Des travailleurs sociaux, des professionnels de l’action sociale et éducative, mais aussi des universitaires et des responsables associatifs ont créé le réseau baptisé «Vigilance Travail Social» face à ce qu’ils nomment « la montée des pressions communautaristes et des accommodements religieux ». Ce collectif a pour but de défendre les valeurs fondamentales du travail social en France. Il déclare vouloir remettre l’éducatif au centre de l’action sociale. Il est né de l’inquiétude pour l’avenir du secteur, mis à mal par le recours à des aménagements dits « raisonnables » qui influent sur la gestion du quotidien des professionnels. Certains faits religieux et culturels nuisent ainsi à l’objectif d’insertion des personnes, des publics concernés et à l’exercice de leur pleine citoyenneté.
Le collectif estime que le travail social est fragilisé par des revendications identitaires, des atteintes à la laïcité et à la neutralité professionnelle. Il dénonce aussi un manque de moyens dans le fonctionnement des services et la formation des travailleurs sociaux. Pour ses membres, les militants, les intellectuels et les universitaires qui font la promotion du multiculturalisme et œuvrent à l’encontre des valeurs universalistes et laïques de la République sont largement relayés par les moyens d’information du secteur, cela au détriment des laïques.
Les participants à ce réseau rappellent à juste titre dans leur communiqué que le travail social est fondamental pour la société. Il participe de l’idéal démocratique en remédiant aux difficultés sociales, en accompagnant les publics en difficulté et les exclus pour qu’ils puissent trouver leur place comme citoyens à part entière. Or c’est là que se pose le problème : quand le fait religieux s’interpose et s’oppose à ces valeurs, les travailleurs sociaux sont souvent démunis et ne savent pas vraiment comment agir ou plutôt comment poser des limites.
Le réseau se mobilise également pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme, les atteintes à l’égalité des femmes/hommes, les discriminations d’origine, de couleur ou de croyance, ainsi qu’en raison de l’orientation sexuelle. Il offre un cadre de recueil et d’écoute des collègues confrontés à ces difficultés, pour les informer et les accompagner, les soutenir. Au-delà de ses actions concrètes, le réseau Vigilance Travail Social a pour ambition de redonner son sens et sa place à l’éducatif, selon une démarche éthique.
Celle-ci implique « une juste distance professionnelle et une neutralité respectueuse des jeunes, des personnes accompagnées, de leur désir, de leurs droits« . Il entend porter la contradiction aux contributions anti-universalistes qui travaillent à mettre au-dessus de tout le fait identitaire, qu’il soit religieux, culturel ou communautaire, supplantant l’intérêt général et celui de la personne accompagnée, son insertion sociale et professionnelle, son projet personnalisé.
Faut-il s’inquiéter de la montée du fait religieux en France ?
Les valeurs présentées par ce réseau sont essentielles, mais la question est aussi de savoir s’il faut s’inquiéter de la montée des faits religieux dans la société laïque en France. C’est une question complexe et controversée.
D’une part, la France est une société laïque qui garantit la liberté de religion et le respect de toutes les croyances. Les citoyens ont le droit de pratiquer leur religion dans le cadre de la loi et de la liberté d’expression. En ce sens, la montée des faits religieux peut être considérée comme un reflet de la diversité culturelle et religieuse de la société française.
D’autre part, certains comme les professionnels du réseau de vigilance craignent, voire constatent, que cette montée des faits religieux compromet les principes de la laïcité en France. La laïcité (bien comprise et non récupérée par des mouvements politiques tels ceux d’extrême-droite) est un pilier important de la République française. Elle garantit l’égalité de tous les citoyens, indépendamment de leur religion ou de leur croyance. Certains considèrent que la montée des faits religieux, en particulier dans les institutions publiques, peut mettre en danger cette égalité en créant des divisions et des discriminations.
Se crée alors une controverse entre les tenants de la laïcité et ceux qui défendent une forme de multiculturalisme radical. Car bien évidemment, il est aussi possible de reconnaitre la société multiculturelle tout en défendant les valeurs républicaines. Il faut penser et agir avec nuance.
Le travailleur social dans la République
Ce sujet reste d’actualité. Des personnes n’hésitent pas à faire état, lors des entretiens avec les travailleurs sociaux, de valeurs qu’ils considèrent comme supérieures à la loi. Ils s’appuient sur leur religion et les « textes sacrés ». Pire, certains de nos concitoyens, exclus ou en recherche de modèles et d’identité, adhèrent à des idéologies portées par des groupes sectaires et violents. Certains le font par provocation, d’autres par désespoir. Mais il ne faut pas pour autant être candide. Il existe aujourd’hui un combat qui justifie notre mobilisation : celui de la défense et de la promotion des principes républicains qui déterminent notre manière de vivre ensemble dans le respect des uns et des autres. Même si tout n’est pas simple, bien évidemment.
En 2016, Olivier Bonnin aujourd’hui journaliste au Média Social, avait publié en 2016 un guide intitulé « Le travailleur social et la République ». La 6ème partie du livre est intitulée « Protéger la République ». Cette section donne des conseils aux travailleurs sociaux pour réagir aux provocations et aux problématiques de la radicalisation. Bien entendu, ces situations ne sont pas faciles à résoudre, mais le livre propose des outils et des arguments pour répondre aux théories du complot et autres processus de manipulation. Les travailleurs sociaux ne sont certes ni des pompiers ni des policiers, mais ils peuvent contribuer à protéger l’autonomie des personnes face à des attaques sur ce sujet.
Pour contrer les théories du complot les plus fumeuses, notamment celles qui circulent sur internet, les travailleurs sociaux peuvent éduquer à l’esprit critique. Ils peuvent développer la prévention et signaler les situations de danger avérées contre les radicalisations, spécialement jihadistes, mais aussi face à d’autres extrémismes. Certains d’entre eux s’opposent aux libertés républicaines (avortement, mariage entre personnes de même sexe), militent, y compris dans des cadres institutionnels, contre l’ouverture au choix individuel de sa fin de vie, sur la base d’un autre radicalisme religieux. Il ne faut pas oublier non plus les adeptes de la théorie du « grand remplacement » dont les idées infusent, se propagent, conduisent à l’exclusion. Ces théories peuvent elles-mêmes, en retour, provoquer la radicalisation.
Toutefois, il ne s’agit pas de signaler tout et n’importe quoi, mais bien d’évaluer le danger comme ils savent le faire en matière de protection de l’enfance. Cela nécessite une évaluation minutieuse et une collaboration étroite avec les autorités compétentes et les partenaires avec qui ils travaillent.
Assurément, faire face à de telles situations est difficile, mais cela reste possible si nous sommes en capacité de dépasser nos propres peurs et inquiétudes. La clé réside dans le maintien du dialogue et dans la capacité à travailler en équipe pour faire preuve de discernement. Pour conclure, je ne peux que rappeler que les travailleurs sociaux ont aussi un rôle crucial à jouer dans la protection de la République et de ses valeurs. Ce livre offre des pistes concrètes pour les aider à remplir cette mission importante.
- « Le réseau Vigilance Travail Social défend une vision plus émancipatrice que le repli identitaire » | Marianne
- Vigilance Travail Social : réseau de professionnels laïques et républicains issus du travail social
- Contacter le réseau : vigilancetravailsocial@gmail.com
- Le travailleur social et la République. Un guide pour agir
Photo Cyril Galline : Liberté Égalité Fraternité Certains droits réservés
3 Responses
Bonjour, comme co-fondateur du Réseau Vigilance travail social avec Paul Voisin, éducateur spécialisé, une précision, puisqu’il est fait référence ici à la question de la neutralité professionnelle, je renvoie à l’article que j’ai publié sur le Média Social : https://www.lemediasocial.fr/neutralite-convictionnelle-des-intervenants-sociaux-un-enjeu-ethique-majeur_rXs9lE
Et aussi, fait part d’un ouvrage où on retrouve un certain nombre de questions posées au travail social en lien avec la laïcité, dont le réseau Vigilance travail social est dans le prolongement d’idées : « Laïcité, émancipation et travail social » (2017) coll Buc Ressources/L’harmattan, dont j’ai assuré la direction : histoire de la laïcité, dimensions philosophique et juridique, impacts sur le travail social et ses enjeux contemporains, analyse de cas et mode d’emploi. On y trouve des voix diverses, professionnelles et autres, claires sur les enjeux du travail social en lien avec notre République laïque et sociale.
Guylain Chevrier, docteur en histoire, formateur et chargé d’enseignement à l’Université, ancien travailleur social.
« contre les radicalisations, spécialement jihadistes, mais aussi face à d’autres extrémismes. » Je me suis demandé pourquoi ne pas nommer, identifier -aussi- un-des- autres extrémismes qui s’opposent aux libertés républicaines (avortement, mariage entre personnes de même sexe), militent y compris dans des cadres institutionnels contre l’ouverture au choix individuel de sa fin de vie, sur la base d’un autre radicalisme religieux….,, sans omettre des adeptes de la théorie du « grand remplacement » dont les idées infusent, se propagent, conduisent à l’exclusion et pouvant elles-mêmes, en retour provoquer la radicalisation sus-nommée.
Bonjour Maryse.J’approuve votre propos, je n’ai pas développé par manque de temps ni l’envie de déployer un paragraphe supplémentaire. Vous venez de le faire. Je me permets de l’intégrer dans mon texte initial. Cordialement D.D.