Élu contre une candidate illibérale qui souhaitait modifier la Constitution, Emmanuel Macron fera-t-il comme un de ses illustres prédécesseurs, Jacques Chirac ? Celui-ci avait déclaré, non sans cynisme, que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Il est nécessaire aujourd’hui de bien regarder ce qu’à promis le candidat désormais réélu Président de la République. En effet à l’heure des fausses informations et des polémiques parfois mal documentées, il parait utile de regarder de près ce qu’Emmanuel Macron avait promis lors de cette campagne du second tour.
Ce qu’a promis Emmanuel Macron pour lutter contre la pauvreté.
La fiche de présentation des actions à engager débute par une évidence : « La lutte contre la pauvreté ne consiste pas seulement à permettre aux personnes fragiles de subsister ». Cela va mieux en le disant et tout le monde est bien d’accord sur ce sujet. » Pourtant quand on examine la liste de ce qui doit être engagé, même les promesses sur la pauvreté sont pauvres ou du moins limitées.
Pour tous, un revenu décent » annonce le premier axe de ce programme. Un revenu décent serait alors le RSA qu’il faut déployer en direction de tous ceux qui y ont droit, (rappelons ce que nous dit la cour des comptes : le RSA [506,46 €. APL déduit] ne permet pas à lui seul de sortir de l’état de pauvreté : 65% des allocataires de minima sociaux vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, soit près de 15% de la population française qui vit avec moins de 1.000 euros / mois.) Il y a aussi une AAH qui sera portée « au-delà 900 €. » avec le même montant pour le minimum vieillesse. Il est aussi promis une augmentation de la prime d’activité qui « correspondra à une somme supplémentaire de près de 80 euros par mois et un gain annuel de près de 1000 euros pour une personne au smic ». Dans tous ces cas, il est prévu un versement social unique et automatique pour lutter contre le non-recours aux aides sociales. (et aussi pour lutter contre les éventuelles fraudes). Rappelons que 600.000 ménages ne perçoivent pas le RSA qui leur est actuellement destiné.
Le 2ᵉ objectif indiqué est de permettre à chacun d’avoir accès à ses droits sociaux avec…
- Un droit effectif à la domiciliation pour les personnes sans-abris, afin qu’elles puissent accéder à leurs droits et notamment aux minimas sociaux.
- Un coffre-fort numérique et l’accès à un cloud solidaire permettant de conserver les documents d’identité numérisés, dont la gestion sera confiée à la Poste.
- Une stratégie d’inclusion numérique, en développant avec les associations et les personnes bénéficiaires des formations aux outils numériques. (pour rappel, c’est déjà en cours)
Le 3ᵉ objectif vise à donner accès aux biens et services essentiels. Avec :
- Le maintien de la loi SRU (Loi Solidarité et Renouvellement Urbain)
- La production de logements sociaux au même niveau et au même rythme que ces dernières années, en concentrant les aides de l’Etat sur les logements aux plus faibles loyers
- La transparence sur l’attribution des logements sociaux mais seulement dans les zones dites « tendues ». (Pourquoi pas partout ?)
- 10.000 places supplémentaires en pension de famille sur le quinquennat.
- Un développement dit « considérable » de l’intermédiation locative (gestion ou location d’un logement du parc privé par une association pour y loger des ménages à faibles ressources). Ce développement n’est pas chiffré.
- Un engagement à ce qu’aucun soin utile ne soit déremboursé pendant les 5 ans qui viennent. Le tout étant de se mettre d’accord sur ce qui est utile ou ne l’est pas.
- Un objectif de 100% de prise en charge, pour 2022, des lunettes, des prothèses dentaires et de l’audition sans augmenter le prix des mutuelles.
- Le financement des actions de prévention « au titre des missions d’intérêt général dans les établissements de santé et des objectifs de performance pour tous les professionnels de santé libéraux ».
- Un service sanitaire de 3 mois pour tous les étudiants en santé : dans ce cadre, 40.000 d’entre eux interviendront dans les écoles, les entreprises, pour des actions de prévention. (oui, c’est bien dans la liste des actions de lutte contre la pauvreté)
Les objectifs pour lutter contre la grande exclusion apparaissent vraiment limités. On aurait apprécié des moyens supplémentaires pour les CHRS et les interventions sociales auprès de ce public en grande souffrance.
Un autre chapitre porte sur l’accès à la formation et à l’emploi. Il est annoncé le projet de former 1 million de jeunes et 1 million de demandeurs d’emplois peu ou pas qualifiés et aujourd’hui sans perspective. La « garantie jeune » sera mise en œuvre auprès de 200.000 jeunes sortis du système scolaire sans qualification. ( Cela parait bien dimensionné et pour rappel cette garantie est une allocation, doublée d’une formation, avec un accompagnement personnalisé et renforcé afin de permettre leur insertion dans l’emploi).
Le dernier objectif vise à associer les personnes pauvres à la définition des politiques publiques qui les concernent. Il est donné comme exemple la participation de leurs représentants au Conseil national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Voilà pour la pauvreté. On le voit, il n’est pas prévu d’augmenter le RSA de façon significative. Il n’est pas non plus annoncé la « déconjugalisation » de l’AAH qui reste sous condition de revenus du conjoint. Aucun autre moyen supplémentaire n’est annoncé pour les CHRS et leurs professionnels si ce ne sont les promesses du gouvernement précédent d’augmenter certains travailleurs sociaux de 183 €. par mois. Une promesse qui devra être tenue par le nouveau gouvernement. (on imagine mal que cela ne soit pas le cas)
La promotion de l’économie sociale et solidaire
« C’est un atout pour faire réussir notre pays » est-il écrit dans une fiche spécifique du programme LREM sur ce sujet : pour Emmanuel Macron, l’environnement fiscal et réglementaire ne permet pas aux entreprises d’insertion de développer toutes leurs potentialités en changeant d’échelle. Adepte des licornes et des start-up qui se développent grâce à des financements de l’État, il propose un modèle similaire avec un « Social BusinESS Act ». (vous apprécierez la formule High Tech). Cet anglicisme se propose de « rassemblera l’ensemble des mesures d’ordre fiscal, règlementaire et législatif permettant d’accélérer la performance économique et l’impact social et environnemental des entreprises de l’ESS, quel que soit leur statut ».
Le gouvernement aura pour mission « d’encourager les coopérations et regroupements qui permettront aux entreprises de l’ESS de s’insérer dans la chaine de valeur et de changer d’échelle. Cela pour répondre à davantage de besoins sociaux et environnementaux, ou pour répondre aux exigences de la commande publique, notamment en termes de volume ». Bref une approche industrielle de l’ESS qui vise à les regrouper pour qu’elles se transforment en groupes dominants à l’image du groupe SOS qui se développe à l’international. Est ce bien de cette forme d’Économie Sociale et Solidaire dont nous voulons ? Business avant tout ?
4 axes sont mis en avant « Libérer l’énergie des entreprises de l’ESS », « Encourager l’innovation sociale », « Soutenir le modèle associatif » et « Encourager la finance solidaire ». Sur le 3ème point relatif au modèle associatif, le programme d’Emmanuel Macron prévoit 3 actions principales
- Réformer le droit des associations afin de redonner aux associations financées par les pouvoirs publics, plus d’autonomie dans leur gestion.
- Imposer un échéancier et des délais maximum de règlement des subventions aux ministères et établissements publics, pour préserver la trésorerie des structures. L’Etat incitera les collectivités territoriales à s’y engager.
- Améliorer l’accès des associations aux financements (prêts, fonds propres) en définissant des méthodes d’analyse de leur solidité et perspectives à moyen terme tenant compte de leurs spécificités (valorisation du bénévolat, de la fidélité des bénéficiaires, de l’ancrage territorial …).
Sur le handicap, il faut espérer quelques changements
Il est prévu de permettre l’accessibilité des transports publics et de la voirie. (Ce qui devrait être fait depuis longtemps, la France ayant été mise à l’index sur ce sujet par les instances européennes) Il est aussi prévu d’accompagner les collectivités locales pour qu’elles fournissent une solution d’accessibilité à leurs habitants, ce qui, là aussi, aurait dû être engagé lors du précédent quinquennat. Enfin, il est prévu d’investir pour faciliter l’accessibilité numérique sans plus de précisions. Il est aussi annoncé un « changement de regard sur le handicap » avec des actions d’encouragement (actions collectives) de sensibilisation (sans les écoles et collèges). Il est aussi prévu la « volonté de favoriser la mise en place de binômes entre personnes valides et handicapées dans les différents lieux de vie (école, travail, ville) ». Enfin, il est aussi prévu de simplifier les démarches pour les personnes en situation de handicap. Tout cela sans chiffrage ni objectifs précis. Ce sont des déclarations d’intention.
Sur l’amélioration de la vie quotidienne, il est rappelé l’augmentation de l’AAH prévue pour passer au-delà 900 € par mois. Il est annoncé l’instauration des évaluations systématiques de la satisfaction dans les établissements médico-sociaux et l’adaptation les règles de tarification des établissements et services médico-sociaux pour permettre une réponse individualisée et le maintien du lien avec les familles.
Les bailleurs sociaux devront identifier les logements adaptés pour les personnes handicapées et les personnes vieillissantes de leur parc. Ils devront proposer des solutions de relogement aux personnes handicapées et vieillissantes dont le logement social n’est plus adapté, ou bien faire des travaux dans ces logements. Mais les bailleurs sociaux n’étant pas le gouvernement, on ne sait quel dispositif l’État mettra en œuvre pour aller dans ce sens.
Plusieurs engagements notables sont prévus en direction de la scolarisation des enfants handicapés. Il s’agit :
- d’encourager la scolarisation en milieu ordinaire des nombreux enfants aujourd’hui sans solution scolaire.
- de donner accès à un(e) auxiliaire de vie scolaire à tous les enfants en situation de handicap qui en ont besoin pour avoir une scolarité comme les autres.
- d’améliorer le parcours des jeunes permettant l’accès aux diplômes, notamment au travers des adaptations numériques.
- d’améliorer la vie des personnes handicapées autour de l’école, par exemple en assurant une meilleure accessibilité des activités de loisirs péri-scolaires, en organisant des séjours de vacances dédiés ou mixtes.
Le 3ème objectif prévoit d’améliorer l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap. il est rappelé à ce sujet qu’en France, il y a 130 000 travailleurs handicapés et 500.000 personnes avec un handicap sont inscrites à Pôle emploi.
- La lutte contre la discrimination sera présenté comme une priorité nationale.
- Il est prévu des fonds publics pour abonder le compte personnel d’activité des personnes handicapées et l’introduction d’une labellisation spécifique pour les formations qui leur sont destinées
- Le tutorat dans l’entreprise doit être favorisé
- Des expérimentations tripartites (Pôle Emploi/associations/organismes de formation) sont espérées pour favoriser l’insertion et la reinsertion des travailleurs handicapés.
Le 4ème objectif porte sur un effort particulier de prévention, sur les soins primaires ainsi que la recherche. Avec notamment des actions incitatives en faveur de l’accessibilité des cabinets médicaux, (qui devrait déjà exister au regard de la loi) de la formation des médecins aux spécificités de l’examen de la personne handicapée.
Le 5ème objectif concerne la situation des aidants. il s’agit notamment de reconnaitre et de permettre le don de RTT entre collègues pour les personnes aidantes dans les entreprises. Autre promesse, la prise en compte la situation des personnes aidantes dans le calcul de l’âge de départ à la retraite dans la réforme qui sera conduite. Il est aussi proposé aux aidants de mieux se former ou d’être accompagnés, au moment de l’annonce du handicap d’un proche et de manière régulière. Et c’est tout !
Le 6ème et dernier objectif renvoie à un chantier transversal de toutes les actions gouvernementales engagées : il s’agit de « Définir de façon systématique des indicateurs d’inclusion pour chacune des politiques publiques menées ». ont promis les rédacteurs du projet présidentiel. Comment ? en partageant, « en amont, des objectifs clairs et précis dans tous les domaines pour mieux évaluer, en aval, l’impact des politiques publiques décidées ». Ainsi, « tout projet de loi (par exemple dans le domaine des transports, de l’emploi et de la formation, des sports, etc.) fixerait des indicateurs d’inclusion en matière de handicap. Il en serait ainsi pour chacune des décisions prises, législatives ou réglementaires ».
D’autres engagements sont déployées dans les divers champs qui traitent de l’Action Sociale notamment sur
- L’action publique et la fonction publique
- Le pouvoir d’achat
- La dépendance
- Le dialogue social
- L’éducation
- L’égalité entre les femmes et les hommes
- L’emploi et le chômage
- Les familles et la société
- L’immigration et l’asile
- Les retraites
- Le travail et l’emploi
Ce sont autant de sujets où les déclarations d’intention sont légion. Un programme qui malgré tout ne fait pas réver et dont certains aspects ne manqueront pas d’interroger le lecteur qui s’intéresse à un domaine particulier.
Photo : capture d’écran issue de la soirée électorale de France 2