Suicides dans la police : une réalité qui met en difficulté le service social du personnel

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Comment ne pas être choqué par les slogans de quelques manifestants « gilets jaunes » qui, samedi dernier ont invité des policiers à se suicider ? Au delà « l’idiotie » d’une telle provocation qui nuit à leur mouvement, c’est un sujet important qui concerne des travailleurs sociaux.  Notamment ceux qui interviennent dans le service social de la police. Comment prévenir les risques de suicide au sein de cette institution ? Le service social du personnel est bien évidemment très concerné.

Le nombre de suicides chez les policiers reste largement supérieur à celui du reste de la population. En France,  les statistiques dénombrent  16 suicides pour 100.000 personnes chaque année, contre 30 pour 100.000 chez les policiers. Sébastien Roché sociologue spécialiste de la police déclare que le phénomène s’explique par la démographie au sein de cette institution. « La structure de la population policière n’est pas la même que la population française » dit-il. « Les policiers sont majoritairement des hommes, âgés de 35 à 55 ans. Or, on sait que les hommes se suicident plus que les femmes, et les personnes de cette tranche d’âge plus que le reste de la population ».  Cette analyse si elle est vraie ne me parait pas suffisante pour expliquer cette réalité sociale.

Le suicide au sein de la police est une réalité  qui vaut autant que pour l »ensemble des suicides au sein de certaines entreprises. Certaines, telles France Télécom, ont eu par le passé à faire face à des managements violents peu à l’écoute de leurs salariés. Or le management au sein de la police n’est pas à ma connaissance maltraitant. Mais quand on est policier, montrer que l’on a des problèmes peut être mal vu de la hiérarchie ou de ses collègues. Quand quelqu’un va mal, il ne le montre pas car cela est perçu comme un signe de faiblesse.

Plusieurs aussi aspects sont à prendre en compte. D’abord les policiers sont eux aussi concernés par les séparations difficiles ou des problématiques familiales lourdes. Leur vie de famille n’est pas simple au regard des organisations de travail qui ne permettent pas toujours de bien concilier vie professionnelle et vie familiale. L’hébergement au sein de casernes ou dans des logements de fonction où les policiers restent non loin les uns des autres n’aide pas non plus à gérer les tensions ou du moins à prendre de la distance avec son travail.

Les policiers, outre les aspects les plus visibles de liées aux missions de maintien de l’ordre, où ils sont souvent critiqués, sont aussi très souvent confrontés à la misère sociale. Ils sont témoins de violences conjugales,  des conflits au sein des familles. Ils interviennent généralement au moment où tout va mal alertés par les proches  ou le voisinage. Or, ils n’ont pas plus de moyens de répondre que les travailleurs sociaux si ce n’est d’opérer des rappels à la loi ou constater des délits. Délits qui seront traités par un magistrat qui décidera (ou ne décidera pas) d’engager des poursuites. Inutile de préciser aussi que, comme dans d’autres institutions, ils sont confronté à une bureaucratie qui les obligent à passer un temps conséquent devant les écrans. Il faut sans cesse rendre des compte et rédiger ne serait-ce que les auditions (mais ça ce n’est pas nouveau).

La confrontation quotidienne à ces tensions sociales dans les quartiers et les familles contribue à une forme d’usure professionnelle, au développement d’un stress professionnel qui peut être pris en compte. « Il existe dans la police nationale un réseau de psychologues de soutien opérationnel. Ceux ci proposent des débriefings post traumatique après les interventions à caractères traumatiques. Ils peuvent aussi recevoir en entretiens individuels les personnels de police à leur demande, que ce soit pour des problématiques personnelles ou en lien avec le travail. C’est un des réseaux des professionnels de soutien avec les médecins de prévention et le service social des personnels.
Cependant, les policiers, en majorité des hommes, ont encore du mal à demander de l’aide » (1) .

Bref, il existe de multiples raison d’aller mal ou de passer par des périodes de mal être. Si cela n’est pas pris en compte, le policier peut tenter de compenser son déséquilibre en faisant appel à des expédients comme par exemple l’alcool qui rappelons-le possède une fonction « anti-dépresseur » bien vite illusoire. Et quand on va mal, souvent on ne s’en rend pas vraiment compte.

Au final, si les policiers sont particulièrement touchés par les suicides « réussis » c’est aussi et surtout parce qu’ayant à leur disposition une arme de service, ils peuvent  passer à l’acte plus facilement. Cette réalité n’est pas sans conséquences sur les pratiques du service social de la police.

Le service social mobilisé sur la question du suicide

Cela fait de nombreuses années maintenant que le suicide au sein de la police mobilise son service social. L’administration est depuis longtemps à l’écoute de cette réalité sociale mais ne parvient pas à y répondre aussi bien qu’elle le souhaiterait. Pour cela, il a été mis en place des procédures qui mettent le service social dans une situation pour le moins paradoxale.

En effet, à l’origine, recevoir un policier ne sera possible que si celui-ci à la garantie que ce qui se dit dans le bureau de l’assistant social n’en sort pas (faut-il rappler que l’assistant social est soumis au secret professionnel ?). Si le policier n’a pas cette garantie, il ne vient pas. Comme dans toute entreprise, il ne souhaite  que sa hiérachie soit informée de ses éventuels problèmes. S’il le souhaite, il sera capable d’en parler lui-même directement. Mais s’il est déprimé, fatigué et usé, s’il doute de son travail, s’il perd tout simpement le gout de vivre, le risque est grand. La responsabiité du professionnel aidant peut être engagée.

Le travailleur social qui intervient auprès du policier en difficulté se trouve dans une situation délicate. A quel moment peut-il ou doit-il évaluer le risque d’un possible passage à l’acte ? Il n’est pas médecin et ne peut que conseiller au policier de consulter. Mais doit-il pour autant informer la hiérarchie lorsque la personne qu’il reçoit lui parait déprimée, ou lorsqu’elle exprime un mal être ? Ce choix d’informer la hiérarchie ne sera pas sans conséquences. Le policier sera alors désarmé. Il vivra alors cela comme une disqualification, une déqualification mais aussi une trahison si il découvre que c’est le travailleur social via le médecin référent qui est à l’origine de cela. En outre cela ne règle en rien son problème initial. Il en a un nouveau car l’institution lui signifie alors qu’il est dangereux pour lui-même et pour les autres. On comprendra que cela lui soit très difficile à accepter.

Comment aider sans risquer de stigmatiser ?

C’est là une question à laquelle il est difficile à répondre. La prévention du suicide est à l’ordre du jour à travers un programme de mobilisation contre les suicides dans la police. Il date de 2018 mais ce n’est pas le premier du genre. A chaque fois c’est un plus grand partage d’informations qui est demandé. Or ce partage ne peut s’opérer que si le risque est bien identifié avec des éléments objectivables. Sinon, nous entrons dans une dimension sécuritaire du risque zéro qui conduit sans cesse à signaler (comme c’est parfois le cas en matière de protection de l’enfance). Cela  peut avoir tout autant de conséquences néfastes ou du moins contre productives. Les policiers concernés risquent alors de se confier de moins en moins pour éviter le risque d’être désarmés.

Dans ce plan il est aussi demandé au service social  « d’accompagner dans la durée les agents fragilisés, par la création notamment d’un guichet unique d’accompagnement des blessés ». La question du guichet unique n’est pas sans défaut non plus : la prévention du suicide concerne tout le monde et la création d’un guichet en quelque sorte spécialisé est une façon de lui déléguer une responsabilité bien délicate à assumer. Mais aucune solution n’étant satisfaisante pourquoi pas ?

Le troisième point concerne la prévention puisqu’il s’agit d’agir sur le collectif au travail  en développant des moments de convivialité et de partage. L’objectif est de faciliter le dialogue et organiser un management de proximité (que l’on ne peut que souhaiter bienveillant) et favoriser la cohésion au sein de l’institution.

Et puis, c’est important, le CHSCT et les organisations syndicales sont pleinement associées à cette série de mesures qu’elles ont majoritairement validé ( je ne sais pas si toutes l’ont fait).

Enfin il avait été annoncé par le Directeur Général de la Police Nationale la constitution d’un groupe de travail sur la question du retrait de l’arme hors service pour les agents traversant des difficultés personnelles. Je ne dispose pas d’informations sur les résultats et les préconisations de ce groupe qui avait vocation à se pencher sur ce sujet vraiment très délicat.

Pour conclure en 2 mots, la prévention du suicide comme ailleurs est nécessaire. Or les travailleurs sociaux sont bien placés pour prévenir les tentatives notamment en développant la prévention. Un chose est certaine. Quand on est confronté à une personne et que l’on pense à ce risque, il ne faut pas hésiter à lui en parler. Elle vous répondra et, si elle y pensait, elle ne sera pas choquée que vous lui en parliez.

Note : si vous travaillez dans la police et que vous disposez d’informations récentes sur ce sujet ou à actualiser, n’hésitez pas à répondre à cet article dans les commentaires afin que je le modifie en conséquence notamment si vous repérer des imprécisions ou des erreurs  (merci à vous)

Photo : issue d’une vidéo postée sur twitter (faits divers 86)

 

(1) ajout à partir du message de Laeticia Leau

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Une réponse

  1. Bonjour,
    Dans la police nationale il y a un réseau de psychologues de soutien opérationnel. Ceux ci proposent des débriefings post traumatique après les interventions à caractères traumatiques.
    Ils peuvent aussi recevoir en entretiens individuels les personnels de police à leur demande, que ce soit pour des problématiques personnelles ou en lien avec le travail.
    C’est un des réseaux des professionnels de soutien avec les médecins de prévention et le service social des personnels.
    Cependant et en effet les policiers, en majorité des hommes, ont encore du mal à demander de l’aide .

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