Que feront les travailleurs sociaux en 2050 ?

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2050 ! Vingt-huit années nous séparent de cette date que je ne connaitrai sans doute pas. Mais si je regarde 30 ans en arrière, les années 90 et même avant, il reste possible de tenter de mesurer ce qui a pu changer. Nous pouvons aussi repérer certains invariants.

Nous avons été et sommes encore les témoins vivants de cette accélération croissante des innovations technologiques qui, contribuent à provoquer des changements profonds. Mais la question n’est pas là. Que faisait un travailleur social dans la deuxième moitié du XXème siècle, que fait-il encore aujourd’hui et que fera-t-il probablement demain ? Je vous propose là une vision prospective  peu optimiste. En effet, force est de constater que l’évolution du monde du travail n’est pas toujours des plus réjouissants. J’en veux pour preuve ce rapport élaboré par France Stratégie intitulé « Imaginer l’avenir du travail : Quatre types d’organisation du travail à l’horizon 2030 ». Le schéma qui suit nous alerte sur les enjeux dans les années qui viennent

travail en 2030

Dès 2020, nous avions été alertés sur l’urgence climatique, la montée du populisme et la digitalisation de la société. Ces questions n’en sont plus en 2050. Nous n’avons pas su ni voulu réagir à temps ni tenir compte de des alertes incessantes des scientifiques pour modifier nos comportements. Pire même le déni est total, nombreux sont ceux qui ont vu dans le réchauffement planétaire une simple évolution naturelle déniant toute responsabilité de la part du genre humain. Et puis, il a aussi ceux qui considèrent que cela n’existe pas. Les mouvements de population, les « déplacés climatiques » auront créé un certain chaos. Elles permettront la montée des discours populistes et donneront un nouvel écho aux adeptes de la fausse théorie du grand remplacement..

Conséquence, en 2050, les États sont devenus plus autoritaires pour ne pas dire plus. Les outils de surveillance ont envahi l’espace public et grâce aux puces biométriques qui nous identifient « dans notre intérêt ». Il est possible de savoir à tout moment où nous sommes, mais aussi ce que nous faisons. Nos comportements sont identifiés et modélisés. La reconnaissance faciale est là aussi pour repérer les fauteurs de troubles et les étrangers qui ne sont pas clairement identifiés, car le président l’a dit « Il faut à tout prix freiner cette immigration qui nourrit toutes les peurs ».

Certains travailleurs sociaux sont d’ailleurs affectés à cette tâche. Il leur est demandé d’évaluer celui ou celle qui pourra rester dans le pays en fonction de ses compétences présentes ou à venir. Déjà, il y en a qui désobéissent et agissent dans l’ombre et la discrétion. Comme leurs ainés, en temps troubles, ils ne peuvent se résoudre à agir dans cette logique qui trie et catégorise la population. Leur résistance est d’autant plus remarquable que leurs faits et gestes sont désormais inscrits dans des logiciels de données qui modélisent leurs réponses. En effet, pourquoi ne pas confier ces évaluations à des algorithmes qui évaluent les besoins ? Ils existaient depuis les années 2020 et sont dorénavant incontournables. Ils apportent des réponses fiables à 95 %.

Mais il y a ces 5% qui demeurent. C’est un sacré problème : l’humain reste encore imprévisible dans ses choix et ses comportements. Certes, ils ne sont plus nombreux dans ce cas, mais ceux-là prennent un malin plaisir à contredire les prévisions. Celui qui aurait dû tomber malade se porte à merveille. Cet autre dont l’espérance de vie était scientifiquement établie continue de défier les statistiques. Notre population a beaucoup vieilli et la crise de la natalité a creusé la différence.

Les inégalités sont toujours présentes. Elles ont même augmenté de façon conséquente. Elles sont la conséquence des nouvelles formes de taylorisation du travail telles que décrite par le rapport de France Stratégie. Évidemment, il faut toujours plus d’aides spécifiques ponctuelles gérées non plus par les travailleurs sociaux, mais par des algorithmes qui calculent vos droits et les versent en fonction de critères plus ou moins clairs. (c’était déjà le cas dans les années 2020)

1984 v/s 2050

Notre système de protection sociale ne tient plus. Il y a trop de personnes âgées au regard de ceux qui travaillent. Le sujet était tabou en 2020, mais il s’est révélé central quelques années plus tard. Or ces « vieux » surtout les plus fortunés, ne veulent en aucun cas être assistés par des robots comme cela se passe dans les Ehpad où tout a été automatisé. Il leur faut des intervenants sociaux capables non seulement de s’occuper de leur quotidien, mais aussi les stimuler intellectuellement. Il faut un bon niveau pour cela.

C’est pourquoi on a gardé des travailleurs sociaux pour intervenir sur les situations individuelles. C’est un luxe direz-vous. Oui bien sûr, mais l’argent règne en maitre. Tout à un prix et rien n’est désormais « gratuit ». D’ailleurs, il y a dorénavant beaucoup de travailleurs sociaux qui travaillent en libéral, car nombre de leurs missions ont été ubérisées.

Le service public est devenu le service au public. La logique libérale a permis qu’il devienne payant. Pour autant, le besoin de se confier existe encore. Le métier d’écoutant est d’ailleurs bien rémunéré parce qu’il doit garantir impérativement que rien ne sera divulgué, ce qui est depuis longtemps impossible autrement que par le fait de payer correctement celui qui reçoit vos confidences..

Certes, il y a à présent les robots d’écoute, de veille et d’assistance qui visent à prévenir et protéger, mais ceux-là sont utilisés pour ceux qui n’ont pas les moyens de cette présence humaine. Ils sont d’ailleurs gérés par des équipes pluridisciplinaires de travailleurs sociaux chargées de veiller au respect de certains droits et devoirs.

Finalement, rien n’aura vraiment changé depuis ces 30 années. Les techniciens techniciseront, les dirigeants décideront, les sociologues analyseront et quelques autres, dont les travailleurs sociaux qui seront encore là, tenteront de rappeler que l’humain et la relation d’aide et le respect de la vie privée restent des valeurs cardinales. Certains, pauvres fous, brandiront même un antique code de déontologie et parleront d’éthique pour rappeler que l’on ne peut réduire celui qui est aidé et protégé à un objet que l’on mène à sa guise en fonction du coût qu’il représente pour la société.

Oui ce tableau est assez pessimiste. Mais ce qui se passe actuellement avec l’approche technicisite en réponse à la situation très dégradée des services publics – d’aide, de soins, de protection et d’éducation – nous monte l’impasse actuelle dans laquelle nous nous trouvons.

Cela nous invite à réfléchir à une autre voie qui ne pourra pas aboutir que si des changements profonds sont engagés. Et là, je crains fort que nous ne soyons pas prêts à en assumer les conséquences.

 

Note 1. Le lecteur aura sans doute intérêt à prendre connaissance du rapport élaboré par France Stratégie intitulé « Imaginer l’avenir du travail : Quatre types d’organisation du travail à l’horizon 2030 » qui défini 4 scénarios possibles pour l’avenir. Salima Benhamo mai 2017

Note 2. J’avais proposé ce texte à Lien Social qui en a publié une version dans son numéro N° 1282  du 27 octobre 2020, rubrique Paroles de métiers.

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2 réponses

  1. Il est temps que nos dirigeants donnent au Social et aux intervenants sociaux la place qui leur revient dans leurs Politiques publiques. Beaucoup de régimes ont été emporté par la Demande sociale.

  2. En 2050 les professionnels auront perdu leur qualité de travailleurs sociaux. Les problèmes, situations, phénomènes constituant les éléments de la question sociale seront toujours présents. On peut imaginer que des militants agiront et seront peut-être les fondateurs pour un nouveau processus de professionnalisation. Et ce dans un cadre complexe de mondialisation…

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