C’est la question que m’a posé Nathalie Levray, journaliste à la Gazette Santé Social qui vient de mettre en ligne un article intitulé « La crise a soulevé des questions d’éthique essentielles ». Je me permets de reprendre et préciser mon propos sur ce sujet. Aurélien Dutier, philosophe, chargé de mission à l’espace de réflexion éthique des Pays de la Loire a lui aussi répondu aux questions de la journaliste et nos paroles respectives sont mise en parallèle. Visiblement ce qui a prévalu pour le secteur social et médico-social l’a aussi été dans le champ du sanitaire.
La crise sanitaire a bousculé de façon très importante les pratiques professionnelles.
Pendant le premier confinement, le manque d’équipements de protection individuelle a induit des peurs légitimes quant à la propagation du virus. La tension éthique a porté sur la nécessité de se protéger soi-même et les autres et la nécessité qu’il y avait à poursuivre les accompagnements et les suivis, notamment à domicile quand on ne pouvait pas faire autrement.
Des questions (qui ne sont pas toutes nouvelles) ont surgi notamment sur la façon de travailler et des modes de communication utilisés. L’obligation de passer par les outils numériques a mis les travailleurs sociaux face à de nouvelles questions. Le télétravail questionne l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et l’usage de la visioconférence, la suffisance ou non du maintien des liens avec une famille ou un jeune accompagné.
Certes il n’y a pas que les travailleurs médico-sociaux qui ont été confrontés à cette nouvelle réalité mais cela va mieux en le disant. Il est clair qu’en temps de crise, il peut y avoir des difficultés à mettre en œuvre des consignes organisationnelles tout en à prenant en compte des paramètres nouveaux dans la mission du professionnel.
Les principes de précaution, de réalité, de prévention et de responsabilité peuvent être battus en brèche. L’urgence empêche la réflexion et peut conduire à une « pratique réflexe ». Or chaque situation est singulière. Même en temps de crise, il est donc primordial de continuer de se poser des questions, de penser l’accompagnement et de le faire à un niveau collectif avec ses collègues.
Quelle éthique post-Covid ?
La période Covid a renforcé le principe éthique de la responsabilité dans l’intervention. Elle s’est posée de manière intense non sur les compétences institutionnelles mais sur les compétences professionnelles des travailleurs sociaux. Leur capacité à trouver des réponses a été réelle. Globalement les interventions se sont bien déroulées et ont donné lieu à de nombreuses innovations mais le débriefing de ces périodes avec les professionnels reste indispensable pour savoir ce qui doit être gardé ce qui peut poser problème.
Si à la fin du premier confinement, nous parlions tous du monde d’après comme une évidence, la crise qui s’est installée dans la durée nous révèle que désormais tout est mis en œuvre pour retrouver le monde d’avant. C’est aussi la même chose dans le champ de l’organisation du travail. La verticalité des consignes, un certain manque de dialogue avec des décisions qui ne sont pas co-construites, tout cela est fort dommageable. Nous avons pourtant là une occasion de travailler dans une plus grande délégation des responsabilités en nous faisant plus confiance. Il semble que les réflexes anciens aient repris le dessus, avec par exemple la place importante de la logique administrative qui tarde à se réformer.
Apaiser les tensions en donnant sens au travail
Les professionnels cherchent à résoudre les questions auxquelles ils sont confronté en s’appuyant et en réaffirmant le sens et les valeurs du travail social. La réflexion éthique a pour fonction d’apaiser les tensions en donnant du sens au travail. C’est pourquoi il serait important de mettre en place des instances éthiques dans le champ social comme il en existe dans le domaine sanitaire.
Il y a également un énorme travail à effectuer autour de la confiance en direction des institutions. Le Covid19 déstabilise, l’incertitude et les fausses nouvelles rendent beaucoup de monde méfiant. Enfin, le concept de l’intérêt général, bien différent de la somme des intérêts personnels, est à réaffirmer notamment en faveur des personnes les plus exclues de la société. Il faut s’inspirer des pratiques qui produisent une société de l’humain et de l’intelligence collective.
Lire l’article de la Gazette Santé Social avec l’interview de Aurélien Dutier, philosophe, chargé de mission à l’espace de réflexion éthique des Pays de la Loire (EREPL) co auteur de « La liberté d’aller et venir dans le soin et l’accompagnement – Quels enjeux éthiques ? » avec Miguel Jean, janvier 2020, Presses de l’EHESP.
Une réponse
avant l’éthique, avant le faire, il y a la connaissance des réalités, les recherches fondamentales et praxéologiques; or un vent général pousse les institutions, les politiques, les administrations, les professionnels à négliger ces nécéssités, à croire qu’elles ne sont pas utiles, que c’est une perte de temps devant les urgences des interventions; tout semble fait pour réduire la formation à la recherche et la pratique en équipe