C’était hier dimanche 10 septembre la journée mondiale de la prévention du suicide. C’est peu dire si cette question concerne non seulement l’ensemble de la population mais aussi les travailleurs sociaux. Qui n’a pas rencontré dans son travail des personnes désespérées qui envisagent de mettre fin à leurs jours ? Nous ne pouvons pas passer à coté de cette détresse même si elles nous dérange. Il ne faut pas hésiter à en parler. Certaines institutions comme la MSA ont adopté et mis en place un plan national de prévention (2016-2020) car la situation des agriculteurs à ce sujet est particulièrement préoccupante : en France, selon une moyenne basse, un exploitant agricole tente de se suicider tous les 2 jours. Le suicide reste encore un sujet encore trop tabou mais aussi assez mystérieux. Ce fait social est probablement sous-estimée : beaucoup de suicides restent enfouis et ne sont pas révélés.
Les statistiques ont du mal à mesurer ce phénomène. Depuis le début de l’année, pas moins de 1.700 agriculteurs ont fait appel au numéro national d’écoute mis en place par la Mutualité sociale agricole. Mis il n’y a pas que les agriculteurs. Les personnes âgées sont nombreuses également : 50 % des suicidés aujourd’hui ont plus de 55 ans. Le milieu des « seniors » comme on les appelle, serait une tranche de population de plus en plus touchée.
Venons en maintenant aux idées reçues qui ne nous aident pas mais au contraire sont un frein à la connaissance et à la pratique de la prévention :
1 – La « crise suicidaire » serait un processus irréversible que rien ne peut arrêter. Je ne le crois pas. En fait les personnes sont souvent ambivalentes. L’envie de vivre est tantôt rattrapée par l’envie de mourir, et inversement. Les proches, l’entourage, les travailleurs sociaux, professionnel(e)s de santé peuvent permettre d’éviter le passage à l’acte, et ce, même au dernier moment.. Cela ne veut pas dire qu’une personne qui souhaite vraiment en finir n’y parvienne pas. Bref c’est compliqué et paradoxal.
2 – le suicide est un choix : Souvent les personnes sont inscrites dans un cycle de dépression. Leur souffrance est tellement forte qu’elles ne voient pas d’autre solution que de se tuer pour que cesse cette souffrance perçue comme insupportable. Est-ce vraiment un choix lorsque l’on se trouve dans cette situation ? Pas vraiment. Que penser aussi de celui qui se suicide parce qu’il ne se supporte plus lui même après un acte qu’il a posé ? Pour autant, il y a souvent un espoir. Souvent la personne a souvent envie de se « raccrocher à la vie » si on lui en donne la possibilité.
3 – Le suicide est un acte imprévisible. Pas vraiment il me semble : La majorité des personnes suicidées mentionnent de manière directe ou indirecte leur intention. Il existe souvent des signes avant-coureurs, des signaux ou des messages d’alertes, des phrases cachées qui signifient un mal-être ou une envie de disparaître. Si nous sommes en veille, nous pouvons assez facilement les détecter ou les interpréter. Selon Viviane Janouin Benanti auteur de « Suicide : mode de prévention » 80% des « suicidants » ou suicidés donnent ou ont donné des signes. Cela ne signifie pas que les personnes vont dire clairement qu’elles vont passer à l’acte, mais on peut détecter les situations à risque. Ces signes sont bien sûr différents selon les âges de la vie ». Et puis, il y a sans doute 1000 raisons de vouloir un jour en finir avec la vie même si la majorité pense que « cela n’est pas « raisonnable ».
4 – Parler de suicide à quelqu’un peut le conduire à passer à l’acte. Là encore c’est une idée reçue. Au contraire, évoquer la problématique suicidaire avec une personne en mal-être peut la soulager, l’inciter à en parler et à exprimer sa souffrance. Cela lui montrera que ce n’est pas un sujet tabou et peut permettre de rompre son isolement face aux idées suicidaires qu’elle a et qu’elle tente d’exprimer souvent à mots couverts.
5 – Les personnes suicidaire le sont tout le temps : Certes certains d’entre nous ont pu connaitre des personnes qui sont parvenu à se suicider alors que leurs précédentes tentatives avaient échouées, mais ce n’est pas la majorité des situations. Comme la dépression, les envies suicidaires se soignent et la prise en charge par des professionnel(le)s s’avère efficace. De nombreux témoignages de personnes ayant surmonté une crise suicidaire démontrent qu’il est possible de retrouver le goût de vivre.
6 – Il faut être lâche (ou courageux) pour se suicider : Nous sommes là dans le champ de la morale et non dans celui de la raison. Une personne suicidaire est une personne en proie à ses émotions qui sont très stressantes. Au moment du passage à l’acte, la personne n’a pas forcément les idées claires. Elle vivent une situation de crise intense. Certaines personnes veulent lancer un appel et peuvent aussi se tuer « par accident » préférant laisser le destin la possibilité de vivre ou de mourir. Seront-elles ou non secourues , c’est la roulette russe et à ce stade on ne gagne pas toujours. Si personne n’a décelé l’appel, si l’environnement ne réagi pas elles peuvent aussi mourir sans forcément l’avoir vraiment voulu.
7 – Le suicide s’explique facilement. Non pas du tout. Comme l’écrit justement Saül Karsz dans son dernier ouvrage (j’y reviendrai prochainement), cette réalité sociale est complexe et pleine de paradoxes tant du coté du « suicidant » que du coté de l’ « aidant » . La définition du suicide elle même ne va pas de soi même s’il reste utile de pouvoir le définir. Son caractère récurrent et la diversité des situations ne permettent pas de construire une définition simple. Ce fait social nous interroge à un moment ou à un autre de notre existence et reste souvent un mystère pour une grande majorité d’entre nous.
Nous ne pouvons que rester humble face à cette réalité qui s’impose à nous. Les explications que nous cherchons après la disparition d’un proche sont plus souvent là pour nous rassurer. Nous avons besoin d’explications rationnelles. Il semble que des sociétés soient plus mortifères que d’autres. Les raisons de se suicider sont multiples et les raisons de vivre sans doute encore plus. En tout cas l’écoute, l’intérêt de l’autre, l’échange ne peuvent qu’aider les personnes qui envisagent de partir ainsi.
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