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« Territoire zéro chômeur de longue durée » : retrouver sa dignité

Voilà de quoi combler nos lacunes. Nous sommes beaucoup à en avoir entendu parler, au détour de l’information, sans connaître vraiment les détails de ce dispositif.

Une première expérimentation a été menée sur dix territoires entre 2014 et 2020. Dûment évaluée par une commission scientifique ad’hoc, elle a été reconduite par une loi votée à l’unanimité le 14 décembre 2020. Son application est étendue à quarante nouveaux territoires pour la période allant de 2021 à 2026.

Tout part d’un territoire qui affiche sa volonté de proposer un travail aux personnes volontaires en chômage de longue durée. L’idée de départ tient dans la conviction que toute personne dispose de compétences et peut répondre à un besoin non satisfait là où elle réside. Mais pas sous n’importe quelle forme et n’importe quelles conditions. La recherche d’employabilité s’adaptant aux exigences de rentabilité et de compétitivité des entreprises, proposée depuis quarante ans, a échoué !

Comment cela fonctionne ?

 Première condition, s’adresser prioritairement aux personnes les moins « employables ». Mobiliser ces « invisibles » ne se réduit pas à attendre leur demande. Cela nécessite d’aller les chercher en les faisant sortir de leur isolement. Mais aussi, et surtout, de les associer à la co-construction de l’activité qu’elles veulent mener, en fonction de leurs capacités, de leurs souhaits et de leurs compétences.

Seconde condition, ne pas se substituer à des emplois déjà existants ou susceptibles d’être créés. Il ne s’agit pas de faire concurrence à des entreprises pouvant proposer les mêmes services. Les registres de la solidarité, de la sollicitation d’un public non solvable ou d’actions d’intérêt général non rentables financées par les pouvoirs publics sont privilégiés.Si un chiffre d’affaires est possible, ce n’est pas l’objectif premier.

Troisième condition, un emploi rémunéré au SMIC sur la base d’un contrat à durée indéterminée. La logique qui prévaut n’est pas de proposer un tremplin vers le marché classique de l’emploi. Si une telle orientation est toujours possible, elle n’est pas la condition préalable de l’admission. L’objectif est de permettre un retour à la dignité par l’exercice d’un emploi, celui-ci dut-il servir de refuge, sans qu’aucune date de sortie ne soit programmée.

Un comité local pour l’emploi (CLE) coordonnant les acteurs locaux de l’insertion doit préparer bien en amont le dispositif, réalisant un état de lieux, recensant les besoins interstitiels, esquissant des activités pouvant y répondre, élaborant un plan d’action.

L’ entreprise à but d’emploi (EBE) est chargée de la mise en œuvre. Création d’emplois garantissant la qualité de vie au travail. Management participatif faisant la place à chacun. Activités ne répondant pas aux critères de rentabilité, mais à la satisfaction des besoins du territoire et des salariés… Un équilibre instable doit être trouvé en permanence entre la production des biens et des services et l’adaptation de ses conditions d’exécution.

L’impact social

Des subventions publiques viennent compléter les ressources propres de l’EBE. D’un montant de 22 000 euros par an et par CDI, elles dépassent les 16 à 18 000 euros que coûte chaque année le chômage de longue durée à notre pays. Sauf que l’impact humain et environnemental n’est pas toujours monétisable et n’est jamais pris en compte dans la gestion comptable.

Si la préservation, la réparation et la restauration du capital humain représentent un coût, les dégâts qu’elle évite n’ont pas de prix. Les économies peuvent néanmoins être substantielles. Moindre intervention de l’accompagnement social. Accès aux prestations de santé aux conditions du droit commun. Moindre recours aux dispositifs d’action sociale. Amélioration de l’état de santé. Revenus réinjectés dans la consommation locale. Paiement des charges sociales..

Les dérives possibles

La pression peut s’avérer forte, de la part de financeurs d’une recherche d’un équilibre budgétaire, privilégiant les indicateurs économiques de rentabilité plutôt que les critères sociaux. Le choix d’évincer les plus éloignés de l’emploi est toujours tentant. La participation financière des Conseils départementaux devenue obligatoire depuis la loi de 2021, le risque se renforce d’une demande de pilotage priorisant la rentabilité.

La logique ascendante, la plasticité du projet, la nécessaire adaptation à un contexte territorial à chaque fois spécifique sont consubstantielles de ce dispositif. Ce dernier grandit par correction permanente dans une logique apprenante et réactive constante. Attention à une institutionnalisation qui rigidifierait et figerait des modalités qui doivent rester souples.

La période d’expérimentation ne doit pas être écourtée. La généralisation ne doit pas être accélérée. Il faut donner le temps de mesurer les effets pervers et dérives potentielles, afin de réfléchir à la meilleure manière de s’en préserver.

La création de milliers d’EBE ne résoudra pas le chômage de longue durée. C’est aux entreprises et à la société de changer pour faire une place égale en dignité à chacun.

 

 

Jacques Trémintin

 


N’hésitez pas à lire aussi :

1- La machine infernale. Racontez-moi Pôle emploi, Cécile Hautefeuille, Ed. du Rocher, 2017, 194 p. S’inscrire à Pôle emploi, c’est pénétrer une énorme machine qui brasse des millions de personnes, toutes catégories confondues, de millions d’histoires qu’elle n’a ni les moyens ni le temps de traiter au cas par cas.

2- Dictionnaire de l’emploi, de l’insertion et de la formation, Vincent Fuchs Ed. Chronique Sociale, 2011, 672 p. S’atteler à la présentation de centaines de dispositifs, de contrats, d’institutions, d’acteurs et d’instances du secteur de l’emploi, du travail, de l’insertion et de la formation relève d’une tâche titanesque. C’est pourtant ce à quoi s’est attelé l’auteur, pendant plusieurs années.

3- Confession d’une taupe à pôle emploi, Gaël Guiselin et Aude Rossigneux, 2010, Calmann-Lévy, 133 p. Que peut faire un sociologue, bac + 6, chômeur en fin de droit ? Il peut se présenter à Pôle emploi pour devenir conseiller.

4- Va-t-on payer pour travailler ? Valérie Segond, Ed. Stock, 2016, 302 p.,Les employeurs se montrent très créatifs, quand il s’agit d’accroître la part du travail gratuit.

5- La régulation des pauvres : du RMI au RSA, Paugam Serge, Nicolas Duvoux , Puf, 2008,114 p., Le RMI n’est pas encore tout à fait mort, remplacé par le RSA. Est-il néanmoins possible de jeter un regard distancié sur ce que nous sommes en train de vivre ?

6- Oser réussir l’insertion, Catherine Bernatet, éditions de l’Atelier, 2005, 187 p., La succession des dispositifs et des lois d’insertion à laquelle nous assistons depuis trente ans n’a réussi à enrayer ni le chômage, ni la paupérisation.

7- Manager d’insertion, Dominique Rassouw, Syros, 1995, 212 p.La réalité s’impose: mesures après mesures, gouvernements après gouvernements, on ne peut que constater les limites de l’efficacité des multiples dispositifs mis en place pour lutter contre le chômage.

 


Bonus

La grève du chômage : la fabuleuse aventure de Territoires zéro chômeurs de longue durée

L’idée selon laquelle il vaut mieux payer quelqu’un à travailler plutôt qu’à ne rien faire est aussi vieille que le chômage. La question d’utiliser de façon plus active les budgets considérables d’indemnisation des chômeurs est régulièrement débattue depuis que le chômage de masse s’est installé. Le projet Territoires zéro chômeurs de longue durée (TZCLD) a beaucoup fait parler dans les médias. Variante audacieuse de « l’activation des dépenses passives», l’idée est en effet intrigante : recruter des chômeurs de longue durée dans une « entreprise à but d’emploi » (EBE) qui équilibre ses comptes avec une subvention correspondant au montant des aides qui auraient été versées aux chômeurs. (lire la suite de l’article sur le site The Conversation)

 


Photo en une : couverture réorganisée du livre publié par ATD Quart Monde

 

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