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« Toute la société est concernée par la question des violences conjugales »

Paola Parravano est assistante sociale. Nous nous connaissons depuis longtemps. Elle fut, comme moi par le passé, présidente de l’ANAS. C’est là que nous nous sommes connus et, au fil du temps, elle est devenue une amie avec qui j’ai toujours plaisir à échanger. Nous parlons souvent de la situation des enfants placés et aussi des mineurs non accompagnés. Paola est devenue récemment présidente de l’association Du côté des femmes à Pau. Cette association est un lieu ressource pour les femmes victimes de violences conjugales, leurs enfants, leurs proches, mais aussi à l’usage des professionnels et plus largement du grand public.

C’est pour moi l’occasion ici de rendre hommage à son travail. En effet, elle a eu dernièrement à s’exprimer dans le journal La République des Pyrénées pour porter, dans un média généraliste, la cause des femmes victimes de violences et de leurs enfants, sans oublier celle des travailleurs sociaux qui les accompagnent. Elle est interrogée par Anne Sophie Estruch.

Paola a travaillé de longues années à l’Aide Sociale à l’Enfance. Actuellement, elle supervise l’observatoire de l’enfance en danger des Pyrénées-Atlantiques. C’est dire qu’elle connait bien son sujet. Mais c’est au titre de présidente de l’association « Du côté des femmes » qu’elle a pris la parole, car pour elle, il est essentiel d’intervenir suffisamment tôt pour soutenir et accompagner les femmes victimes de violences. Mais que nous dit-elle ?

La nécessité de se former

Elle nous rappelle d’abord quelques chiffres nationaux récemment publiés par le ministère de l’Intérieur sur le nombre de victimes de féminicides. (122 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2021). Elle insiste particulièrement sur ce besoin de prévention que les statistiques révèlent :  Parmi les femmes victimes, près d’une sur trois (32 %) avait déjà subi des violences antérieures et 64 % de celles-ci avaient signalé ces violences aux forces de l’ordre. Parmi ces dernières, 84 % avaient déposé une plainte. Ce ne sont pas pour autant les gendarmes ni les policiers qu’il faut mettre en cause. Ceux-ci se sont formés et l’accueil des femmes est devenu une de leurs priorités. Elle rappelle aussi les interventions des travailleurs sociaux au sein des unités de police et gendarmerie. Souvent ce sont eux qui assurent le premier accueil.

Il faut être formé pour pouvoir prendre en charge les femmes victimes, car elles sont généralement sous emprise de leur conjoint. Or ce mécanisme d’emprise provoque chez la femme concernée des réactions que peu de personnes parviennent à comprendre.  Ainsi, comment comprendre que malgré l’aide apportée, la victime retourne rapidement vivre auprès de son bourreau ? C’est bien par la connaissance fine de ce que peuvent vivre ces femmes que l’on peut les accompagner.

Les accompagnements sont tout en finesse. Les professionnel(le)s des associations ont su les mettre en œuvre au fil du temps, car, rappelle Paola, si certains mécanismes reviennent, chaque situation reste singulière.  Il faut que le travailleur social puisse s’adapter sans jugement aucun sur les choix posés par la victime, même si cela lui est néfaste. Cela ne veut pas dire pour autant que l’on ne peut rien faire. Au contraire. Un accompagnement dans la durée permet de garder le fil et d’être là au moment où la femme prendra sa décision et finalement sortira de cette emprise si particulière. Malheureusement, parfois certaines victimes ne parviennent pas à se séparer ou à être suffisamment protégées pour diverses raisons. C’est là souvent que le drame survient. D’où l’importance de travailler en réseau et d’agir très rapidement.

Toute la société est concernée.

L’association « Du côté des femmes organise des formations non seulement pour les travailleurs sociaux, mais aussi les partenaires institutionnels et les élus. C’est essentiel, explique Paola, car c’est toute la société qui est concernée par ces problèmes spécifiques.  Ce sont, par exemple, les élus locaux. Ils participent de plus en plus aux formations et se déclarent intéressés pour comprendre les mécanismes liés à l’emprise et la façon d’agir de façon efficace. Des élus locaux se mobilisent en proposant par exemple des hébergements rapidement disponibles sur leurs communes afin de pouvoir protéger du jour au lendemain les victimes qui arrivent d’un autre secteur.  Dernière précision, les formations sont aussi ouvertes aux agents municipaux en contact avec la population. Ce n’est pas toujours le cas ailleurs. C’est une pratique à développer.

À Pau, l’association accompagne plus de 600 femmes qui sont aidées par une vingtaine de salariés. Elles sont réparties sur l’ensemble du Département plus précisément dans le Béarn. Il est à souligner la difficulté d’aider les personnes qui vivent en milieu rural. Les services organisent des permanences décentralisées, mais il reste bien difficile pour les victimes d’y aller dans la discrétion. Une discrétion nécessaire tant la peur du « qu’en dira-t-on » est forte. Il y a aussi toujours la crainte que l’auteur ait connaissance de la démarche de sa conjointe et que cela circule dans le voisinage. Or dans le monde rural, tout le monde ou presque se connait, ce qui peut parfois être un frein à la prise de parole sur ce sujet.

Et les enfants ?

Les enfants entendent, voient et savent ce qui se passe. Les dégâts sont terribles pour eux également. Dans la formation qui est dispensée, leur prise en compte est essentielle. Il ne faut pas oublier qu’ « Aujourd’hui, avec le recul, avec le phénomène des neurosciences, on compare le traumatisme d’un enfant qui voit des violences entre ses parents, comme un traumatisme de guerre. ». Les enfants sont des victimes tout simplement parce qu’ils sont observateurs, témoins et cela les affecte énormément.

Il ne faudrait pas banaliser le choc vécu par les enfants, ils demeurent des victimes. Ils sont les premiers concernés et impactés en étant victimes eux-mêmes (12 enfants sont décédés en 2021), ou témoins (9 ont été des témoins directs de la mort de l’un de leurs parents). Ils deviennent aussi orphelins à l’issue du passage à l’acte. Ainsi, en 2021, 105 enfants sont devenus orphelins de père, ou de mère, ou des deux parents consécutivement à 50 affaires différentes. On imagine mal le traumatisme que cela peut causer à ces enfants dont on parle très peu.

Voici l’entretien de Paola Parravano « face à la Rep » que vous pouvez aussi visionner sur le site du journal

 

 

Photo : Paola Parravano (capture d’écran de la vidéo de la TV Rep’ des Pyrénées

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2 Responses

  1. Moi aussi j’ai connu Madame Paola Parravano, avec laquelle j’ai eu l’occasion de travailler.
    Moi aussi je l’ai beaucoup apprécié pour sa gentillesse, et sa professionnalité.
    Il y a quelques années (euh, plus de dix ans…) en tant que Consultant j’ai participé à la mise en place de deux Réseaux de Lutte contre les violences conjugales et familiales, dans l’Ouest du pays (sans précision par discrétion). Récemment, dans le cadre de séances d’analyse des pratiques, j’ai demandé comment fonctionne ce Réseau….
    Hélas, soit pas du tout, soit très mal. Qu’est ce qui n’a pas fonctionné? Pourtant j’y croyais, et je pense que beaucoup de participants y croyaient autant. Un électricien chargé d’installer un réseau électrique dans votre maison vous dirait sans doute que, pour que ça fonctionne il faut un cablage, des connections, des fusibles, et de la stabilité. Cablage et connections, nous y avons pensé. Est ce la stabilité qui a manqué: stabilité de l’intensité (dans votre maison si on passe de 240 V à 200, votre ordinateur, box et etc vont souffrir), stabilité des intervenants (si dans votre maison on n’arrête pas de débrancher des fils, changer des circuits, un coup c’est la lumière qui ne s’allume pas, un autre c’est la chaudière qui s’arrête).
    la lutte contre les violences conjugales est elle « stable »? ou dépend t’elle de la Une des médias? Les intervenants sont ils remplacés sans arrêt?
    Que des questions….

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