Les travailleurs sociaux ont pour mission de lutter contre le non recours aux droits. Cette pratique se développe à cause de la complexité administrative des démarches à engager (notamment via le numérique). Le non-recours est aussi une conséquence d’une politique tatillonne des contrôles des organismes qui, telle la CAF, ont en quelque sorte industrialisé leurs process de repérages des indus via un usage systématique des algorithmes.
Les allocataires ont peur de se voir demander le remboursement d’indus, pire d’être accusés de fausses déclarations et d’être sanctionnés. Face à cette pression, ils préfèrent « laisser tomber » et tenter de se débrouiller seuls sans rien demander à qui que ce soit. Cela conduit rapidement à une augmentation des impayés, pouvant aller jusqu’à des expulsions même pour des personnes fragiles telles les personnes âgées. Souvent, les personnes qui arrivent dans les centres médico-sociaux sont déjà dans une situation difficile à comprendre. Ils sont parfois dans des situations inextricables, ne sachant pas ce qui se passe pour eux du point de vue de l’administration.
Comment agir face à cette réalité ?
Les travailleurs sociaux sont bien dans leurs missions quand ils agissent aux côtés des personnes qui n’ont plus de droits ouverts malgré une législation qui leur est favorable. Comment ouvrir des droits à la retraite pour une personne ayant connu une carrière hachée, qui n’a plus avec elle les documents relatifs à ses anciens contrats de travail ? Comment engager un recours quand on ne sait pas utiliser un ordinateur ? De nombreux travailleurs sociaux sont confrontés à des questions qui paraissent insolubles. Ils tentent quand bien que mal de trouver des réponses au cas par cas. Bien évidemment, tout cela est épuisant. Face à l’inertie administrative et la difficulté d’avoir des interlocuteurs fiables, centrés sur l’ouverture du droit, les aidants sont renvoyés à des réponses et des blocages dont a logique est souvent difficile à comprendre.
Les travailleurs sociaux sont ainsi témoins de véritables injustices pour celles et ceux qui tentent de trouver des solutions. Mais il est possible de réagir sans avoir à baisser les bras. Il est pour cela nécessaire de disposer d’outils fiables permettant d’engager des recours avec les personnes concernées. J’invite à ce sujet les travailleurs sociaux à se saisir d’un guide élaboré par la fondation abbé Pierre.
Des fiches pratiques « Faire valoir ses droits sociaux »
Ces fiches très complètes élaborées par la Fondation Abbé Pierre abordent plusieurs situations dans lesquelles peuvent se trouver des personnes à qui il leur est refusé leurs droits. Elles apportent des modèles de courriers, et des contacts associatifs.Je ne peux que vous conseiller des les télécharger et de les imprimer pour les donner aux personnes concernées.
Comment agir ? Un travailleur social bien informé pourra bien conseiller et accompagner son interlocuteur pour qu’il puisse engager un recours. Les principaux droits sont identifiés : la domiciliation, les prestations sociales, la protection maladie, la scolarisation et l’accès à un compte bancaire. Partant du principe que les travailleurs sociaux connaissent ces droits, voici un résumé des recours à engager en cas de refus ou de blocage administratif.
Que faire en cas de refus de domiciliation ?
Tout d’abord, il est essentiel de retenir que la décision du CCAS/CIAS ou de l’organisme agréé doit être rendue dans un délai de deux mois à compter de la demande. Si un refus est émis, il doit être motivé et notifié par écrit au demandeur conformément à l’article L. 264-4 du CASF (Code de l’action sociale et des familles). En cas d’absence de refus écrit et motivé, il est recommandé de faire une demande écrite de domiciliation et d’envoyer une lettre en recommandé avec accusé de réception (RAR) pour demander une motivation du refus, en rappelant que c’est une obligation des communes selon l’article L264-1 du CASF.
- Si l’administration garde le silence pendant deux mois, cela équivaut à un refus implicite. À ce stade, il est possible d’engager un recours gracieux ou hiérarchique auprès du CCAS/CIAS, du maire ou de l’adjoint au maire aux affaires sociales. Il est important de noter que ce recours n’est pas une étape obligatoire avant de saisir le juge.
- L’administration dispose également de deux mois pour répondre à un recours gracieux ou hiérarchique. En l’absence de réponse dans ce délai, cela sera considéré comme un refus implicite. Il est recommandé de conserver des preuves écrites de ces refus, mais en cas d’absence de preuve, les associations peuvent émettre des attestations de refus.
- Enfin, si la décision de refus, qu’elle soit explicite ou implicite, persiste, il est possible de la contester auprès du tribunal administratif. En cas d’urgence, la saisine du juge des référés est envisageable. Toutefois, il est judicieux de prendre conseil auprès d’une structure ressource ou d’un avocat. Il est essentiel de noter qu’il y a un délai de deux mois à compter de la décision de refus pour saisir le tribunal, et au-delà de ce délai, une telle démarche ne sera plus possible.
Parallèlement, en cas de refus d’enregistrement de la demande, d’absence de rendez-vous d’entretien ou de refus de domiciliation, il est recommandé de saisir le délégué du Défenseur des Droits, que ce soit les délégués régionaux ou en ligne, pour résoudre la situation.
Que faire en cas de refus de versement de prestations sociales ?
Face au refus de versement de prestations sociales, il est important de prendre des mesures appropriées en fonction de la situation. Tout d’abord, il est recommandé de demander un rendez-vous avec un technicien de l’organisme concerné. Cette étape permet d’engager un dialogue direct pour mieux comprendre les raisons du refus. Ensuite, il peut être utile d’envoyer une lettre en recommandé avec accusé de réception (RAR) au directeur de l’organisme concerné pour demander le fondement juridique des conditions posées, même si elles sont basées sur des instructions internes. Cette démarche vise à établir un dialogue constructif avec les organismes prestataires et à explorer la possibilité de développer des partenariats.
En parallèle, il est possible d’initier un recours gracieux en envoyant une lettre recommandée avec AR pour contester la décision de l’organisme. Il est essentiel de noter que ce recours doit être rédigé au nom de la personne concernée et signé par elle pour avoir une valeur juridique. Le recours amiable est souvent une étape préalable obligatoire avant de saisir le juge. En cas de persistance du problème, il est recommandé de saisir le délégué du Défenseur des Droits, que ce soit les délégués régionaux ou en ligne, pour obtenir une médiation et résoudre la situation de manière amiable.
Enfin, en ce qui concerne les recours amiables et contentieux, il faut retenir que les recours amiables sont presque systématiquement une étape nécessaire avant de saisir le juge. Les juridictions compétentes pour traiter de ces questions varient en fonction de la prestation concernée, soit le tribunal judiciaire ou le tribunal administratif. Il est également précisé que depuis le 1er janvier 2019, les compétences des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) ont été transférées aux pôles sociaux au sein des tribunaux de grande instance (TGI). De plus, depuis le 1er janvier 2020, les tribunaux d’instance (TI) et de grande instance (TGI) situés dans la même ville ont été regroupés en une juridiction unique : le tribunal judiciaire.
Et avec la CAF ?
Voici les étapes à suivre pour faire valoir vos droits. Rappelons que, majoritairement, chaque situation est particulière.
Il vous faut d’abord comprendre la décision de la CAF, ce qui n’est pas toujours évident : Avant d’agir, assurez-vous de bien comprendre la décision que vous souhaitez contester. Prenez le temps d’analyser les motifs du refus ou de la décision qui pose problème. Il peut s’agir d’un rejet de demande, d’une réduction ou d’une suspension d’une prestation, ou de tout autre désaccord.
La première étape consiste généralement à engager un recours amiable. Pour cela, rédigez une lettre à la CAF dans laquelle vous expliquez clairement pourquoi vous contestez la décision. Soyez précis et argumenté dans votre demande. Il est conseillé d’envoyer cette lettre en recommandé avec accusé de réception (RAR) pour avoir une preuve de son envoi.
Si le recours amiable ne donne pas satisfaction, vous pouvez envisager une médiation. La CAF propose des services de médiation pour tenter de résoudre le différend à l’amiable. Cela peut être utile pour parvenir à un accord sans avoir à aller devant un tribunal.
Si toutes les étapes précédentes ne permettent pas de résoudre le conflit, vous avez le droit d’engager un recours contentieux devant les juridictions compétentes. Le choix de la juridiction dépend de la nature de la décision contestée. En général, les litiges avec la CAF sont soumis au tribunal administratif. Vous devez déposer un recours devant le tribunal administratif territorialement compétent. Assurez-vous de respecter les délais pour déposer votre recours, généralement deux mois à partir de la notification de la décision contestée. Il peut être judicieux de consulter un avocat spécialisé en droit administratif ou en droit de la sécurité sociale pour vous aider dans la préparation et la présentation de votre recours contentieux. Un avocat peut vous guider tout au long de la procédure et renforcer vos chances de succès. Le problème actuellement est que beaucoup d’avocats refusent de s’engager sur ce type de dossier chronophage et peu rémunérateur. Vous pouvez consulter une association telle « La Caisse sociale » peut vous aider à faire valoir vos droits.
Une fois que votre recours est déposé, il sera examiné par le tribunal administratif. Une audience peut être programmée, au cours de laquelle vous aurez l’occasion de présenter vos arguments. Après l’audience, le tribunal rendra un jugement qui statuera sur votre cas. Si le tribunal administratif décide en votre faveur, la CAF devra se conformer à la décision du tribunal. Assurez-vous de bien comprendre les implications de la décision et de suivre les instructions pour obtenir les prestations ou les ajustements auxquels vous avez droit.
Que faire en cas de refus de prise en charge de soins de santé ?
Face à un refus de versement de prestations de santé par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), plusieurs étapes peuvent être entreprises. Tout d’abord, vous pouvez adresser un recours gracieux ou hiérarchique en utilisant une lettre recommandée avec accusé de réception (RAR). Une autre option est de saisir le conciliateur de la CPAM, cependant, il est important de noter que cette démarche ne suspend pas les délais pour un recours formel. (faites toujours attention aux délais à respecter)
En parallèle, vous avez la possibilité de saisir le délégué du Défenseur des Droits, soit au niveau régional, soit en ligne, pour chercher une médiation ou une intervention dans le litige. Si le refus persiste après le recours gracieux ou hiérarchique, il est alors envisageable de déposer un recours amiable auprès de la commission de recours amiable de la caisse. Cette étape est souvent requise avant un recours contentieux.
Enfin, si aucune solution n’est trouvée à travers les étapes précédentes, vous pouvez engager un recours contentieux en déposant votre cas devant le Tribunal Judiciaire (TJ) ou le Tribunal Administratif (TA), selon la nature de la prestation concernée.
Que faire en cas de refus d’inscription à l’école ou à la cantine ?
Pour l’accès à la scolarisation, il est possible de présenter l’enfant au chef d’établissement de l’école, qui doit procéder à une admission provisoire (circulaire du
9 juillet 2014). De plus, un courrier ou un fax peut être envoyé au maire pour demander la scolarisation de l’enfant. Parallèlement, en joignant la copie de la demande au maire, il est possible de demander au préfet de se substituer au maire en tant qu’agent de l’État (art. L. 2122-34 du CGCT). Une saisie du directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN) peut également être entreprise (article L.131-5 du code de l’éducation).
Si ces étapes ne conduisent pas à une solution, il est important d’obtenir une preuve écrite du refus d’inscription. Comment ? En envoyant un courrier en recommandé au directeur de l’établissement ou en rédigeant une attestation suite à un échange oral. Un recours gracieux peut ensuite être adressé au maire, avec copie du refus ou de la lettre de demande d’inscription sans réponse. Il est également possible d’adresser un recours gracieux à la préfecture, qui peut se substituer au maire pour ordonner l’inscription. Parallèlement, une saisine du délégué du Défenseur des Droits peut être réalisée.
En cas de refus persistant de scolarisation, un recours contentieux peut être engagé. Il comprend un recours en annulation de la décision auprès du Tribunal administratif, ainsi que la possibilité de recourir au référé suspension ou au référé liberté.
Pour l’accès à la cantine scolaire, l’absence de réponse dans un délai de trois mois après la demande équivaut à une acceptation. En cas de refus, il est conseillé d’engager un recours gracieux puis contentieux conformément aux règles de droit commun.
Que faire en cas de refus d’ouverture de compte par une banque ?
Plusieurs démarches peuvent être entreprises pour défendre vos droits :
Après le premier refus :
- Prenez un rendez-vous à nouveau au guichet bancaire en apportant la Charte d’accessibilité pour renforcer votre droit au compte de 2008. Demandez expressément une lettre de refus écrite.
- Saisissez le délégué du Défenseur des Droits, que ce soit au niveau régional ou en ligne, pour signaler la situation.
- Pour un étranger, adressez-vous à l’implantation locale de la Banque de France en évoquant la décision MLD-2015-098 du 28 mai 2015 concernant le refus d’ouverture de compte bancaire en raison de la nationalité des réclamants.
- Utilisez le formulaire de demande de droit au compte ou effectuez la demande par courrier simple.
- Si nécessaire, faites-vous accompagner par une association de défense des consommateurs pour vous aider dans ces démarches.
En cas de refus d’application de la décision de la Banque de France :
- Envoyez un courrier en recommandé avec accusé de réception à la banque désignée pour lui rappeler son obligation d’ouvrir un compte conformément à l’injonction de la Banque de France.
- Contactez la Banque de France pour signaler le refus de la banque désignée.
- Saisissez le délégué du Défenseur des Droits, soit au niveau régional, soit en ligne, pour signaler le problème.
- Envisagez de consulter une association ou un avocat pour engager un recours contentieux auprès du Tribunal d’Instance, dans le but d’obtenir une ordonnance du juge contraignant la banque désignée à ouvrir le compte bancaire.
Pour accéder aux modèles de lettre et aux documents mentionnés, vous pouvez les trouver sur le site officiel du Défenseur des Droits, sur le site de la Banque de France, ou en vous référant aux ressources et services fournis par les associations locales de défense des usagers .
Tous ces éléments devraient vous permettent d’agir en informant les personnes concernées par des refus d’accès aux droits. N’hésitez pas à utiliser les documents joints et à lire en détail les fiches réalisés par la Fondation Abbé Pierre.
- Télécharger les Les fiches pratiques « Faire valoir ses droits sociaux » de la Fondation Abbé Pierre
Photo Couverture du document « fiches pratiques » de la fondation abbé Pierre
4 Responses
Bonjour, y a-til obligation de faire un RAPO quand le CAS de la Mairie, refuse de prendre en chage les dossiers FSL énergie, préventif et curatif prétextant que ce n’est pas urgent ? Peut-on saisir le tribunal adminstrati compétent immédiatement ? Cordialement
Concernant les recours CAF, en tant qu’assistant social, je conseille souvent aux usagers de faire appel via l’onglet « nous contacter » de leur compte CAF.
Ceci permet de garder une trace de leur initiative.
En outre, la CAF met une pression plus élevée sur ses agents sur le traitement des demandes internet que sur les demandes courriers.
Certains travailleurs sociaux ont également la possibilité de solliciter des éclaircissements à la CAF via la Plateforme Partenaires.
Malheureusement, dans mon expérience, les services CAF sont parfois réticents à donner des explications aux travailleurs sociaux intervenant à la demande des allocataires et se contentent parfois d’une réponse lapidaire : « une réponse appropriée sera apportée prochainement directement à l’allocataire ».
Avantages :
– sous prétexte de préserver la confidentialité des données personnelles de l’allocataire, elle maintient le huis clos avec les allocataires sans donner la possibilité d’une médiation extérieure qui nous éclairerait utilement sur les pratiques de la CAF sur les motifs du versement, de la suspension et de la supression des prestations, ainsi que sur les indus.
– l’envoi de cette réponse standard permet à la CAF de respecter sur la forme son engagement de répondre sous 48h.
Encore un excellent article, MERCI.
Vos articles sont très utiles, ils nous aident à prendre conscience des réalités et des pratiques du travail social, et nous apportent des pistes pour penser et agir. Merci.
Florence Kagan
Merci de votre commentaire qui me donne envie de continuer…
Bonne journée à vous
DD