Pourquoi vous parler de ce sujet en 2021 ? D’abord pour dire que la disparition tragique de 3 gendarmes tué par un homme alors qu’ils tentaient de protéger une femme victime de violences conjugales n’est pas un effet du hasard. Ils sont des victimes d’un homme qui était prêt à tuer sa compagne. C’est en voulant la protéger qu’il se sont fait tirer dessus. Les féminicides sont une réalité en France et dans le monde. En 2020, 26 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon. Ce n’est pas un hasard si ce terme de féminicide est en train d’entrer dans le langage courant. Il est donc utile de le définir et de voir d’où il vient.
Le mot « féminicide » est apparu pour la première fois en 1801, dans, un ouvrage signé John Corry. L’écrivain l’employait pour évoquer le meurtre de son personnage féminin. On l’a trouvé aussi, écrit en italique, dans un article consacré au corset dans l’hebdomadaire Le Monde illustré en 1863. La féministe française Hubertine Auclert l’utilisera en 1902 dans Le Radical algérien à propos d’une loi dite « féminicide ».
Ce terme n’est donc pas apparu récemment mais il a pris un sens plus politique dans le milieu des années 70. La docteure féministe sud-africaine en psychologie sociale, Diana Russell l’a utilisé pour la première fois dans un livre qu’elle a publié en 1975 intitulé « The Politics of Rape« . (Diana Russell est décédée en juillet 2020). À l’époque elle refusait d’accepter la conception selon laquelle l’acte de viol est un acte déviant, plutôt qu’un acte conforme aux idéaux de la masculinité. Cela a contribué à révolutionner la compréhension sociale de ce type de crime traumatique et misogyne dans une société patriarcale où l’homme détient un pouvoir important et excessif sur la femme.
Ce mot est une réponse à un besoin de contester le terme neutre « homicide ». Le but politique de son usage a été de reconnaître et de rendre visible la discrimination, les inégalités et la violence systématique subies par les femmes, qui, dans sa forme la plus extrême, aboutit à la mort.
Selon la définition de Diana Russell, le féminicide s’applique à toutes les formes de meurtre sexiste, c’est-à-dire aux « meurtres commis par des hommes motivés par le sentiment d’en avoir le droit ou la supériorité sur les femmes, pour le plaisir ou des souhaits sadiques à leur égard, ou par l’hypothèse de la propriété sur les femmes »
Des crimes issus de la domination masculine qu’il fallait rendre visibles
Diane Russell et Jill Radford (1992) expliquent que ces crimes se produisent dans le monde entier. Ils sont le résultat d’une violence misogyne extrême et, par conséquent, constituent l’échantillon le plus visible de multiples formes antérieures de harcèlement, de mauvais traitements, de dommages, de rejet et d’abandon. Évidemment il y a ce qui se passe dans les pays européens mais cela concerne aussi les très nombreux meurtres de femme comme en Inde ou au Pakistan ainsi que dans les pays du Moyen Orient ou encore en Amérique du Nord et du Sud. L’exemple le plus connu est celui de Ciudad Juarez, au Mexique. Les chiffres disponibles ne donnent qu’un ordre de grandeur dans un pays où sept femmes meurent chaque jour.
Marcela Lagarde a quant à elle a défini ce mot comme l’acte de tuer une femme uniquement par le fait qu’elle appartenait au sexe féminin, lui conférant également un sens politique afin de dénoncer l’absence de réponse de l’État dans ces cas et manquement à ses obligations de garantie.
Le féminicide, selon cet auteur, est une infime partie visible de la violence contre les filles et les femmes, il se produit comme le point culminant d’une situation caractérisée par la violation répétée et systématique des droits humains des femmes. Leur dénominateur commun est le genre : les filles et les femmes sont cruellement violées pour le simple fait d’être des femmes et ce n’est que dans certains cas qu’elles sont tuées à la suite d’une telle violence publique ou privée (Lagarde, 2005).
On entend donc par féminicide une mort violente fondée sur le genre féminin, qu’elle se produise au sein de la famille, de l’unité domestique ou dans toute autre relation interpersonnelle. dans la communauté ou par toute personne. C’est la Déclaration sur le féminicide du mécanisme de suivi de la Convention de Belém Do Pará (MESECVI) en 2008. Signalons au passage que la Convention d’Istanbul (Conseil de l’Europe) a reconnu en 2011, « les violences à l’égard des femmes fondées sur le genre ». Cette année-là l’ONU a adopté le terme « féminicide ». De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) utilise le mot « fémicide » pour désigner les violences perpétrées à l’encontre des femmes.
Dans notre pays les féminicides sont souvent mis dans la rubrique des faits-divers et présenté comme des « coups de folie » inexplicables et inexpliqués. Or ces meurtres n’ont pas pour cause des problèmes de santé mentale, même si cela arrive parfois. Les auteurs ne sont pas « fous » ou « malades » comme on l’entend encore habituellement.
Les auteurs de féminicides sont « des enfants sains du Patriarcat » et en ce sens ils tuent parce qu’ils le peuvent !! » explique Silvana Martinez présidente de la Fédération Internationale du Travail Social. Elle adhère à la reconceptualisation du patriarcat faite par les féministes communautaires. Elles le définissent le patriarcat comme le «système de toutes les oppressions, de toutes les discriminations et de toute la violence que l’humanité vit et subit (hommes, femmes, intersexes, corps et personnes non binaires) aussi las nature, un système historiquement construit sur le corps de la femme » (Paredes & Guzmán, 2014).
Note : je me suis inspiré de différentes sources pour écrire cet article en traduisant initialement un texte de Silvana Martinez intitulé « Femicides: When you live with the murderer. A reading in times of Compulsory Social Isolation » (Féminicides : lorsque vous vivez avec le meurtrier. Une lecture en temps d’isolement social obligatoire)
Photo : Diana Russel dans les années 70 Twitter @DianaEHRussel (son compte est resté actif après son décès car des messages nouveaux y sont publiés)