enfance : l’état des lieux 2025 

couv rapport protection enfance 2025Ce rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) vient d’être publié. Ses conclusions ne prêtent pas à l’optimisme béat. Derrière les chiffres, c’est tout un système sous tension qui se dessine, pris en étau entre l’augmentation des besoins et la raréfaction des moyens.

Premier constat : le nombre de mineurs pris en charge par la protection de l’enfance atteint 364 200 fin 2023, soit une hausse de 22 % depuis 2013. Mais l’augmentation est encore plus impressionnante quand on la rapporte à la population : le taux d’enfants concernés est passé de 20,3 ‰ en 2013 à 25,8 ‰ en 2023, alors même que la population des moins de 18 ans a diminué de 4 % sur la période. Un paradoxe qui en dit long sur l’aggravation des situations.

La judiciarisation s’accentue : 82,4 % des prises en charge sont désormais des mesures judiciaires, contre 78,6 % il y a dix ans. Un signe que les situations arrivent de plus en plus dégradées dans le système de protection.

Autre évolution majeure : le placement devient majoritaire. Pour la première fois, le nombre d’accueils (190 300) dépasse celui des interventions en milieu ouvert (174 000). En dix ans, la proportion de placements est passée de 47,5 % à 52,2 % de l’ensemble des mesures. Une inversion de tendance qui interroge sur notre capacité à intervenir préventivement, avant que les situations ne deviennent critiques.

Les modalités d’accueil se transforment également. Moins de 4 enfants confiés sur 10 (36 %) vivent désormais en famille d’accueil, contre 41 % en établissements. Le nombre de jeunes accueillis en établissement a bondi de 50 % en dix ans, passant de 55 100 à 82 600. Dans le même temps, les accueils en logement autonome ont explosé (+143 %), passant de 5 300 à 12 900 jeunes.

La population des mineurs non accompagnés (MNA) continue d’augmenter : 46 200 jeunes (mineurs et jeunes majeurs) fin 2023, soit une hausse de 17 % en un an seulement. Un défi supplémentaire pour des départements déjà sous pression.

tableau evolution des saisine JE 2013 2023

Du côté judiciaire, la machine s’emballe : 124.117 nouveaux mineurs ont fait l’objet d’une saisine d’un juge des enfants en 2023. soit une hausse de 10 % en un an et de 50 % depuis 2013. Les nouvelles révélations de violences et la libération de la parole expliquent en partie cette augmentation conséquente.

Car le rapport documente également l’ampleur des maltraitances. La libération de la parole se traduit par une explosion des dépôts de plainte : près de 22.000 victimes mineures de violences sexuelles intrafamiliales enregistrées en 2024 (soit 2,5 fois plus qu’en 2016), et plus de 57.000 victimes de violences physiques intrafamiliales (presque un triplement depuis 2016).

Ces constats dessinent un système de protection de l’enfance à bout de souffle. Il est tiraillé entre l’augmentation importante des besoins, la transformation de la nature des prises en charge, et la pression croissante sur des moyens qui ne suivent pas.

Le rapport appelle à une harmonisation des définitions au niveau national et pointe la nécessité d’adapter les réponses à l’ampleur du phénomène. Car derrière ces statistiques, ce sont des milliers d’enfants et de jeunes qui attendent qu’on leur offre non seulement la sécurité, mais aussi les conditions d’un développement harmonieux. Un défi qui ne peut être relevé qu’avec des moyens à la hauteur et des professionnels reconnus et soutenus. (lire le Rapport de l’ONPE)


Copinage et p’tit Bonus

Mon ami Jacques Trémintin a été interviewé cette semaine par Sqool TV au sujet de son dernier livre « 50 nuances d’enfants en danger ». Je trouve que ce qu’il dit au journaliste au sujet du travail des éducateurs de l’ASE est très pertinent, écoutez et voyez…

 


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​Vous êtes allé(e) au bout de cette revue de presse ? Bravo et merci ! Merci aussi à Michelle Flandre pour son soutien !

Photo : Capture d’écran reportage © : NVO La Vie Ouvrière : Jordan Bernard représentant de la CGT au collectif travail social en lutte

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