Violences urbaines : entre colère, rupture du lien et manque de considération

On ne le dira jamais assez, la violence est une pratique destructrice qui attaque le lien social. Elle est en ce sens condamnable sans détours. Pour autant, les récentes flambées de violence urbaine suite à la mort du jeune Nahel, malgré leur nature dévastatrice, mettent en lumière une réalité sociétale incontournable : celle d’une société en proie à des tensions profondes, alimentées par une série de problèmes non résolus tels que la marginalisation économique et sociale, la discrimination, l’inégalité des chances, l’exclusion et l’échec des politiques d’intégration.

Ces événements, bien que dévastateurs, mettent en lumière les maux et certaines déchirures qui habitent la société française contemporaine. Tout cela ne fait qu’exprimer un malaise profond. Les villes, ces terrains de lutte, deviennent le théâtre d’un affrontement symbolique contre des systèmes perçus comme oppressants et inéquitables. L’usage de la violence est souvent justifié comme le dernier recours pour être entendu pour marquer son opposition et son mécontentement. la violence est aussi la conséquence d’une société où toute formulation de conflit est devenue impossible. La situation est grave. Pour autant cette révolte ressemble plus à une soupape qui se libère sans mot d’ordre politique.

Quand certains mettent de l’huile sur le feu

Ces violences ne sont pas seulement destructrices, elles sont aussi révélatrices. Elles mettent en exergue l’impérieuse nécessité de traiter les problèmes structurels qui nourrissent la colère et le ressentiment. Elles rappellent la nécessité d’une justice sociale et d’une égalité des chances, d’une politique d’intégration efficace et d’un engagement sincère pour éliminer toutes formes de discrimination.

Il est impératif de prendre ces violences au sérieux, pas seulement pour restaurer l’ordre et la sécurité.  De ce côté-là nul doute que la répression va se traduire par de nombreuses arrestations et condamnations comme ce fut le cas lors de l’épisode des gilets jaunes. En effet, l’histoire nous montre que toute révolte violente se traduit ensuite par un retour de bâton tant sécuritaire que politique. La droite et son extrême sont à la manœuvre pour dénoncer un manque de répression. Deux syndicats de policier ont fustigé « des hordes sauvages » indiquant que l’heure est au combat face à « des nuisibles ». Ils se déclarent « au combat » car ils sont « en guerre ». Voilà des propos qui nous montrent combien leurs thèses ainsi défendues s’approchent de celles de l’extrème droite. Elles contribuent à radicaliser les oppositions.

Il est vrai que les images ont de quoi choquer. Des gamins jeunes et moins jeunes qui cassent tout sur leur passage, n’hésitant pas à s’en prendre aux écoles, aux mairies, aux services publics et au magasins. Les forces de l’ordre étaient la première nuit plus leur cible prioritaires, c’est un mécanisme de foule qui se déchaine qui à tout emporté sur son passage devant les yeux médusés de habitants.

Au final, à qui profite ces émeutes ? Aux extrémistes du tout sécuritaire qui voient là une occasion unique de faire valoir leurs thèses en montrant ces images qui sidèrent et qui inquiètent. C’est un grand classique malheureusement. De tout temps, les pouvoirs en place ont criminalisé les participants aux révoltes, considérant qu’ils n’expriment rien et que ce sont tout simplement des voyous et des délinquants. Cela est d’autant plus facile à dire quand on sait le manque de réflexion de ceux qui ont tout cassé sur leur passage. Ces jeunes ont dit à leur manière leur haine d’un système qui les met plus bas que terre. Ils revendiquent leurs actes sur les réseaux sociaux et se stimulent les uns les autres dans une compétition absurde entre villes et quartiers montrant ce qui a brulé. Les enfants et adolescents  exclus du système social se sont défoulés à leur manière et leur violence et manque de retenu à de quoi interroger.

Un embrasement de la sorte dans tant de villes a peu à voir avec la voyoucratie et a délinquance organisée. Il faut, pour mieux comprendre ce qui se passe, interroger les sociologues spécialistes de la question. Il faudrait aussi interroger les éducateurs de rue qui n’avaient peut-être pas prévus de tels évènement mais qi ont une connaissance de ce qu’il faudrait faire pour les jeunes qu’ils cotoient.

Le maintien de l’ordre n’est-il pas devenu lui aussi trop violent ?

Dans un article du Monde, le  sociologue spécialiste de la police Jacques de Maillard explique qu’il existe bien un recours excessif à la force et un style d’action viril et agressif adopté par certaines unités de police. Mais, dit-il, elles ne sont pas spécifiques aux quartiers prioritaires. Cependant, dans ces quartiers, la dégradation des relations avec la police s’ajoute à des difficultés économiques, éducatives et de santé existantes. Elle exacerbe la perception d’une discrimination accrue, notamment chez les jeunes.

Plus que dans tout autre lieu, ces quartiers dénoncent les interventions policières considérées sont trop violentes. Cela soulève la question de ce qui constitue une action policière « juste ». Cette action ne devrait pas se limiter à une présence intermittente qui oscille entre une trop grande et une trop petite présence, mais plutôt assurer une présence continue, apaisante et attentive aux demandes de sécurité sociale.

Le sociologue compare les violences actuelles aux émeutes de 2005 en France. (d’autres sy refusent en estimant que c’est très différent). Jacques De Maillard voit un même élément déclencheur dramatique et une mobilisation similaire qui dépasse le lieu initial, réunissant des jeunes hommes de différents contextes, liés par des conditions sociales et territoriales dégradées et des expériences négatives avec la police. Néanmoins, il observe une différence notable dans la réaction judiciaire et politique actuelle. Là où le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, s’était aligné sur la version policière, l’exécutif actuel a fait preuve de compassion envers la victime et sa famille. Il  a adopté une posture beaucoup plus critique à l’égard du policier, dont le comportement a été jugé « inexplicable et inexcusable ». Cela pourrait signifier une évolution de la manière dont les violences urbaines sont perçues et traitées par les institutions

En tant que travailleur social on ne peut que s’inquiéter de la dégradation des relations sociales dans le pays.

Ce qui vient de se passer va laisser des traces. Même si le pouvoir en place déclare vouloir répondre aux problèmes que rencontre la population, il ne peut être entendu. Viralité des vidéos sur les réseaux sociaux, rajeunissement des émeutiers, attaques contre des mairies ou des écoles… Bon nombre d’acteurs locaux estiment que la crise de 2023 n’est pas celle de 2005 : plus que l’État social, c’est l’État régalien qui est mis en cause.

Les travailleurs sociaux n’aiment pas la violence, qu’elle soit policière ou populaire. Ils la connaissent pourtant mais c’est une violence cachée, froide. Celle de l’exclusion, de la discrimination, celle du rejet de l’autre : femmes et enfants en sont les premières victimes. Ils savent aussi qu’à un moment ou à un autre il va falloir tenter de « recoller les morceaux ». Ça ne sera pas facile dans les quartiers après ce qui vient de se passer. Il manque une politique sociale conséquente pour ces lieux de relégation. Des quartiers qui, rappelons-le, on ne parlait plus du tout avant ces émeutes malgré les difficultés qui perdurent.

Une possible conséquence de l’abandon de la politique de la ville

Dans une récente interview accordée à Mediapart, le sociologue Renaud Epstein a analysé l’évolution de la politique de la ville sous la présidence d’Emmanuel Macron. Selon lui, depuis l’abandon du plan Borloo en 2018, la politique de la ville a été reléguée au second plan des priorités du président. Il explique que la politique de la ville, qui a dominé l’espace politique et médiatique des années 1980 à 2010, a aujourd’hui disparu du débat public. Cette disparition est due à une mise en concurrence des souffrances territoriales, où la « France périphérique » de Christophe Guilluy et les « gilets jaunes » ont éclipsé les problèmes des banlieues. Elles se rappellent à nous brutalement.

Le rapport Borloo, qui appelait à la mobilisation de milliards pour la politique de la ville, a été publiquement enterrée. Elle était dépassée et empreinte de « clientélisme ». La politique de la ville du premier quinquennat Macron s’est surtout caractérisée par la valorisation de l’entrepreneuriat, avec un soutien à la création d’entreprises et à l’entrepreneuriat associatif. Cependant, peu a été fait pour lutter contre les discriminations et traiter les inégalités à la racine.

Que faire alors ?

L’ONU a épinglé une nouvelle fois la France pour les « profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre. Le coup est rude mais il justifie que des mesures fortes soient prises. La solution à ces violences ne réside pas uniquement dans le renforcement de la répression. Cela nécessite aussi une réflexion profonde et des actions concrètes pour résoudre les problèmes sociaux et économiques sous-jacents. La présence massive des forces de l’ordre semble surtout attiser la volonté de ces jeunes d’en découdre puisque ce sont justement des policiers qui, par leurs actes, ont mis le feu aux poudres. Le problème est que ce fut si violent et si injuste que la révolte est partie comme un feu de paille. Il n’est pas sûr que les policiers soient les mieux placés pour éteindre cet incendie.

Le député européen Raphael Glucksmann propose des réponses très concrètes. Pour changer la donne, il faut, dit-il s’inspirer de nos voisins européens qui ont d’autres lois, d’autres doctrines, d’autres pratiques policières et ne vivent pas dans le chaos pour autant.

Tout d’abord, la loi française sur l’utilisation des armes à feu par les forces de l’ordre doit être révisée. Un principe simple doit prévaloir : les policiers sont autorisés à tirer en situation de légitime défense, pour protéger leur vie et en respectant un principe de proportionnalité. C’est une approche adoptée par la plupart de nos voisins et qui a fait ses preuves en termes de réduction de l’usage excessif de la force.

Deuxièmement, pour renforcer la confiance envers les forces de l’ordre, le contrôle de leurs activités devrait être confié à un organisme indépendant à la place de l’IGPN. L’idée est simple : le contrôle d’une institution doit être assurée par une autre institution. C’est une pratique courante dans de nombreuses polices européennes qui a démontré son efficacité pour améliorer la transparence dans une institution.

Enfin, la question épineuse des contrôles au faciès et du maintien de l’ordre doit être abordée de front. Il est temps de changer notre doctrine de maintien de l’ordre et de prendre exemple sur ces voisins de la France qui ont d’autres règles, d’autres pratiques, d’autres systèmes de formation.

Des réformes audacieuses et concrètes sont nécessaires pour endiguer les violences urbaines en France. Il s’agit de changer notre approche en matière de loi et d’ordre. Ce n’est pas en multipliant les policiers, les armes ou les sévères condamnations que l’on y arrivera. Il est nécessaire même si cela n’est pas aisé, rde evenir à une vraie police de proximité en cherchant à instaurer un climat de confiance et de respect mutuel entre les forces de l’ordre et la population qu’elles sont censées servir. Une chose est sûre : la solution à la violence urbaine ne se trouve pas dans la seule répression, mais aussi et surtout dans l’instauration d’une véritable justice sociale et d’une police au service de tous les citoyens.

 

Photo : capture d’écran du JT de France 2 vendredi 30 juin 2023

 

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4 Responses

  1. Cher Didier ,je vous ai connu President de l’ANAS au temps où cette association professionnelle etait mobilisée pour faire entendre aux decideurs la place indispensable en aide individuelle et familiale mais aussi en travail social de groupe et de communauté pour accompagner les initiatives sociales d’interventions collectives qui est totalement mis au ban des analyses et des decisions des decideurs mais aussi des journalistes . Je suis etonnée que vous n’abordiez pas cela alors que c’est pour moi la cause essentielle des ruptures des equilibres relationnels dans ces quartiers populaires où j’ai exercé pendant pendant pres de 40 ans comme assistante sociale de CCAS ;Je vous remercie de cet article où vous vous appuyez sur les eclairages de sociologues pour tenter de convaincre ,comme je le fais moi même en vain sur facebook , que le tournant sécuritaire de tous les decideurs pris depuis un certain nombre d’années n’est pas celui qui convient pour arreter ces violences .mais qu’au contraire il l’exacerbe Je vous remercie de preciser aussi que pour un travailleur social ,les violences sont toutes inacceptables ,qu’elles viennent des policiers et des decideurs ou quelles viennent de citoyens ou usagers y compris s’ils sont jeunes …. Comme vous ,je pense que l’enterrement de la poursuite du plan Borloo est une erreur fondamentale car cette redefinition du bien vivre dans ces quartiers s’est arretée au milieu du gué avec que des interventions sur le bati ,les espaces verts et la construction de batiments culturels,,sportifs et scolaires sans avoir posé et mis en place les roles des differents partenaires dans le relationnel « cote a cote  » et les rapports humains pluralistes …..en validant l’abandon de leurs responsabilités par les personnels sociaux territoriaux dont c’est pourtant la mission essentielle dans la decentralisation

    1. Bonjour Joelle
      Merci de votre commentaire. Effectivement, j’ai « zappé » l’importance de pratiquer des actions collectives au sein des quartiers et plus largement l’accompagnement par les travailleurs sociaux au quotidien. Ils sont devenus des invisibles de l’action dans les quartiers, tout comme les professionnels des centres sociaux. (on n’en parle que si la structure a été détruite). Des travailleurs sociaux alertent depuis longtemps sur les fractures au sein des quartiers. Fractures qui vont bien au-delà la question des trafics et de l’économie parallèle. Si les violences sont inquiétantes, que dire du discours sécuritaire et répressif qui l’accompagne ? J’ai préparé un article sur les propositions de Jean-Louis Borloo à paraitre demain qui tente là aussi de remettre les pendules à l’heure… Cordialement DD

  2. cet article est abject ! Déçue que vous le diffusiez !
    Emeutes nationales gardent sa charge politique (marre de ce permis de tuer les jeunes racisé.es) et emotionnelle (émeute vient du mot émotion, la Police a tué encore une fois impunément leur pote, ou un jeune qui leur ressemble donc c’est émotionnel leurs réactions! Il y a de meilleures sociologues qui analysent sans politiques nauséeusement orientées telle Marwan Mohammed

    1. Votre réaction me surprend. Je ne vois pas ce qui serait « abject » dans cet article à moins que vous y ayez vu quelque chose que je ne cautionne pas. Évidemment qu’il y a un sujet politique sur ce mouvement. Quant à dire que celui-ci est politisé comme en 2005, je ne m’y risquerai pas. Si vous avez d’autres références de sociologues sur ce sujet, je suis preneur. Cordialement DD.

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