Notre système politique et social a inventé le RMI puis le RSA en réponse à la pauvreté. Il a été considéré non seulement comme un revenu de subsistance mais également comme un outil d’insertion avec des obligations pour les allocataires de s’engager dans des contrats. Marche après marche, il est demandé au plus pauvre qu’il se mette en mouvement ( j’allais écrire « en marche » mais bon..). L’objectif final étant de quitter le dispositif RSA à travers l’insertion professionnelle. Cette insertion si elle n’aboutit pas renvoie à l’individu la responsabilité de sa situation. Le pauvre serait pauvre parce qu’il ne ferait pas suffisamment d’efforts pour s’en sortir. A lui de se bouger pour trouver du travail, se former et être suffisamment présentable pour accéder à l’emploi. Nous savons en tant que travailleurs sociaux que tout cela est assez injuste et que la reproduction sociale et les inégalités ne sont pas le fruit du hasard.
Afin de tenter d’enrayer le processus l’État et les collectivités territoriales ont également inventé les dispositifs. Ils doivent permettre d’éviter le pire (comme par exemple la perte de logement). Mais ces dispositifs sont engorgés et coûtent de plus en plus cher à l’heure des économies et des contraintes budgétaires… Cela ne suffit pas. Ces dispositifs gérés par les travailleurs sociaux (pourquoi par eux d’ailleurs ?) sont de fausses bonnes réponses.
Insertion et dispositifs sont nos principales inventions sociales pour lutter contre l’exclusion n’ont pas pour autant apporté la preuve d’une réelle efficacité pour enrayer un processus reconnu d’appauvrissement des classes moyennes. Cela ne règle en rien la question des inégalités. Dans cette logique, les missions demandées aux travailleurs sociaux peuvent être considérées comme impossibles.
Le travail social victime de » l’économisme «
L’insertion est une bifurcation du travail social nous a rappelé depuis fort longtemps Michel Autès chargé de recherche au CNRS. La gestion des dispositifs en est de même. Chargé de paradoxes et d’une histoire mouvementée, « le travail social se situe au centre d’enjeux contemporains qui articulent le politique et l’économique« . Ainsi, nombreux sont celles et ceux qui ont réduit le travail social en une gestion par l’économique des victimes des mécanismes d’exclusion. Les secours et aides sociales sont attribués avec parcimonie. Le montant du RSA nettement en dessous du seuil de pauvreté devient le maximum à ne pas dépasser pour être aidé. Une forme de gestion » fataliste » de l’exclusion semble se satisfaire pleinement de 2 axes d’intervention : le dispositif et l’aide psychosociale individuelle et réparatrice.
Travail Social : un autre monde est possible
La critique est facile, c’est autre chose de proposer. Alors proposons justement. Le mouvement anti mondialisation nous montre une voie : celle qui consiste à ne plus accepter la fatalité d’un monde qui nous domine et mettre en valeur tout ce qui fait la richesse et la diversité de l’humain. Il n’est pas qu’une unité de production, qu’un exclu ou un smicard…
Le premier objectif consiste à renouer avec la pensée et à y prendre du plaisir. C’est à dire construire collectivement des façons d’agir ayant du sens aussi bien pour les professionnels que pour les personnes. Les priorités d’intervention, leurs objectifs et finalités peuvent être élaborés aussi bien entre professionnels qu’avec les bénéficiaires d’un service ou d’une « prestation ».
2ème objectif : Se réapproprier le travail social et en redéfinir les frontières par équipe de travail ou par service. Il existe désormais une définition du travail social qui nous permet de revenir aux sources de ce travail si particulier qui vise à l’autonomie et au libre arbitre de chacun. Il s’agit ainsi de remettre à sa place la question de la gestion des dispositifs afin qu’elle ne prenne plus toute la place et ne réduise pas la pratique professionnelle à une simple gestion d’offre de services.
L’intervention sociale d’aide à la personne est d’une autre dimension. Elle garde, quoi qu’on en dise, une grande place dans les pratiques professionnelles. L’aide à la personne ne se traduit pas toujours par le versement d’une prestation. Elle est bien plus globale et permet d’accompagner celle ou celui qui est reçu vers une compréhension de sa situation. Il s’agit de se mettre d’accord sur ce que chacun peut faire pour trouver des solutions à des problèmes souvent perçus par celui qui les connait comme « insurmontables ».
Le 3ème objectif serait à mon avis de construire les conditions d’une intervention sociale porteuse de sens sur des valeurs qui dépassent « l’économisme ». Il n’existe pas de recette magique pour avancer et quitter cet « enlisement professionnel » dans lequel – crise oblige – nous sommes plongés. Mais il y a des solutions : à nous de les inventer.. Le monde du « libre » et du « gratuit » nous montre une autre voie. Les initiatives locales du partage se développent çi et là. Nous avons des expériences à vivre sur le « faire » et le « dire » ensemble professionnels et personnes aidées.
Il nous faut renouer avec ce plaisir du partage et de la construction de réponses collectives. Le « collectif » traite du lien social. Il permet la créativité et l’initiative. Nous sommes plus intelligents à plusieurs. Il nous faut « replonger » aux sources du travail social, des pratiques éthiques qui vont avec. Cela sera utile pour construire de nouvelles formes d’intervention dont nous avons tous besoin….
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