Il y a d’abord une évidence, puis viennent ensuite les constats et enfin une analyse tous 3 publiés dans la presse ces jours ci :
1. L’évidence : «L’emploi et le travail ne sont pas en mesure de résoudre les problèmes de pauvreté»
Si c’était le cas cela se saurait et il n’y aurait pas de salariés pauvres. Dans une tribune publiée par le journal « Le Monde », le sociologue Jean-Claude Barbier nous rappelle « qu’aucun gouvernement en Europe n’a vraiment essayé d’éradiquer la pauvreté, malgré les promesses de tel ou tel ministre. C’est la raison pour laquelle tous les systèmes cherchent d’abord à dépenser le moins possible, à simplifier les dispositifs pour faire des économies ».
Ceci dit il met en garde les élus de la nation sur la mise en place d’une politique de lutte contre la pauvreté qui serait similaire à celle qui a été menée depuis 2011 par le Royaume-Uni. Nos élus, indique Jean Claude Barbier, « tablent, depuis le début des années 1990, sur le fait que l’emploi (le travail) peut régler la question de la pauvreté. C’est ce qu’on appelle dans le jargon «activer les pauvres». Le gouvernement, qui a annoncé, en amont de la présentation de son plan d’action contre « les inégalités de destin », envisager un « versement unique » et vouloir « donner la priorité au travail » devrait surtout analyser le fiasco sur ce sujet de la réforme dans un pays orfèvre en la matière, le Royaume-Uni.
2. Le constat considère la gestion des aides sociales présentée comme un « grand gâchis »
Le journal Les Echos publie une tribune d’Etienne Lefebvre qui a lu les rapport remis au premier ministre sur ce sujet. Il dénonce un paradoxe lié à la complexité du système des aides sociales Français : les indus (détectés ou non détectés) représentent 8 % des prestations versées par les caisses d’allocations familiales, soit près de 6 milliards d’euros sur 73 milliards par an. « En même temps », une proportion élevée de personnes ne bénéficient pas des aides auxquelles elles auraient droit si elles en faisaient la demande.
Mais il y a un problème : Tout projet d’allocation sociale unique qui regrouperait les différents minima sociaux, bute sur la nécessité de conserver des barèmes prenant en compte les besoins spécifiques des personnes (handicap, parent isolé, etc.). Les conditions d’obtention des certaines aides comme pour l’APL ou la prime d’activité sont particulièrement complexes. C’est la multiplication des dispositifs et des gestionnaires au fil du temps qui a conduit à cette situation.
3. L’analyse : « réforme des minimas sociaux : il y aura immanquablement des perdants »
Dans l’édition « abonnés » du journal Le Monde, Gilbert Cette, inspirateur du programme économique d’Emmanuel Macron, indique (lui aussi dans une tribune) qu’il n’est pas possible de simplifier les dispositifs sans faire de perdants. D’ores et déjà il annonce la couleur en citant cette équation impossible : réduire la dette de l’Etat et engager les dépenses qui seraient nécessaire pour mettre tout le monde à niveau. « La minimisation du nombre des perdants au changement signifie un alignement des minima vers le plus généreux, et le second objectif de maîtrise de la dépense publique n’est alors pas atteint ».
A votre avis quel choix risque d’être fait au final ?
Gilbert Cette a choisi selon une logique qui se veut implacable
- La simplification, est incontournable : il est l’objet même de la réforme envisagée.
- Les dépenses publiques doivent être maîtrisées, sinon diminuées.
- La minimisation du nombre des perdants, ne pourra donc pas être atteint.
« Il faut l’assumer sans chercher à le cacher », précise-t-il, « ce qui d’ailleurs serait fort heureusement vain, vu les capacités d’évaluation des politiques économiques développées par différentes institutions indépendantes ». Quant à connaitre les impacts de la réforme annoncée sur les plus fragiles, c’est un autre sujet qu’évidemment il n’aborde pas.
Comprenez mon inquiétude, mon désarroi et ma colère à ce sujet
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Note complémentaire :
Que s’est-il passé en Angleterre ?
Jean-Claude Barbier nous l’explique : Une fois la réforme accomplie, plus d’un ménage britannique sur quatre devait toucher un « universal credit »(soit, à l’époque, 8 millions de ménages). Mais les évaluations de cette réforme ont démontré que contrairement aux objectifs annoncés, c’est l’inverse qui s’est produit : « les services sociaux britanniques ont été tenus en échec par l’ampleur gigantesque des difficultés logistiques ». Les politiques d’activation n’ont pas fonctionné alors que se durcissait (comme en France) les contrôles au nom de la lutte contre la fraude (sujet éminemment porteur auprès de l’électorat).
Conséquence aujourd’hui ; en Angleterre la réforme a produit une dégradation des conditions de vie des plus fragiles : les prestations sont servies avec plusieurs semaines, voire plusieurs mois de retard. Les sanctions ont été fortement accrues (il aurait doublé, selon l’universitaire écossais David Webster). Deux tiers des enfants pauvres vivent ainsi dans des ménages dans lesquels au moins un adulte travaille. Le taux de pauvreté des 16-25 ans, 31 %, est une fois et demie plus élevé que la moyenne nationale : un triste résultat qu’il faudrait absolument éviter de reproduire