Les chiffres sont tombés à l’approche de l’hiver : 36 % des foyers français ont peiné à payer leurs factures d’énergie ces douze derniers mois. Un record absolu qui nous rappelle que derrière les statistiques se cachent des familles qui ont froid, des personnes âgées qui s’enferment dans une seule pièce, des enfants qui font leurs devoirs emmitouflés. Et pourtant, malgré ce tableau sombre, des solutions existent, portées notamment par les travailleurs sociaux qui se mobilisent contre cette précarité dont on parle trop peu.
Le médiateur de l’énergie tire la sonnette d’alarme
Le baromètre 2025 du médiateur national de l’énergie, publié en octobre dernier, confirme ce que beaucoup d’entre vous constatent sur le terrain : la précarité énergétique ne recule pas, elle s’aggrave. Les 36 % de foyers en difficulté de paiement représentent un bond considérable par rapport aux 28% de 2024 et aux 18% de 2020. C’est du jamais vu depuis que ces statistiques existent
Mais ce n’est pas tout. 74% des foyers déclarent avoir restreint leur chauffage pour raisons financières, un chiffre proche du record de 79% enregistré en 2023. Et comme si cela ne suffisait pas, le versement tardif du chèque énergie 2025 (en novembre au lieu du printemps, à cause du retard d’adoption de la loi de finances) a été pénalisant pour 61% des bénéficiaires. Résultat : 35% d’entre eux ont connu des difficultés de paiement pouvant aller jusqu’à une coupure ou une réduction d’énergie.
Les jeunes sont particulièrement touchés : 53% des moins de 35 ans rencontrent des difficultés à payer certaines factures d’énergie, contre 28% dans l’ensemble de la population. Quand on sait que cette génération doit déjà composer avec des loyers prohibitifs et une précarité de l’emploi, on mesure l’ampleur du désastre.
Une proposition courageuse : interdire les coupures d’électricité
Face à cette situation, Olivier Challan Belval, le médiateur national de l’énergie, ne mâche pas ses mots. Il réitère son appel à interdire les coupures d’électricité en cas d’impayés. Il demande que soit à instauré un droit à une alimentation minimale en électricité. « À la veille de la trêve hivernale, je tiens à rappeler que l’électricité constitue un produit de première nécessité », a-t-il déclaré au journal Les Échos.
Soulignant que les coupures d’électricité pour impayés « sont d’une grande violence pour les foyers les plus vulnérables », il propose de les remplacer par une limitation de la puissance de la fourniture d’électricité. Une proposition de bon sens qui permettrait d’éviter les situations dramatiques où des familles se retrouvent sans lumière, sans possibilité de cuisiner ou de chauffer leur logement, tout en maintenant une pression pour régler les dettes.
En 2024, les interventions pour impayés ont explosé, avec 937.000 limitations de puissance et 309.000 coupures d’électricité ou de gaz. C’est une hausse de 16 % par rapport à l’année précédente. Ces chiffres démontrentt l’urgence de la situation.
Les limites des aides existantes
Si l’on parle beaucoup du chèque énergie, force est de constater que cette aide reste notoirement insuffisante. Avec un montant moyen d’environ 150 euros par an (variant de 48 à 277 euros selon les ressources), il ne couvre qu’une fraction dérisoire des factures énergétiques annuelles qui tournent autour de 1.400 à 1.500 euros.
Le Secours Catholique demande depuis longtemps que ce montant soit porté à 500 euros pour les ménages en situation de grande pauvreté. Une revendication qui paraît d’autant plus légitime que le chèque énergie n’a pas été revalorisé depuis 2019, alors que les prix de l’énergie ont explosé.
Un patchwork d’aides complexe et inégalitaire
Au-delà du chèque énergie, il existe d’autres types d’aides : le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) délivré par les départements, les aides des CCAS, de la CAF, des caisses de retraite complémentaire, des associations caritatives… Un véritable maquis dans lequel les travailleurs sociaux doivent savoir « jongler » car certaines aides sont accordées si d’autres ne le sont pas alors que c’est l’inverse pour d’autres.
Le problème ne s’arrête pas là. Les conditions d’attribution du FSL et les montants des aides peuvent varier d’un facteur de 1 à 4 selon les départements. Autrement dit, selon que vous habitiez dans tel ou tel territoire, vous n’aurez pas accès aux mêmes soutiens. Une inégalité territoriale qui vient s’ajouter à la précarité sociale.
Autre difficulté majeure : le non-recours. Au Secours Catholique, près de 25% des bénéficiaires potentiels du chèque énergie ne le demandent pas, du fait de la complexité du courrier envoyé. Certains travailleurs sociaux renoncent d’eux-mêmes à constituer des dossiers FSL, de peur de créer de faux espoirs auprès des ménages en difficulté, sachant que les départements ont durci les conditions d’attribution.
Ces aides financières, aussi bienvenues soient-elles, ne s’attaquent pas au fond du problème : les logements énergivores, mal isolés, véritables passoires thermiques qui engloutissent des fortunes en chauffage tout en laissant leurs occupants dans le froid.
Des travailleurs sociaux en première ligne
Face à cette situation, les travailleurs sociaux ont un rôle important à jouer. Ils sont souvent les premiers à détecter les signaux faibles : une famille qui accumule les impayés, une personne âgée qui ne chauffe qu’une seule pièce. Des enseignants constatent aussi que des enfants arrivent à l’école frigorifiés et se collent au radiateur…
Le repérage : un art subtil
Le repérage de la précarité énergétique est un exercice délicat. Elle ne se voit pas de l’extérieur. Pourquoi ? toute simplement parce que les ménages concernés ont souvent honte et cachent leur situation. C’est là que l’accompagnement social prend tout son sens : la relation de confiance établie avec les travailleurs sociaux permet de libérer la parole et d’identifier les besoins réels.
Comme le souligne l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), plusieurs profils coexistent : Il y a celles et ceux qui ont des factures très élevées dans des logements mal isolés. Il y a aussi celles et ceux qui basculeraient sous le seuil de pauvreté s’ils chauffaient correctement leur logement ONPE.
Des dispositifs innovants : les visites en binôme
Une des innovations les plus prometteuses dans la lutte contre la précarité énergétique, c’est l’intervention en binôme travailleur social/thermicien lors de visites à domicile. Cette approche, mise en œuvre dans de nombreux territoires, permet de combiner expertise sociale et technique pour proposer des solutions vraiment adaptées
Un article du Le Média Social un peu ancien mais toujours d’actualité indique qu’un autre levier pour avancer est la formation. Le but n’est pas de demander aux travailleurs sociaux de devenir des experts de l’habitat mais de leur donner des clés pour identifier des premiers éléments lorsqu’ils sont au domicile, et de leur apporter la connaissance des acteurs mobilisables sur leur territoire. Si les CESF constituent les profils les plus évidents pour agir contre la précarité énergétique, aucun métier du champ social et médico-social ne devrait être écarté. Y compris les acteurs de l’aide à domicile.
Mais revenons à la co-intervention. Le thermicien analyse l’état du logement, identifie les sources de déperdition de chaleur, repère les équipements vétustes. Le travailleur social, lui, évalue la situation globale de la famille, ses ressources, ses difficultés, et l’oriente vers les aides disponibles. Ensemble, ils établissent un diagnostic complet et proposent un plan d’action réaliste.
Cette approche, loin d’être anecdotique, a fait ses preuves. Elle permet d’éviter les solutions toutes faites et de tenir compte de la complexité de chaque situation. Car rappelons-le : la précarité énergétique ne se résume jamais à un seul problème, mais résulte toujours d’un faisceau de facteurs.
Le programme SLIME : une réponse territoriale intéressante
Le SLIME (Service Local d’Intervention pour la Maîtrise de l’Énergie) est sans doute l’un des dispositifs les plus aboutis en matière de lutte contre la précarité énergétique. Lancé il y a plusieurs années, il vise à massifier le repérage, l’orientation et l’accompagnement des ménages en situation de précarité énergétique LesSlime.fr.
Le principe est simple et plutôt efficace : créer un réseau local d’acteurs (travailleurs sociaux, CCAS, bailleurs, fournisseurs d’énergie, associations…) qui travaillent de concert pour identifier et accompagner les ménages en difficulté. Un véritable exemple de ce que le travail en réseau peut produire de meilleur !
En Gironde, par exemple, le SLIME33 en 2022, 1.016 ménages girondins ont été accompagnés vers une sortie durable de la précarité énergétique. Le dispositif intervient à plusieurs niveaux : repérage, diagnostic énergétique du logement, proposition de solutions adaptées (aides à la rénovation, médiation avec les propriétaires, remplacement d’appareils vétustes)
À Paris, l’Agence parisienne du climat (APC) a développé un accompagnement personnalisé en cinq étapes. Un binôme composé d’une architecte et d’un travailleur social se rend au domicile pour étudier à la fois les problématiques techniques et sociales.

Les actions collectives : quand l’union fait la force
Si l’accompagnement individuel est essentiel, les actions collectives représentent un levier formidable pour démultiplier l’impact et créer une dynamique d’entraide. Et là, les travailleurs sociaux ont plus d’un tour dans leur sac !
- Les ateliers éco-gestes : apprendre ensemble à économiser. De nombreuses associations et structures sociales organisent des ateliers collectifs sur les économies d’énergie. Ces temps de rencontre permettent aux participants d’échanger sur leurs pratiques, de découvrir des gestes simples pour réduire leur consommation, et surtout de sortir de l’isolement.
Habitat et Humanisme, par exemple, propose des ateliers éco-gestes aux personnes qu’elle loge et accompagne. L’objectif ? Sensibiliser aux petits gestes du quotidien qui, mis bout à bout, peuvent faire une vraie différence sur les factures Groupe Qualiconsult.
L’association Shakti21 anime également des ateliers collectifs. Ils aident les participants à savoir sur quoi et comment agir pour diminuer les consommations d’énergie et améliorer le confort thermique de leur logement Shakti21.
Ce qui est intéressant dans ces approches collectives, c’est la dynamique de groupe qui se crée. Les participants ne sont plus de simples « bénéficiaires » passifs, mais deviennent acteurs de leur propre changement. Ils partagent leurs astuces, se soutiennent mutuellement, créent du lien. Certains deviennent même de véritables « ambassadeurs » des économies d’énergie dans leur quartier !
- Le Réseau Éco Habitat : l’accompagnement collectif dans la rénovation : C’est une autre initiative remarquable mise en avant par la Fonda, la fabrique associative. Ce réseau, créé en 2014, accompagne des propriétaires très modestes dans la rénovation énergétique et écologique de leur logement. Leur programme 1DigneToit !, développé en partenariat avec le Secours Catholique, illustre parfaitement la puissance du travail collectif.
Le modèle est innovant : des bénévoles jouent un rôle de passerelle avec les familles. Elles sont ainsi rassurées tout au long du processus de rénovation. L’association se charge de toutes les démarches administratives pour mobiliser les aides (Anah, aides régionales, départementales…). Cela peut permettre d’atteindre jusqu’à 90 % de prise en charge. Elle fait également appel à des entreprises générales partenaires qui acceptent de limiter leurs marges pour proposer un «juste prix». Comme le dit Franck Billeau, fondateur et directeur de Réseau Éco Habitat : «Les bénévoles sont la passerelle avec les familles. Ils jouent un rôle de repérage et sont présents du début à la fin (…). Ils rassurent les familles qui ont peur d’être arnaquées. Sans eux, on n’existe pas !»
Cette approche collective, qui mobilise bénévoles, travailleurs sociaux, thermiciens et artisans, montre qu’une autre voie est possible. Une voie où la solidarité n’est pas un vain mot, mais une réalité concrète qui change la vie des gens.
- Les coopératives citoyennes d’énergie : dépasser les écogestes : Au-delà de la production d’énergie renouvelable, ces coopératives particulières proposent souvent des ateliers sur la sobriété, des achats groupés, des conseils pour mieux consommer. Elles incarnent cette idée que la transition énergétique doit être collective et solidaire.
Ces initiatives montrent qu’il est possible de dépasser les écogestes individuels pour agir collectivement. Cette façon d’agir permet de créer une véritable dynamique de territoire autour de l’énergie.
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Les « trucs et astuces » pour réduire sa facture de chauffage
Bon, c’est bien beau de parler de politiques publiques et d’initiatives collectives, mais concrètement, que peut-on faire au quotidien pour réduire sa facture de chauffage ? Voici quelques astuces simples et efficaces, qui ne coûtent rien ou presque :
- Les gestes de base (qui font vraiment la différence !)
1. Régler la température pièce par pièce
L’ADEME recommande 19°C dans les pièces de vie et 17°C dans les chambres. Chaque degré en moins permet d’économiser environ 7 % sur la facture de chauffage. Alors oui, il faut parfois enfiler un pull, mais c’est mieux que de se ruiner ! (ALEC Ain)
2. Purger les radiateurs avant l’hiver
Des radiateurs bien purgés diffusent mieux la chaleur. C’est une opération simple que tout le monde peut faire avec une clé de purge (quelques euros en magasin de bricolage). Ne pas couvrir les radiateurs avec des rideaux ou des meubles pour laisser circuler l’air (SFIEET.)
3. Dépoussiérer régulièrement les radiateurs
La poussière accumulée sur les radiateurs réduit leur efficacité. Un simple coup de chiffon peut améliorer sensiblement la diffusion de chaleur (Maison & Travaux).
4. Fermer les volets la nuit
Fermer tous les volets du logement pour la nuit permet de diminuer les pertes de chaleur de 15 %. C’est gratuit et diablement efficace ! Pensez aussi à fermer les rideaux épais si vous en avez.
5. Traquer les courants d’air
Les portes et fenêtres mal isolées sont de véritables passoires thermiques. Des boudins de porte (qu’on peut fabriquer soi-même avec de vieux vêtements), du joint adhésif pour calfeutrer les fenêtres… des petits investissements qui se rentabilisent très vite (Palette Pellets).
- Les astuces moins connues (mais tout aussi efficaces)
6. Aérer intelligemment
Contrairement à une idée reçue, il faut aérer son logement même en hiver pour évacuer l’humidité (qui donne une sensation de froid). Mais 10 minutes suffisent largement, fenêtres grandes ouvertes, en coupant le chauffage. Pas besoin de laisser la fenêtre entrouverte toute la journée !
7. Profiter du soleil
Ouvrez vos rideaux et volets en journée pour laisser entrer le soleil (gratuit et écologique !). Le rayonnement solaire peut chauffer naturellement votre intérieur. Refermez-les dès la nuit tombée pour conserver cette chaleur.
8. Adapter le chauffage selon son emploi du temps
Si vous êtes absent la journée, baissez le chauffage à 16°C plutôt que de l’éteindre complètement. Contrairement à ce qu’on pense, rallumer un chauffage dans une maison très froide consomme plus d’énergie que de maintenir une température basse.
9. Isoler les points stratégiques
Si vous êtes locataire et ne pouvez pas faire de gros travaux, concentrez-vous sur les petites isolations : placer un tapis épais sur un sol carrelé froid, installer des rideaux thermiques, isoler la porte d’entrée… (Hydro-Québec)
10. Entretenir sa chaudière
Un entretien annuel de la chaudière est obligatoire, mais c’est aussi un gage d’efficacité énergétique. Une chaudière bien entretenue consomme 8 à 12 % d’énergie en moins. Ne négligez pas cet aspect ! Tout le monde ne peut pas se le permettre mais c’est mieux ainsi.
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- Pour les plus bricoleurs… Si vous êtes un peu manuel et que votre budget le permet, vous pouvez aussi :
11. Installer un film isolant sur les fenêtres anciennes
12. Poser des panneaux réflecteurs de chaleur derrière les radiateurs
13. Isoler les tuyaux de chauffage qui passent dans les pièces non chauffées (caves, garages)
L’essentiel est de procéder par étapes. Inutile de tout vouloir faire d’un coup ! Commencez par les gestes qui ne coûtent rien, puis investissez progressivement dans les petits équipements. Et n’hésitez pas à vous rapprocher des structures sociales de votre territoire : beaucoup proposent des kits d’économie d’énergie gratuits (ampoules LED, mousseurs de robinets, thermomètres…).
Conclusion : un combat collectif et politique
La précarité énergétique n’est pas une fatalité. Elle est le résultat de choix politiques, économiques et sociaux qu’il est possible de modifier. Les travailleurs sociaux, par leur accompagnement au plus près des ménages, par leur capacité à créer du collectif et à faire réseau, sont des acteurs essentiels de cette lutte.
Mais soyons clairs : leur action, aussi remarquable soit-elle, ne peut pas tout. Elle ne peut pas compenser l’insuffisance des aides publiques, la lenteur de la rénovation des logements énergivores, les inégalités territoriales criantes, ou encore la violence des coupures d’électricité pour impayés.
Ce qu’il nous faut, c’est une véritable politique publique ambitieuse : un chèque énergie revalorisé à hauteur des besoins réels, l’interdiction des coupures d’électricité remplacées par des limitations de puissance, un grand plan de rénovation des passoires thermiques, et surtout la fin des inégalités territoriales dans l’accès aux aides.
En attendant que les décideurs se réveillent (on peut toujours rêver !), continuons à innover, à créer du collectif, à accompagner dignement ceux qui ont froid. C’est ça aussi, le travail social : tenir debout face à l’injustice, inventer des solutions, et surtout, ne jamais baisser les bras. Même quand les statistiques nous refroidissent plus sûrement qu’un logement mal chauffé.
Et qui sait ? Peut-être qu’un jour, dans un pays développé comme le nôtre, personne n’aura plus froid dans son propre logement. Ce serait bien le minimum syndical, non ?
Note : Pour bien vous informer sur tout ce qui a trait à la Précarité énergétique, je vous recommande le Padlet du CNFPT dédié à ce sujet. C’est un outil génial à votre disposition. Il est mis à jour et référence les documents essentiels à connaitre et à utiliser. (Merci à Bérangere Guillet qui l’a créé).
Sources :
- Baromètre 2025 du Médiateur national de l’énergie
- Le Média Social – Les travailleurs sociaux face à la précarité énergétique
- La Fonda – Agir en collectif pour sortir de la précarité énergétique
- Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE)
- Programme SLIME
- Réseau Rappel
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