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Répondons au SOS de la prévention spécialisée de Poitiers et Châtellerault.

C’est une nouvelle affligeante pour la protection de l’enfance et la solidarité dans le département de la Vienne. Lors du vote du budget départemental du 29 mars dernier, une baisse de 250.000 euros de la dotation annuelle allouée au service de prévention spécialisée de l’ADSEA 86 a été entérinée. Une décision lourde de conséquences pour plusieurs quartiers de Poitiers et Châtellerault, où ce service joue un rôle important depuis des décennies.

Cette décision correspond à la suppression de cinq postes. Cela peut paraitre peu pour les grosses structures, mais c’est toute la prévention spécialisée qui est déstabilisée. Cette baisse de budget correspond à la disparition des équipes sur 3 des 9 territoires.  Environ 400 enfants et familles ne seront plus accompagnés. C’est une partie conséquente du budget de la prev’ qui est ainsi rabotée.

Une décision difficile à comprendre

Depuis 1978 à Poitiers et 1970 à Châtellerault, les équipes de prévention spécialisée sont présentes sur des territoires sensibles, apportant leur soutien à une population en proie à la marginalisation. Les éducateurs de rue vont au contact, sans jugement, et aident les jeunes et leurs familles qui, souvent, se débattent avec leur réalité, explique un professionnel. Ce public a, dans certains cas, rompu un parcours social, scolaire, d’insertion, familial. La problématique de ces quartiers est bien réelle. Il s’y exprime une véritable souffrance sociale.

Bien évidemment, ces professionnels rendent des comptes sur leur activité. Le logiciel Trajet qu’ils utilisent permet de remplir pas moins de 110 critères qui permettent de comprendre le travail engagé et les objectifs visés, tout en respectant l’anonymat des familles. Anne Sophie Souchaud éducatrice spécialisée et syndicaliste explique bien que les professionnels  rendent compte des problématiques des jeunes,  des actions individuelles et collectives engagées, du travail avec les familles et les partenaires. Dans la Vienne, ils soutiennent aussi les assistantes sociales de secteur quand ils aident directement les mères isolées qui ne parviennent pas à utiliser les outils numériques ou sont empêtrées dans des demandes administratives qu’elles ne comprennent pas.

Mais que vaut un tel public aux yeux de certains élus ? C’est en quelque sorte la question que se pose l’intersyndicale Sud santé sociaux / CGT de l’ADSEA. qui a de son côté lancé une pétition : Elle dénonce cette décision estimée comme « immorale » au vu, par exemple, des 180.000 euros alloués au passage de la flamme olympique.

Cette décision de coupe budgétaire est incompréhensible à plusieurs niveaux. D’abord, cette diminution  du budget de la prévention spécialisé est très conséquente dans ce service alors qu’aucun autre secteur du Département ni de l’ADSEA n’est impacté. Cette différence de traitement interroge quand on sait que l’association gère un budget permettant d’employer environ 250 salariés.

Autre incompréhension, le Département annonce avoir augmenté le budget de la protection de l’enfance de 10 millions d’euros cette année. Des moyens conséquents donc, mais qui auraient s’élever de 9 millions 750 mille euros pour préserver la prévention spécialisée. Cela ne serait pas possible au regard de la non-fongibilité des budgets. Pour autant, la prévention spécialisée agit pour la protection de l’enfance.

Un simple calcul montre aussi les conséquences d’une décision de gestion à court terme. En effet, la prévention spécialisée permet par son action de limiter le nombre de mesures d’AEMO et d’AED (mesures judiciaires et administratives). Sa disparition dans certains quartiers de Poitiers et Chatellerault va immanquablement provoquer des demandes d’accompagnements éducatifs dont le coût sera nettement supérieur aux sommes « économisées ». Au final, cette mesure risque de coûter plus cher au Département.

Un métier trop peu considéré, victime d’ajustements budgétaires

Il est désolant de constater que l’on finit trop généralement par mesurer l’impact de la prév’ quand elle n’est plus là explique Anne Sophie Souchaud. En effet, il est toujours difficile de donner à voir tout ce qu’elle prévient et qui ne survient donc pas.

Les acteurs de la prévention spécialisée se revendiquent à juste titre comme étant des acteurs de la protection de l’enfance. Ils n’interviennent pas uniquement dans le champ de la prévention de la délinquance. C’est d’ailleurs ce qui fait l’intérêt de ces métiers. La prise en compte globale de la situation des jeunes est un aspect essentiel qui les conduit à travailler avec les partenaires que sont les missions locales, les maisons de quartier ou encore les services sociaux départementaux.

« Être en première ligne, pour les éducs de rue, ça signifie voir des souffrances et des failles éducatives dans les familles ». C’est aussi comprendre la complexité interculturelle des milieux de vie des habitants. Cela permet de réfléchir aux actes de délinquance avec le public concerné, écouter les récits d’un public vulnérable, victime de harcèlement, de stigmatisation, de violences de toutes sortes. Sans oublier les discriminations…

Dans ces circonstances, par le principe de libre adhésion, par le respect de l’anonymat, les éducateurs sont devenus au fil des ans un repère choisi. Ils le sont « dans une relation de confiance et de faire un chemin conjoint vers des solutions concrètes pour améliorer le quotidien, vers la réconciliation avec le droit commun. »

Les éducateurs de rue, qu’ils soient de la Vienne ou d’autres Départements, agissent dans une logique de prévention. Ils sont de véritables sentinelles qui alertent, qui soutiennent et  évitent les actes de délinquances. Ils savent redonner espoir aux jeunes qui sont souvent déconsidérés et mal perçus. Oui, mais voilà la logique économique

Les aspects invisibles d’un métier pourtant essentiel

C’est un lieu commun de dire que les travailleurs sociaux travaillent très habituellement dans l’ombre. Loin du regard médiatique, de celui des décideurs, ils œuvrent auprès d’une population souvent déconsidérée. Cela explique en partie pourquoi la reconnaissance de leur travail est si difficile à obtenir.

Pendant plus de cinq ans, Evelyne Flachat, intervenante en analyse des pratiques, a accompagné les équipes de la prévention spécialisée en tant qu’intervenante dans leurs dispositifs d’analyse des pratiques. Si aujourd’hui elle n’est plus en contrat avec ce service, elle en parle très bien. En effet dit-elle, les actions de la prévention spécialisée ont un double aspect : un aspect visible, à travers leur présence sur le terrain, les projets menés et les accompagnements proposés. Mais elles comportent aussi un aspect invisible, qui rend parfois difficile d’évaluer l’efficacité et l’utilité de leur travail.

Cet aspect invisible, c’est d’abord la qualité du lien social tissé entre les professionnels et les jeunes. Ce lien est souvent le seul possible pour des jeunes en grande difficulté, le seul « positif » exempt de violence, de pression ou de domination. Cela leur permet simplement de ne pas sombrer, de ne pas se noyer dans l’inhumanité. Cela leur donne aussi de l’espoir, en leur montrant un autre modèle de relation et une fenêtre ouverte sur une vie meilleure.

L’aspect invisible, c’est aussi l’incarnation symbolique des Lois de la République par la présence éducative. Les professionnels représentent la Loi sur le terrain, au même titre que les forces de l’ordre, mais en mettant l’accent sur la responsabilisation des jeunes. Ils confrontent ces jeunes aux risques de la déviance et les accompagnent dans la réflexion sur leurs choix de vie et leurs conséquences. Ils prennent le temps de cet apprentissage, en mettant d’autres mots sur les maux.

Evelyne Flachat explique aussi que dans cette période de montée des violences, ces équipes de terrain me semblent être les derniers remparts de protection, concourant à la sécurité de tous. Ils sont les « hussards » de notre République d’aujourd’hui, pour reprendre l’expression de Jules Ferry à propos des instituteurs du 19ème siècle. Il serait très dangereux de les affaiblir en réduisant le financement de ce service essentiel.

De là provient cette question : Face à une situation de crise sans précédent qui a durement touché la jeunesse et fragilisé les liens sociaux, le département de la Vienne peut-il raisonnablement se passer des missions essentielles de prévention spécialisée ? L’avenir de ces jeunes des quartiers sensibles et des familles les plus vulnérables est en jeu.

Une mobilisation qui s’organise

Les syndicats et les salariés ont prévu de multiples rencontres. Avec les élus de la majorité et de l’opposition départementale, avec les mairies, les associations et plus largement avec aussi la population des quartiers concernés. En effet, il est possible pour les élus de revoir cette décision s’ils le décident : un vote rectificatif du budget est prévu le 21 juin prochain au Conseil Départemental. D’ici là il va falloir les convaincre de l’intérêt de maintenir ce service dans les quartiers concernés.

Une pétition et des appels  vont aussi permettre de sensibiliser plus largement le secteur au-delà les frontières départementales.  Un site internet invite à cosigner un appel à « sauver les éduc de rue de Poitiers et de Chatellerault a été mis en ligne.

Une manifestation est programmée le 29 avril prochain à l’occasion de la réunion publique de la commission permanente du Département. à cette occasion des familles des quartiers concernés tenteront de prendre la parole. Ce qui fait chaud au coeur aussi est le soutien des éducateurs de prévention spécialisés de 15 autres Départements qui ont prévus de venir à cette manifestation. Les éducateurs sont aussi très soutenus par les partenaires locaux, en particuliers les maisons de quartier, CSC et la MLI avec qui ils travaillent de concert sur les quartiers concernés.

Pour autant, cette mobilisation est une étape. Vous êtes invités à soutenir ce mouvement. Comment ?

 

Les éducateurs de la prévention prévention spécialisée de la Vienne ont besoin de votre soutien et je sais qu’ils peuvent compter sur nombre d’entre vous qui lisez régulièrement ce blog. C’est pourquoi je vous invite cordialement à vous engager pour cette cause. N’hésitez pas à partager cette informations dans votre réseau pofessionnel ou dans les réseaux sociaux. Merci !

 

 


La photo en une est issue de la pétition en ligne

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