Maine-et-Loire : une journée de convergence qui pose les vraies questions sur l’accompagnement au numérique

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Le 13 novembre dernier, le centre social « Les trois mats » à Angers, a accueilli une journée à laquelle j’ai eu le plaisir de participer. Baptisée « Convergence », cette rencontre entre conseillers de maisons France Services et médiateurs numériques était une première. Elle avait pour ambition de faire dialoguer deux dispositifs aux missions proches avec des périmètres d’intervention souvent fluctuants. La journée était organisée par Laura Hérail, animatrice du réseau Cyb@njou pour la Fédération des centres sociaux du Maine-et-Loire et de la Mayenne, et Émilie Jorge, animatrice du réseau France Services au Conseil départemental de Maine-et-Loire (Photo).

Nous avons donc là deux univers professionnels qui se côtoient, se croisent sur le terrain. Les conseillers France Services accompagnent aux démarches administratives et « basculent fréquemment vers du numérique » ; les médiateurs et conseillers numériques forment aux usages du numérique mais se retrouvent régulièrement sollicités pour des démarches CAF ou Pôle Emploi pour ne citer que ces institutions. Entre les deux, la frontière est tracée mais pour les usagers et les praticiens du numérique et de l’accès aux droits en Anjou, elle peut parfois être floue, et c’est précisément cette zone grise que la journée Convergence a cherché à clarifier. 

Anjou numérique, pilier de l’inclusion numérique départementale

anjou numeriqueImpossible de parler de cette journée sans évoquer le rôle d’Anjou Numérique. Ce syndicat mixte  porte depuis plusieurs années une politique ambitieuse en matière d’accompagnement aux usages du numérique. En partenariat avec le Département, cette structure a élaboré un schéma des usages et services numériques qui place l’accompagnement numérique comme une priorité absolue. Il faut le reconnaitre, ce n’est pas le cas partout.

Constatant que près d’un adulte sur cinq n’utilise jamais d’ordinateur ni de smartphone, le syndicat s’est engagé aux côtés d’une dizaine de partenaires pour développer une offre de médiation pérenne et répartie sur l’ensemble du département.Anjou Numérique ne se contente pas de coordonner : l’organisme accompagne les collectivités dans leur politique d’inclusion numérique et soutient les acteurs locaux en lançant des appels à projets (en partenariat avec la CAF, la MSA et la CPAM).

La structure a aussi expérimenté des outils comme le coffre-fort numérique pour les publics vulnérables. Il a organisé des assises départementales sur des thématiques comme l’éducation numérique des enfants. C’est dans ce cadre structurant, animé notamment par Laura Hérail qui coordonne le réseau Cyb@njou, que s’inscrivait cette journée Convergence.

L’atelier brasero : un exercice de lucidité collective

Cette journée du 13 novembre était donc consacré exclusivement aux médiateurs et conseillers des deux dispositifs. Il a permis de s’appuyer sur la parole des professionnel(le)s de terrain dans le cadre d’un atelier baptisé « Brasero ». Cet exercice participatif, qui a rassemblé conseillers France Services (FS) et médiateurs numériques (MN), a permis à chacun d’apporter son point de vue autour de plusieurs questions fondamentales. Les réponses, loin de tout angélisme institutionnel, dessinent un portrait intéressant de ces métiers de l’accompagnement.​ Regardons ensemble les réponses apportées aux questions abordées.

Qu’est-ce qui fait qu’un accompagnement soit réussi ?

devant le 3 matsPour ces professionnels, la réussite ne se mesure pas toujours à la résolution du problème. « Une obligation de moyen mais pas de résultat », ont-ils rappelé avec justesse. Un accompagnement réussi, c’est d’abord celui où la personne s’est sentie entendue et écoutée, où la reformulation a permis de clarifier la demande. C’est aussi cette différence d’attitude observable entre l’arrivée et le départ de l’usager : soulagement, sourire, détente.

Les participants ont évoqué ces moments où la confiance s’installe durablement : « les gens reviennent », « le bouche à oreilles a fonctionné ». Certains ont mentionné des marques de reconnaissance inattendues : chocolats, légumes du jardin, fleurs offerts spontanément. D’autres ont cité cette phrase révélatrice une fois le problème résolu : « Vous êtes la maison des miracles », ou encore cette question : « Combien je vous dois ? »

La réussite se loge aussi dans la capacité à montrer qu’on fait équipe avec la personne. Cela veut dire qu’on met tout en œuvre pour essayer de répondre même si cela prend du temps. Cela suppose un cadre clair et rassurant, et une capacité à formuler explicitement ce que l’on fait pour rendre visible l’action d’accompagnement.

Qu’est-ce qui facilite – ou freine – la coopération entre France Services et médiateurs numériques ?

Les facteurs de réussite sont clairement identifiés : la proximité géographique, l’interconnaissance, la possibilité de se voir entre professionnels, le partage d’agendas et une organisation collective qui clarifie « qui fait quoi ». Associer à ces temps de travail un aspect ludique et convivial facilite aussi les échanges.

À l’inverse, les freins sont tout aussi nets : l’éloignement entre les structures, le manque de régularité dans les présences, et surtout le manque de connaissance mutuelle. Lors d’un autre temps de discussion, les participants ont complété ce constat : il y a aussi le manque de temps, la faible fréquence de rencontre, l’existence de deux employeurs différents avec parfois des antécédents entre structures, les contraintes de financement, et le manque de connaissances du réseau et des ressources locales constituent autant d’obstacles.

En revanche, plusieurs leviers d’amélioration ont émergé : il faudrait créer des habitudes de contact en organisant par exemple des « cafés partenaires ». Il faudrait aussi s’appuyer sur l’implication des élus pour apporter une orientation politique de l’aide et de l’accompagnement au numérique. Il reste nécessaire de mieux cadrer les postes. Enfin il est suggéré de profiter de la configuration des maisons France Services pour favoriser des permanences conjointes.

Qu’aimeriez-vous que les partenaires connaissent mieux de vos métiers et contraintes ?

Effectivement la demande est claire : les participants apprécieraient que soient engagées des « immersions croisées » dans les services pour que tous comprennent concrètement les missions de chacun. Les professionnels insistent sur l’importance de « remettre du cadre » et de connaître la réalité de terrain des partenaires et que ceux ci connaissent mieux le leur.

Ils souhaitent mieux communiquer sur « qui fait quoi », et surtout faire comprendre l’écart qui existe entre ce qui est un numéro d’un dossier et la réalité d’un moment d’une personne dans son parcours de vie.

Les conseillers France Services demandent que les douze opérateurs partenaires soient plus au clair sur les niveaux d’intervention (premier niveau versus deuxième niveau). Il s’agit de connaitre et de comprendre les contraintes de chacun. Ils voudraient que  cessent les orientation « fourre-tout » mal évaluées. Ils réclament également une meilleure visibilité sur l’offre de service réelle des maisons France Services, qui comporte trois dimensions : l’offre officielle nationale, l’offre officielle locale (variable selon les structures), et l’offre plus informelle qui dépend des structures et des personnes. Ces 3 niveaux se rapprochent de ce que j’appellerais le travail vu de l’institution, celui intégrant les réalités locales et enfin les appétences de chaque professionnel à apporter des réponses plus ou moins élaborées.

Les professionnels souhaitent enfin proposer des immersions d’une journée dans les maison France Services. Elles seraient ouvertes aux conseillers numériques, aux agents des collectivités et aux travailleurs sociaux. Cela permettrait de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Quelles compétences aimeraient-on développer pour mieux répondre aux besoins des usagers ?

La liste dressée par les participants révèle l’ampleur des besoins en formation continue. En tête des attentes : mieux connaître les missions des partenaires et les démarches associées pour mieux réorienter les personnes. Viennent ensuite des compétences relationnelles essentielles : savoir comment conclure et finir un entretien, maîtriser la communication non-violente (CNV) lorsque des tensions surviennennt, développer l’écoute active, gérer les conflits, accueillir les émotions. ​ Cela vous dit quelque chose ? A mon sens nous retrouvons là certains fondamentaux du travail social.

Les professionnels demandent aussi à savoir prendre du recul et maintenir la juste distance, ce qui suppose des espaces d’analyse de pratiques. Ils souhaitent aussi se former pour savoir se positionner face à des personnes qui ont des troubles de santé mentale. Ils voudraient  disposer d’arguments pour lutter contre les discriminations  face aux préjugés racistes, sur la pauvreté ou les minimas sociaux.​ En effet que dire si un usager dit que ce sont les étrangers qui profitent des aides sociales ?

Du côté technique, ils veulent se former à l’intelligence artificielle et aux compétences techniques émergentes, mais aussi à la posture pédagogique : trouver les bons mots, donner envie, accompagner vers l’autonomie plutôt que faire à la place de l’usager (par exemple en utilisant le double écran, clavier, souris). Certains évoquent même « un sentiment de honte de ne pas maîtriser certains aspects techniques », soulignant la nécessité de formations continues adaptées.

Comment gérer la frontière entre accompagnement administratif et accompagnement à l’autonomie numérique ?

Cette question touche au cœur du dispositif et révèle toute la complexité du terrain. Les conseillers numériques posent un principe : « dès que cela touche à des données personnelles, je réoriente » disent certains. Mais la réalité est souvent plus nuancée. Certains conseillers France Services expliquent : « On fait à la place de la personne si elle n’est pas autonome, et si elle en a envie, on l’oriente vers le conseiller numérique ». D’autres affirment : « J’accompagne mais ne fais pas à la place de, et si difficultés je redirige ».

Cette frontière dépend en fait de multiples facteurs : le cadre de travail, le temps disponible, les appétences de chacun, et surtout les contraintes des organisations porteuses. Les participants rappellent l’importance de ne pas dépasser ses missions en ayant l’attitude du sauveur. Certains constatent aussi que les agents France Services n’ont souvent pas le temps de traiter les demandes d’accompagnement numérique, d’où la nécessité de renvoyer vers les conseillers plus formés à ce sujet.

Un constat émerge : « L’accompagnement vient toujours dans un second temps après l’urgence de la démarche ». Et surtout, « aucun conseiller France Services ne fait d’évaluation du niveau d’autonomie numérique des personnes avant le début de l’accompagnement », ce qui complique la bonne orientation.

Les professionnels ont proposé une typologie intéressante des usagers. Il y a ceux qui sont « non autonomes sans envie d’apprendre » et qui ne souhaitent absolument pas apprendre : pour eux, il faut faire « à la place de ». Il y a ceux qui sont « non autonomes et non réfractaires », qui souhaitent de l’aide dans leurs démarches et peuvent être orientés vers les médiateurs pour développer l’autonomie. Enfin, il y a les « partiellement autonomes et volontaires », qui souhaitent être accompagnés et rassurés, et doivent être orientés vers un médiateur si ce n’est pas déjà fait.

Quels gestes ou attitudes créent la confiance avec le public ?

Les réponses convergent : l’accueil et le sourire restent fondamentaux. La réassurance, le sentiment de sécurité et la garantie de confidentialité sont essentiels. « Avoir un contact dans les cinq minutes » est cité comme un seuil critique. La posture physique compte : se mettre à côté de la personne, sans trop de barrières est considéré comme plutôt efficace.

Les professionnels insistent sur l’importance d’adapter son vocabulaire à son interlocuteur.  Il faut de prendre le temps de formuler explicitement ce que l’on fait. Certains invitent à s’appeler par le prénom pour créer une relation moins formelle.

Autre point : le respect du Règlement Général de Protection des Données. Comment ? en effaçant les données après l’accompagnement, et le fait de demander l’autorisation avant toute manipulation renforcent également la confiance de la personne aidée

Comment mieux orienter les usagers ?

Les professionnels réclament des outils concrets : une carte mentale de chaque structure avec son rôle, des temps d’échange réguliers, la constitution de réseaux locaux, le partage de projets communs.

Ils souhaitent aussi « démystifier le fait qu’un usager DOIT repartir avec une réponse immédiate ». Ils reconnaissent que certaines situations nécessitent du temps et des relais. Le tout, tout de suite ne fonctionne pas, même à l’ère du tout numérique.

Des projets et actions communes pour renforcer la collaboration

Les participants ont proposé plusieurs pistes d’action : Profiter des journées France Services pour organiser des ateliers collectifs communs sur des thèmes comme l’accès aux droits, les sites utiles, la carte vitale, France Identité, les boîtes mails ou les mots de passe. Systématiser des moments d’échanges, partager des outils communs (agendas, espaces partagés).

Cette première journée « Convergence » elle-même est identifiées comme un outil précieux de rapprochement. Les professionnels souhaitent multiplier les permanences conjointes, que ce soit dans les maisons France Services, les bibliothèques ou d’autres lieux, pour limiter « l’effet frontière ».

Ils proposent aussi de clarifier les rôles de chacun à travers une idée novatrice : fusionner les comités de pilotage France Services et Inclusion numérique pour mutualiser les réflexions et mieux informer les élus.

Comment chacun parle-t-il de son rôle aux partenaires ?

Cette question révèle aussi bien les convergences que les spécificités de chaque métier. Les médiateurs numériques se définissent comme ceux qui « forment et accompagnent à l’usage de l’outil ». Ils sont des « animateurs numériques » qui travaillent à « l’apprentissage à l’autonomie ». Ils insistent : « ne jamais faire à la place », « dépatouiller les situations », « redonner confiance », « dédiaboliser le numérique ». Leur vocabulaire valorise l’« accompagnement/autonomie », la « sécurisation », la « reformulation », l’« adaptation ».

Les conseillers des maisons France Services se situent davantage dans le « social administratif ». Ils  se présentent comme les « petites mains de l’administration », la « boussole pour mieux orienter ». Ils sont ceux qui assurent la « mise à la portée, vulgarisation du service public ». Ils parlent d’« accompagnement aux démarches administratives avec nos partenaires nationaux ».

Les deux groupes partagent des mots communs : « facilitateur », « aider à être autonome », « accompagnement/aide numérique dans les communes ». Ces convergences sémantiques témoignent d’une culture professionnelle qui se rapproche, même si les périmètres d’intervention restent distincts.

une journée qui pose les jalons d’une meilleure articulation

Cette première journée Convergence du Maine-et-Loire représente bien plus qu’un temps d’échange institutionnel. Elle constitue une tentative rare et nécessaire de penser ensemble les articulations entre deux dispositifs qui, sur le papier, semblent complémentaires, mais qui, sur le terrain, se heurtent à des flous organisationnels, des manques de coordination et des orientations parfois inadaptées.

Cet atelier Brasero a permis de mettre des mots sur les réalités du travail d’accompagnement, loin des discours convenus sur la transformation numérique et l’accessibilité des services publics. Il ressort de ces échanges une demande forte de reconnaissance mutuelle. Il y aussi une demande de formation continue adaptée aux enjeux relationnels autant que techniques. Et enfin le désir de disposer de temps pour se rencontrer et construire ensemble.

Reste à savoir si cette dynamique de convergence saura se pérenniser. Est ce que les espaces de coopération imaginés le 13 novembre dernier deviendront des réalités structurantes ? Est ce que les financeurs sauront entendre cette demande d’immersions croisées, d’analyse de pratiques et de clarification des rôles ?

Cet enjeu dépasse largement le Maine-et-Loire : il concerne tous les départements confrontés à la dématérialisation des services publics et à l’urgence de ne laisser personne sur le bord du chemin. Cette contribution peut ainsi être utile pour tous les professionnels et institutions qui œuvrent pour les « exclus du numérique », c’est d’ailleurs pour cela que je vous ai proposé cet article. N’hésitez pas à le partager !

 


Photo : les organisatrices de la journée Emilie Jorge et Laura Herail

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