Livre ouvert : « Le miroir »

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Luc Bronner débute son livre par deux reportages aux antipodes et pourtant si proches. Deux facettes d’une même réalité : l’une largement couverte par la presse, l’autre quasiment invisible.

C’est par le menu qu’il nous décrit d’abord les émeutes qui ont embrasé 672 communes, il y a deux ans. Puis, il nous détaille l’action au quotidien menée par un Foyer de jeunes travailleurs à Châlons-en-Champagne pour accompagner l’insertion de ses résidents. D’un côté, la colère alimentée par le désespoir et déclenchée, une fois de plus, par la mort d’un jeune. De l’autre, une action socio-éducative qui porte ses fruits, mais à bas bruit, dans l’indifférence des médias. 

Ces révoltes de rue qui éclatèrent en juillet 2023, furent le symptôme d’une certaine jeunesse qui va mal. Pas celle des beaux quartiers, mais celle des réprouvés. C’est toute une population jeune qui s’est soulevé, pas l’une en particulier. Les ¾ des mis en cause, arrêtés dans la rue, étaient de nationalité française, sans casier judiciaire et sans diplômes pour le tiers. Aux côtés des Mohamed, il y avait beaucoup de Mattéo, de Kevin, de Jordan, der Yanis, d’Enzo et d’Adam !

Leur histoire est celle de « quartiers pauvres, faite de cris d’alerte et d’appels au secours que personne n’a voulu écouter et donc entendre » (p.144). Celle de banlieues jalonnées de violences urbaines et de plans gouvernementaux censés y répondre, sans jamais y parvenir. Moins de services publics, moins de crèches, moins d’équipements sportifs, moins de professeurs… Et plus de ségrégation qui aggrave encore plus la tentation des émeutes. Avec comme conséquence la sédimentation des morts et des blessés, des violences policières et du sentiment d’impunité quand les forces de l’ordre y ont recours.

Cela fait des décennies, que le choix a été fait entre la justice sociale ou le maintien de l’ordre. Les banlieues sont devenues le laboratoire de l’idéologie sécuritaire. Mais plus cette politique est en échec, plus elle alimente l’appel à la répression, ce carburant qui loin d’apaiser, décuple la colère. Entre 1990 et 2016, Paul Le Dreff a recensé 360 faits policiers mortels. Les prisons étaient pleines de 69 détenus pour 100.000 habitants en 1969. Elles en étaient à 111 en 2021.

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Le 17 novembre 2005, Graig Stapelton, ambassadeur américain à Paris, adressait un télégramme confidentiel à son gouvernement, alors que les émeutes étaient à leur comble : « le vrai problème est l’échec de la France blanche et chrétienne à considérer ses compatriotes à la peau noire et musulmans, comme des citoyens à part entière » (cité p. 136)

Manifestement notre pays ne l’a toujours pas compris.Notre République a créé en même temps les conditions de la ghettoïsation et la peur des ghettos ! Ce n’est pas tant ces territoires qu’elle a perdus, comme il est aisé de le dire souvent. Elle les a bien délaissés, abandonnés et finalement livrés à une mafia qui commence à gangréner l’État lui-même.

Luc Bronner termine son livre par un reportage sur le quartier de la Monnaie à Roman qui a défrayé la chronique journalistique après la mort de Thomas dans un bal à Crépol. Étonnamment, la mort de Zacharia, quelques mois plus tard, pourtant du même âge, est resté tout à fait inaperçu. L’adolescent, il est vrai, n’appartenait pas à la bonne catégorie sociale…

 


 

Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin

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Photo : (capture d’écran)  Luc Bronner : le reporter et les émeutiers – L’invité de Sonia Devillers sur France Inter

 

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