La fortune des dix hommes les plus riches du monde a doublé depuis le début de la pandémie tandis que les revenus de 99% de l’humanité ont fondu. Le rapport d’Oxfam, publié lundi 17 janvier indique aussi que les plus fortunés se sont enrichis à la faveur d’aides publiques versées par les gouvernements et les banques centrales en réponse à la crise. « Alors qu’une nouvelle personne devient milliardaire toutes les vingt-six heures, la pauvreté s’est intensifiée chez ceux qui étaient déjà en difficulté avant l’apparition du Covid » indique le rapport.
En France, la fortune des milliardaires a augmenté plus rapidement en 19 mois de pandémie qu’en une décennie entière. De mars 2020 à octobre 2021, la fortune des milliardaires a augmenté de 236 milliards d’euros (soit une hausse de 86%), une somme qui représenterait assez d’argent pour quadrupler le budget de l’hôpital public ou distribuer un chèque de 3500 euros à chaque Français.
Mais pourquoi acceptons-nous de telles inégalités de revenus ?
Nous acceptons l’inégalité économique et nous ne manifestons pas face à ce scandale, car nous nous sentons plus concernés par les méfaits de la pauvreté. Notre triptyque national issu de la révolution « Liberté – Égalité – Fraternité » a pourtant établi l’Égalité comme une valeur fondamentale de la République. La lutte contre l’absence d’égalité devrait bien plus nous mobiliser. Eh bien non, c’est la pauvreté qui nous préoccupe tout simplement parce qu’elle est plus proche de nous et que nous la croisons chaque jour.
Samuel Lacroix émet une hypothèse tout à fait intéressante en citant le philosophe américain Harry Frankfurt : Nous ne nous émouvons pas des écarts de revenus qui peuvent exister entre les riches et les pauvres, qui sont néanmoins colossaux. L’égalité n’a aucune valeur intrinsèque ; ce à quoi nous aspirons, c’est juste avoir suffisamment pour vivre décemment. Or la pauvreté ne permet pas de vivre décemment et c’est ce qui nous scandalise (quand on s’intéresse à ce problème).
Tant que nous avons suffisamment pour vivre nous serions satisfaits. Nous estimons que ceux qui ont énormément plus ne sont pas de notre monde. Ils sortent de notre champ de vision et de préoccupation même si parfois nous sommes scandalisés quand ils ne paient pas leurs impôts dans leur pays ou polluent par leurs frasques autant que des millions d’êtres sur terre.
Oxfam nous propose pourtant une solution : “Une taxe exceptionnelle de 99% sur les revenus provenant de la pandémie des dix hommes les plus riches permettrait de produire assez de vaccins pour le monde, fournir une protection sociale et médicale universelle, financer l’adaptation au climat et réduire la violence liée au genre dans 80 pays”. Elle précise aussi que cette taxe leur laisserait “8 milliards de plus qu’avant la pandémie à ces hommes”. Finalement “Les milliardaires ont eu une formidable pandémie. Les banques centrales ont injecté des milliers de milliards de dollars dans les marchés financiers pour sauver l’économie dont beaucoup ont fini dans les poches des milliardaires.” De quoi être pantois ?
La « grande démission » est-elle le signe d’une prise de conscience ?
Pendant ce temps-là, les personnes fragiles sont devenues plus fragiles encore. Cette amplification sans commune mesure des inégalités a toutefois des effets qu’il nous faut regarder. Samuel Lacroix pose une question intéressante : le mouvement de « grande démission » (the great resignation) à l’œuvre et que nous observons n’est-il pas aussi le signe d’une prise de conscience aidée par le rapport d’Oxfam ? Cela provoque-t-il déclic qui ferait dire à la plupart d’entre nous : à quoi me sert-il encore de travailler, d’être ambitieux, puisque je demeurerai toujours au bas de l’échelle, je continuerai de m’appauvrir à mesure que les riches s’enrichiront ?
Aux États-Unis, l’été dernier, plus de 4,3 millions de salariés ont démissionné de leur travail (pour le seul mois d’août), du jamais vu depuis que les statistiques américaines sur les démissions existent. Le phénomène atteint aujourd’hui notre pays. Il semble toucher tous les salariés, les moins comme les plus qualifiés, dans les PME et les grands groupes.
Finalement, pour des millions de personnes, travailler ne permet pas d’échapper à la pauvreté. Les salaires sont bas alors que les prix augmentent. Ceux qui s’enrichissent sont les mêmes : ceux qui sont déjà riches. Si ce mouvement continue, il est possible que nous allions vers des mouvements sociaux incontrôlables. Les gilets jaunes en ont été une première manifestation même si ce mouvement a ensuite été dévoyé.
Laissons la conclusion à Samuel Lacroix qui est par ailleurs Titulaire d’un master en philosophie de l’École normale supérieure de Lyon. Dans un éditorial remarquable qu’il a rédigé dans la revue Philonomist, il nous dit que « c’est bien là le sérieux problème de l’inégalité : au-delà de la révolte qu’elle suscite, elle décourage et se résout en mépris de soi-même. Devant les chiffres délirants qui s’offrent à nous, il est grand temps, en plus de discourir sur l’invisibilisation et le dédain, de se remettre à parler avec force de dénuement et d’exploitation économique ». Comment ne pas lui donner raison ?
- Lire le rapport OXFAM « Les inégalités tuent » face aux inégalités record engendrées par la COVID-19, l’urgence de mesures sans précédent.
- Lire « Quelle indignité. Voir en face le scandale des inégalités » | Philonomist
- Lire « La “grande démission” n’est pas une fatalité… à condition que les entreprises se décident à changer ! » | Philonomist
Vous trouverez plus d’infographie sur Statista / Infographie Tristan Gaudiaut, Data Journalist
Photo en une : Graffitis dans le centre-ville de Beyrouth au Liban Crédit Photo Pablo Tosco / OXFAM