Didier Dubasque
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Tout, tout de suite, sans contrainte. Le business de la flemme, un enjeu pour le travail social ?

De tout temps, les innovations ont visé à nous faire gagner du temps. Si cela a été une libération face à des tâches quotidiennes pénibles allégées par les machines à laver, l’autocuiseur, ou encore l’aspirateur, nous tombons aujourd’hui dans des excès qui ont des conséquences sur la planète et les conditions de travail.

Cette volonté de nous vendre des produits plus ou moins utiles selon chacun, alimente notre propension à en faire le moins possible. Les exemples sont multiples. Prenons celui du café parmi tant d’autre. Par le passé – il y a certes fort longtemps – il fallait acheter du café en grains, le moudre avec un moulin – une petite boite en bois et en fer – en utilisant la force de nos bras. Puis est venu le moulin électrique permettant une fois branché de moudre notre café en appuyant simplement sur un interrupteur. Cela prenait du temps et était fastidieux notamment à cause du nettoyage des ustensiles. Puis tout est devenu plus facile avec l’arrivée sur le marché du café moulu. Plus besoin d’appareil ni de temps à passer. Quel progrès ! Oui, mais ensuite cela continue. Mettre le café moulu dans un filtre et attendre que l’eau passe fut considéré trop contraignant. C’est ainsi que sont apparues sur le marché les dosettes à enfiler dans des machines à café spécifiques aux marques achetées. Plus de manipulation salissante, instantanéité ou presque entre le temps où l’on appuie sur le bouton et le moment où l’on obtient son breuvage. Avec au passage une débauche d’énergie pour un coût conséquent en amont. (Un allocataire de minima social vous expliquera l’intérêt financier de ne pas utiliser les capsules à café au regard de leur coût et du gâchis que cela occasionne)

Je vous imagine, levant les yeux au ciel, en pensant que ce que je décris est dans l’ordre des choses. Mais quand même, pensez que ce processus vaut aussi pour la préparation de nos repas, notre façon de nous déplacer, de nous cultiver. Tout est pensé pour que nous ayons le moins d’efforts à fournir quel que soit le domaine concerné.

Nous sommes tous des assistés

La révolution numérique y est pour quelque chose bien évidemment et c’est un marché sans fin qui conditionne nos conditions de vie… L’assistance selon Google est par exemple un marché encore très prometteur avec les assistants vocaux, les assistants dits domestiques qui nous offrent instantanément l’information que nous recherchons. Plus besoin de taper sur un clavier. Google a théorisé ce processus et considère que notre époque est celle de l’assistance. Dans nos messageries, tout est fait désormais pour que nous n’ayons même plus d’effort intellectuel à fournir. Le logiciel nous suggère des réponses et classe pour nous nos messages. Notre cerveau s’adapte. Déjà nous ne connaissons  plus par cœur les numéros de téléphone de nos proches, ce qui était le cas il n’y a pas si longtemps. Tout est noté et rappelé dans nos smartphones véritables assistants de notre mémoire.

Certains parviennent désormais difficilement à lire et à prévoir un trajet sur une carte routière papier à force d’utiliser les assistants à la navigation routière tels Waze ou Maps. Pour nous déplacer d’un point à un autre, il n’y a plus besoin de se prendre la tête pour savoir par où passer ni même quand on va arriver. Cette assistance permanente a un coût évidemment, mais nous ne le percevons pas. Les coûts pour ces services forts utiles nous réduisent à de simples consommateurs qui ne pensent plus. Ils sont considérables et renforcent des monopoles à la puissance inégalée.

Le business de la flemme

Sur le même modèle que celui du café, que se passe-t-il aujourd’hui lorsque nous souhaitons déjeuner le midi ? (à défaut de sauter ce repas par économie ou une meilleure rentabilité au travail). Confectionner un repas prend du temps. Il faut une cuisine, des ustensiles des ingrédients qu’il est nécessaire d’acquérir. Puis il y a eu la solution du resto rapide Quick,  MacDo et d’autres ont fait fortune en proposant à la planète entière une façon de se nourrir rapidement en nous gavant de sucres et de graisses. Mais, aujourd’hui il y a mieux.

Des « petites mains » ubérisées nous livrent les repas à domicile ou au travail dans des délais de plus en plus courts. Des start-up sont en train de bouleverser le marché de la livraison alimentaire dans les grandes villes. En un clic, elles livrent vos courses en 10 minutes chrono, sept jours sur sept, 24 heures sur 24. C’est le « quick commerce » ou la livraison rapide, car bien évidemment nous voulons tout de suite être livrés…

journaliste du Figaro a enquêté de façon remarquable sur ce qu’il appelle les dangers du business de la flemme. Si on ajoute au phénomène de la livraison des repas celui de la musique et de la vidéo à la demande, il est possible aujourd’hui de ne plus franchir le seuil de sa porte pendant une semaine sans aucun problème. C’est pourquoi on peut vraiment parler d’un business de la flemme. Tout est fait aujourd’hui pour qu’on ne fasse plus aucun effort.

Sandrine Etoa-Andegue de France Info nous précise que ce sont d’abord les urbains, des jeunes âgés entre 20 et 40 ans, ultra-connectés qui veulent tout, tout de suite, sans contrainte. Ils veulent le bien de la planète, ils souhaitent trier leurs déchets et manger bio, mais en même temps souhaitent être servis à la minute et aller du côté de la facilité (Véronique Varlin de l’Observatoire de la société et consommation parle même d’un souhait de paresse et de facilité sans se poser de questions)

Une dimension du travail social à explorer

Cette tendance actuelle ne sera pas sans conséquences. Les urbains trentenaires dessinent les prémices de la société à venir. Ils sont le bras armé des sociétés et des grands groupes qui nous poussent à consommer toujours plus, plus vite quitte à nous endetter. Et pour cela il faut travailler sans cesse pour pouvoir continuer de bénéficier de ces services qui asservissent ceux qui les utilisent. Un asservissement volontaire qui s’appuie sur notre propension à faire de moins en moins d’efforts  alors que nous en fournissons de plus en plus au travail.

Habituer les adultes et encore plus les jeunes à se réfugier derrière un écran, dans l’illusion de tout obtenir immédiatement et sans effort et donc sans patience, c’est aussi formater des gens à ne plus vivre dans le réel. Vous savez comment Facebook (ici) et Microsoft (là) préparent l’avenir dans un monde parallèle appelé metavers. Il n’est pas étonnant alors que certains souhaitent quitter ce monde réel anxiogène tout en ne supportant plus les contraintes liées au travail notamment. Or que font les travailleurs sociaux au quotidien, si ce n’est se coltiner le monde réel si incertain et rappeler aux personnes qu’ils accompagnent les conséquences de leurs actes petits ou grands ?

Comment se positionner face à cela ? En tant que travailleurs sociaux, il va nous falloir apprendre à résister et à refuser certaines facilités qui sont autant de chaines à nos pieds. Refuser l’asservissement de la facilité et rester conscient au regard de ce que cela engage pour la planète. Voilà aussi une dimension du travail social qu’il nous faut pouvoir explorer.

 

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Photo créée par gpointstudio – fr.freepik.com

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