Violence, humiliation sur des enfants : de la prison ferme requise pour les responsables d’un foyer dans l’Isère
C’est le procès de la banalisation de la violence dite « éducative ou pédagogique » qui s’est déroulé récemment au tribunal correctionnel de Chambéry. Quatre personnes étaient jugées, dont deux responsables d’une structure d’accueil pour enfants difficiles ou handicapés : le Sapin à Jarsy dans les Bauges. Les faits se sont déroulés entre 2012 et 2015. La structure a été fermée depuis. La violence érigée en système : « Un coup de pied au cul, ça n’a jamais fait de mal à personne, une fessée carabinée oui, mais pas de violence à l’état pur » dira cette directrice qui a travaillé quarante ans auprès des enfants placés. Il s’agit d’une personne corpulente qui explique qu’elle s’asseyait sur les jeunes « pour les calmer ». Son président, qui lui n’est pas un travailleur social, intervenait au centre tous les week-ends. C’est lui qui a attaché un garçon de dix ans, handicapé mental, à un arbre. C’est aussi lui qui a demandé à un autre de faire le chien ». Comme le précise Anabelle Gallotti journaliste de France Bleue « la violence érigée en système faisait froid dans le dos, presque autant que le constat des défaillances institutionnelles, judiciaires et administratives qui étaient censées, aussi, protéger ces jeunes ». (Lire la totalité de l’article)
Cet article nous invite à réfléchir sur ce que peuvent représenter certaines violences institutionnelles. C’est ce qu’a récemment rappelé Jacques Toubon, le Défenseur des Droit dans un avis circonstancié qui est loin d’être rassurant. En voici les principaux éléments.
Qu’est-ce qu’une violence institutionnelle ?
Une violence peut être qualifiée d’institutionnelle lorsqu’une institution ne réagit pas ou pas suffisamment face à une situation de maltraitance dont elle a connaissance. Le déni existe parfois et certaines institutions n’imaginent pas en être porteuses alors qu’elles ne protègent pas suffisamment les publics dont elles ont la responsabilité. Pour A. Cautain, S. Tomkiewicz, et P. Vivet, la violence institutionnelle est toute action commise dans ou par une institution, ou toute absence d’action, qui cause à l’enfant une souffrance physique ou psychologique inutile et/ou entrave son évolution ultérieure ». Le défenseur des Droits insiste en précisant que la violence institutionnelle peut être envisagée comme une violence qui n’est pas seulement la résultante d’un acte mais peut également trouver son origine dans la non-action, la non- réponse et donc la non-prise en considération des besoins de la personne concernée. La nature même de l’institution et la particulière vulnérabilité de l’enfant ou des personnes dépendantes, sont des facteurs de risque ».
Le défenseur des Droits inquiet…
Jacques Toubon a été auditionné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale dans le cadre de ses travaux sur les crédits budgétaires de la mission « solidarité, insertion et égalité des chances ». Il a joint à son audition un avis dont je vous propose ici un résumé partiel. Il est structuré en 2 grandes parties. La première concerne la maltraitance des enfants. la seconde aborde celle des personnes dépendantes en établissement. Malgré la prise de conscience quant à l’existence de ces violences et l’élaboration de dispositifs de prévention et de lutte, le Défenseur des Droits continue d’être régulièrement saisi de situations dans lesquelles il constate ces violences institutionnelles.
Des enfants victimes dans des établissements scolaires et des institutions de protection de l’enfance
Le défenseur des Droits atteste de « la persistance de violences, physiques ou morales, commises à l’encontre d’enfants notamment dans le cadre de l’institution scolaire. Cela, par des enseignants, directeur d’établissements scolaires ou des personnels communaux. Il constate que les châtiments corporels sont encore trop banalisés. Les réponses de l’administration face à ces allégations manquent parfois de réactivité, certains faits de violences restent banalisés ou tus, certains enseignants allant même jusqu’à mettre en avant l’existence d’un prétendu droit de correction.
Plus grave encore il a également constaté des cas de défaillances des services éducatifs dans des situations de maltraitances graves, ayant dans certains cas conduit au décès d’un enfant. Jacques Toubon énumère plusieurs situations d’absence de protection d’enfants victimes de leurs parents ou proches :
- Situation d’une enfant de 2 ans et demi décédée à l’hôpital à la suite de traumatismes, ayant fait l’objet d’une mesure de placement judiciaire, levée moins d’un mois et demi avant le décès et d’une mesure d’AEMO qui n’avait pas encore mise en place
- Situation de deux enfants, âgés de 12 ans et demi et 9 ans qui bénéficiaient d’un suivi en protection de l’enfance depuis cinq ans, et dont l’aîné s’était pourtant présenté au commissariat, seul, afin de dénoncer des faits de maltraitance de la part de son père.
- Situation de quatre frères et sœurs âgés de 6 ans, 5 ans, 2 ans, 2 mois, vivant reclus dans un appartement sans contacts avec l’extérieur depuis leur naissance sans qu’ils n’aient été repérés comme étant en situation de danger. Le Défenseur des droits a considéré que les différentes administrations impliquées dans cette situation (hôpital, service de la PMI, service social du département, Caisse d’allocations familiales, mairie) avaient, au minimum, négligé dans l’élaboration de leurs procédures, de considérer l’intérêt de l’enfant comme une considération primordiale. Les considérations de charges de service, de complexité des dispositifs, ont semblé l’avoir emporté sur l’intérêt de l’enfant.
- Le Défenseur des droits est saisi de nombreuses situations de MNA (mineurs non accompagnées étrangers) pour lesquels les services de la protection de l’enfance n’assurent pas le respect de leurs droits fondamentaux (conditions d’hébergement indignes, absence de mise en place de suivi éducatif, absence de scolarisation etc.) Ces conditions de prises en charge ont conduit certains jeunes à mettre fin à leurs jours.
S’ensuit pour chaque situation une série de préconisations en direction des députés destinataires de cet avis. Le défenseur des Droits alerte aussi mais sans faire part de situations précises sur les enfants en situation de handicap et/ou présentant des troubles du comportement susceptibles eux aussi d’être victimes.
Les personnes dépendantes victimes elles aussi de maltraitances institutionnelles
Le défenseur des Droits constate une augmentation de la fréquence et de la gravité des saisines liées à des situations de maltraitance : Plus de 20% des réclamations traitées par le pôle d’instruction en charge des droits des malades et de la dépendance concernent des cas de maltraitance ou de négligence envers des personnes vulnérables au sein des établissements hospitaliers ou d’établissements médico-sociaux (privé et public confondus, hôpital, clinique, EHPAD).
Par ailleurs, les services du Défenseur des droits sont confrontés à des événements qui se produisent sans témoin et dans des conditions amenant à constater qu’il existe encore des espaces de non-droit. « Ces comportements sont le plus souvent le fait de professionnels dont l’éthique et la déontologie ne font plus partie de leur référence« .
Le Défenseur des droits constate que bien souvent la maltraitance peut être qualifiée d’institutionnelle dans la mesure où l’institution laisse les faits perdurer ou se reproduire sans réagir. La maltraitance institutionnelle s’ajoute à la maltraitance individuelle ; elle ne dilue pas les responsabilités individuelles mais souligne les responsabilités propres de l’institution dont la raison d’être est la protection des personnes vulnérables.
Au final malgré les propositions du Défenseur des Droits, il reste des zones d’ombre, des pratiques inquiétantes et inacceptables. Ce sont, comme il le dit, tous ces actes sans témoin. Lorsqu’il y a des témoins, ceux-ci hésitent à en parler car cela leur parait risqué. Il ne faut pas hésiter à les dénoncer même si parfois le prix à payer est lourd. Mais pour cela il faut respecter des procédures d’alerte qui me paraissent bien difficiles à gérer. Malgré cela il me semble (c’est peut-être facile de le dire de ma place) que l’on ne peut rester silencieux ou ne pas agir lorsque l’on est confronté à des faits inqualifiables dont certains cités relèvent de la justice et du droit pénal. En tout cas sur ces situations, il est aussi possible de saisir le Défenseur des Droits.
- Prévenir la violence institutionnelle : les « dysfonctionnements » dans un CEF de la PJJ à Savigny-sur-Orge
- Lanceurs d’alerte : une circulaire précise le cadre juridique
- Le Guide pratique du lanceur-d’alerte publié par Transparency International France
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sélection des articles réalisée avec l’aide de Michelle Verrier Flandre