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Violences et conjugalités : Lorsque le sentiment amoureux unit celles et ceux qui se déchirent..

Cécile Condominas, éducatrice devenue psychologue est auteur de l’excellent ouvrage « sentiment amoureux  et conjugalité violente : du meilleur au pire. » Son propos est très intéressant, car il tente de comprendre pourquoi et comment la violence peut s’installer dans un couple à partir de l’analyse du sentiment amoureux. Son ouvrage conduit à nous rappeler comment on peut « tomber amoureux ». Un terme intéressant au demeurant : c’est une belle histoire qui débute par une chute…

Mais la belle histoire peut aussi se transformer en calvaire. À force de rencontrer des personnes qui se séparent violemment, les travailleurs sociaux ont généralement une connaissance assez fine du processus de vie et de fin du sentiment amoureux. Un sentiment qui est souvent la source de conflits de couples. Explications…

Comment tombons-nous amoureux ? Plusieurs approches sont à retenir

Il y a d’abord la théorie de l’attachement de John Bowlby et de Donald Winicott : En 2 mots notre façon de nous attacher à l’autre prend sa source dans notre petite enfance. Ainsi le petit garçon tombera sans doute amoureux d’abord de sa mère dont il gardera en lui ancré les caractéristiques de ce qui provoque son bien-être.

Freud de son côté, même si ses travaux restent encore controversés, nous a fait connaître la force de l’inconscient. Nous avons deux besoins importants très souvent à notre insu. Le besoin de sécurité puis celui de la reconnaissance « narcissique » (ce n’est pas une mauvaise chose en soi, c’est simplement ce qui nous anime plus ou moins). Nous recherchons donc dans l’âme sœur quelqu’un qui nous protège, nous rassure et qui en même temps nous reconnaît des qualités. Nombreux sont ceux qui ont la fâcheuse tendance à imaginer que la personne dont ils tombent amoureux disposent de qualités spécifiques qui la rend d’autant plus désirable.

Enfin les théories systémiques viennent aussi compliquer tout cela. Rapidement écrit, nous avons deux grandes façons de nous retrouver avec l’autre : nous sommes, soit inscrit avec l’autre dans une logique de complémentarité, soit au contraire, nous vivons la symétrie. Les couples dans la complémentarité sont très nombreux et il semble plus difficile de vivre la symétrie. C’est un « semblable » qui agit différemment. En fait, nous n’avons aucun jugement de valeur à porter. Les couples se construisent de telle ou telle manière en imaginant au départ que l’autre est vraiment la personne qui lui convient.

Qu’en est-il de la vie et de la mort du sentiment ?

Au tout départ, période assez enthousiasmante et agréable, il y a l’idéalisation de l’autre. C’est la norme. C’est la fusion. Chacun découvre avec émerveillement ce plaisir d’être avec l’autre. On se cache du monde, on est dans sa bulle. C’est la première phase et certains aimeraient qu’elle dure toute la vie. Mais voilà, ce n’est pas le cas. Une certaine désillusion arrive à un moment ou à un autre.
Nous découvrons que l’être si formidable et si attirant(e) a aussi des défauts, aussi, il ne se comporte plus comme au début de l’idylle. Il n’est plus tout à fait dans ce transport amoureux et redevient une personne banale avec ses qualités et ses défauts. Ses défauts, invisibles au début puisque nous ne voulions voir l’autre qu’à travers le prisme de notre attente, commencent à poser un problème.  Une fois passé la période de l’idéalisation de l’autre comme partenaire répondant à nos principaux besoins, certains constatent que ce n’est pas tout à fait le cas. Le couple dispose alors de 3 issues face à cette découverte, qu’elle soit ou non consciente :
  • La rupture : la désillusion est trop importante et vraiment l’un(e) ne veut plus de l’autre. L’être aimé perd tous ses attraits. Ses qualités deviennent des défauts. Bref l’autre devient « gavant » voire inintéressant, décevant et j’en passe. Certain(e)s se demandent même comment ils (elles) ont pu être aussi aveugles. Des célibataires endurci(e)s depuis longtemps passent régulièrement par cette phase. C’est aussi ce que vivent les personnes atteintes de « donjuanisme » qui est une recherche de réassurances narcissiques au moyen de conquêtes amoureuses sans cesse renouvelées. Don Juan ne cesse d’abandonner ses « conquêtes ».
  • Les aménagements psychiques : cela suppose de la souplesse. Certes, l’être aimé n’est pas comme il était initialement, mais chacun a envie de continuer un bout de chemin en acceptant les défauts de l’autre, car finalement, dans la balance des avantages et des inconvénients, il y a un équilibre quand même positif. Ce processus conduit  à instiller une part de raison dans le champ de l’affect. L’amour est alors moins « pulsionnel » et « passionnel ». Cette dose de rationalité permet de maintenir un équilibre dans le sentiment amoureux et celui notamment du partage nécessaire face aux aléas de la vie. Mais le couple a aussi une troisième possibilité avec
  • Le refus de voir ce que l’on a sous les yeux et de ce qui se passe : Il se met alors en place une forme de malentendu. On continue malgré tout. Mais les reproches ne vont pas tarder à arriver. Aucun des deux protagonistes de l’histoire d’amour ne veut que l’autre soit différent de ce qui s’est produit lors des premiers rendez-vous.  Certain(e)s veulent que l’autre change et se conforme à ce qu’il donnait à voir au début de la rencontre amoureuse. Évidemment, si l’autre résiste, cela peut devenir vite conflictuel.   Les tensions arrivent avec les premières disputes. Cette 3ᵉ issue est le terreau de la violence conjugale. Il y a refus d’une réalité parce que cela est insupportable à vivre. On reste donc ensemble, mais la désillusion s’avère importante.

Pourquoi de nombreux hommes deviennent-ils violents ?

Quittons ce que nous dit Cécile Condominas pour envisager quelques hypothèses issues de mes observations et de celles de plusieurs de mes collègues. Si nous avons pu dans nos expériences de travail rencontrer quelques hommes maltraités, il n’en demeure pas moins qu’ils sont très minoritaires face au nombre de femmes victimes de maltraitances physiques ou psychologiques. C’est un fait établi.  Ainsi, du côté de la gent masculine, quels sont les facteurs qui peuvent favoriser des comportements violents ?
 
  • L’éducation à une certaine forme de violence est plus communément admise chez les garçons que les filles. Un garçon bagarreur, peut être la fierté de son père, car il ne se laisse pas faire. Une fille bagarreuse sera, quant à elle, appelée « garçon manqué ». C’est tout dire.
  • L’intolérance à la frustration se développe notamment chez les garçons (mais pas que pour eux). C’est une réalité qui résulte à mon sens d’un trouble de l’attachement. Quand le parent n’apprend pas à l’enfant à gérer une déception face à une perte ou un refus, il promeut à son corps défendant des de colère ou de plainte de sa part qui vont en s’amplifiant, pouvant devenir violente.
  • Certains petits garçons élevés par leur seule mère ont tendance à nouer avec elle une relation exclusive. Ils peuvent aller jusqu’à empêcher que leur maman puisse « refaire sa vie » avec un autre homme. Leur mère leur appartient. Ils n’ont pas appris à s’en détacher via la présence du père qui permet aussi une relation triangulaire et évite ce face-à-face permanent.  Le sentiment amoureux qu’ils sont susceptibles de développer plus tard pourra être accompagné de cette volonté de relation exclusive et possessive.  
  • Le paraître et les apparences chez certains hommes (et femmes) passent avant tout. Une certaine image de la réussite rend prisonnier certains adultes. Ils « aiment l’autre pour eux » pour leur propre image ou valorisation : ils sont dans la possession de l’autre et lorsque cette « possession » leur échappe, leur peur de perdre leur statut et leur image renforcent leur intolérance et provoque une telle frustration que la violence devient la seule réponse qu’ils trouvent pour leur permettre de garder le pouvoir sur l’autre.
  • Il y a aussi des personnes qui souffrent de troubles très sérieux de comportement comme ceux qui ont été qualifiés (parfois abusivement) de pervers narcissiques.
Nous savons aussi qu’il existe différentes violences, notamment les violences « froides » et les « chaudes ». Les violences froides sont psychologiques et peu visibles (dénigrement, instauration du doute, disqualification.) Les violences dites « chaudes » sont très visibles (coups, cris, scènes et scandales). Certaines femmes sont en capacité d’instiller des violences dites froides (plus psychologiques). Or celles-ci se voient moins, mais peuvent tout autant détruire le couple. Mais tout cela ne s’avère pas systématique bien évidemment. Chacun pouvant alterner différentes formes de violences. Certains hommes, sont souvent considérés comme de « sang chaud ». Ils n’hésitent pas à avoir recours à cette forme de violence même s’ils risquent de l’emprisonnement.
Au final, ce sont d’abord leurs victimes qui paient toujours le prix fort de cette violence. Malgré-cela il leur est fréquemment difficile de se détacher de leur bourreau pour de multiples raisons. Un sujet important à travailler pour tout travailleur social qui est confronté à cette réalité.
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Photo : Pexels 

note : j’avais déjà publié cet article en octobre 2016. Je l’ai actualisé

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