Didier Dubasque
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Pourquoi et comment prendre en compte nos émotions dans la relation d’aide ?

Voici un ouvrage intitulé « Engager ses émotions dans la relation d’aide » fort salutaire, car il traite un sujet souvent trop peu abordé dans la formation des travailleurs sociaux. La prise en compte des émotions au travail. C’est essentiel, même si parfois il est difficile d’en parler avec ses collègues ou son encadrement. Parler de ses émotions serait pour certains un signe de faiblesse qu’il ne faut pas montrer. Pire, même occasionnellement, c’est le déni complet qui peut conduire à ne jamais ou trop peu parler de ce qui nous touche, nous heurte, nous affecte, mais aussi de temps en temps, nous rend heureux.

Mais la magie du travail social consiste aussi à poser des mots sur les comportements humains, notamment dans la pratique du « care » ce terme anglo-saxon qui s’apparente aux valeurs portées par les professionnel(le)s de l’aide et du soin.

2 assistantes sociales ont franchi le pas en rédigeant un livre fort utile et intéressant publié il y a deux ans. Alexandrine Laizeau et Catherine Galopin proposent dans la collection « savoirs pros » des Presses de l’EHESP un petit ouvrage de 160 pages qui vous sera utile pour comprendre la place que peuvent prendre les émotions dans la pratique professionnelle. Il s’agit d’un livre écrit par des professionnels pour des professionnels. Tout simplement. C’est aussi la force de ce livre qui nous donne à voir de situations cliniques qui ressemblent étrangement à ce que tout travailleur social peut avoir vécu.

« Les émotions aident à vivre »

Il est essentiel pour les professionnels de l’aide de savoir les identifier aussi bien lorsqu’elles sont exprimées par des personnes qu’ils reçoivent que quand ils les ressentent eux-mêmes. Nous ne pouvons pas passer à côté de ce qui nous touche. Le nier s’est s’enlever une outil de compréhension de la situation dans laquelle nous nous trouvons.  Identifier, comprendre et exprimer ce que l’on ressent permet de donner sens à son action.

Dans le 1er chapitre les auteures s’intéressent aussi aux différentes représentations des émotions. Car celles-ci ont été étudiées tant dans des contextes historiques, philosophiques et même scientifiques. Ce chapitre tente de définir et de cerner ce qu’est l’émotion. Il aborde aussi le concept d’empathie.

Le chapitre 2 nous parle de ce triangle si particulier entre le travailleur social, l’institution qu’il représente et la personne accompagnée. Dans certains lieux, ces émotions n’ont pas droit d’être exprimées, c’est même un sujet tabou. On peut même dire qu’elles sont souvent malmenées par les « politiques » et cadres institutionnels. C’est fort regrettable évidemment. Certaines situations, notamment en protection de l’enfance, peuvent provoquer de véritables chocs post-traumatiques. La révélation des maltraitances des enfants en font bien sûr partie.

Le Chapitre 3 aborde les émotions qui surviennent dans la dualité des échanges issus de la relation d’aide. Les assistantes sociales sont en première ligne sur ce sujet, mais il n’y a pas qu’elles. Nous pouvons tous ressentir au travail du dépit, de la colère, de l’insécurité et même de la peur. Peur de l’autre dans ce qu’il provoque tout comme ces usagers qui expriment leur crainte de rencontrer un travailleur social, de « peur d’être jugé ». Les auteures s’attachent à décrypter un sentiment fréquemment ressenti : la culpabilité. Or, nous intervenons dans une société en quête de coupables dès qu’un problème survient. La culpabilité est un sentiment « pénible » dont il faut pouvoir se délester.

«Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde» (Gandhi)

Dans leur conclusion, les 2 auteures plaident pour une prise en considération des émotions  » Quand les émotions sont échangées, entendues et respectées, elles sont le terreau de l’amélioration de la qualité du travail fait. Elles sont le fondement de l’intelligence du métier. Ainsi, c’est dans le partage avec nos pairs que nos émotions prennent sens et deviennent le moteur et le socle des changements nécessaires à la qualité de nos interventions cliniques. Et, de la même manière, ce partage émotionnel et subjectif est utile à la relation avec l’usager pour impulser les changements et développer son pouvoir d’agir » écrivent-elles.

Au passage, un paragraphe m’a plutôt interrogé. C’est celui qui traite des points négatifs sur les femmes qui ressentiraient de façon plus intense leurs émotions que les hommes. Mais il est vrai que je n’ai pas eu à subir des préjugés sexistes sur ces femmes considérées victimes de leurs émotions, diagnostiquées différemment par des médecins : « À symptôme égal, une patiente qui se plaint d’oppression dans la poitrine se verra prescrire des anxiolytiques, alors qu’un homme sera orienté vers un cardiologue. » [1]. En tout cas qui n’a pas entendu cette réflexion.  Quand nous disons « je suis assistant(e) social(e)», il n’est pas rare d’entendre en retour :  « Moi, je ne pourrais pas, je suis trop sensible pour faire ça( il faut être blindé) »Finalement, les travailleurs sociaux et notamment les assistantes sociales ne serait-ils pas champions de la gestion des émotions ?

N’hésitez pas à vous intéresser à ce livre facile à lire et clair dans sa présentation. Je pense que de nombreux travailleurs sociaux auront en tête des situations déjà rencontrées et se retrouveront bien dans ce qui est écrit. Les étudiants auront aussi de quoi savoir à quoi ils peuvent s’attendre dans leur futur travail !

 

[1] Marie Campistron, «  les stéréotypes de genre jouent sur l’attitude des médecins comme des patients », l’Obs, 13 janvier 2018.

Photo créée par wayhomestudio – fr.freepik.com

 

 

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2 réponses

  1. Je vais, bien évidemment, enfoncer la porte ouverte de la réduction des temps de réunions et d’échanges formels : de la réunion d’équipe (dans laquelle on sont évoqués, de plus en plus, de sujets organisationnels que de sujets en lien direct avec le cœur de métier)
    à l’assemblée plus générale (qui souvent vient dicter l’annonce des dernières directives afin de peaufiner la mise en conformité avec la territorialisation- grand chantier du moment- pensée en haut lieu)
    en passant par la synthèse (où le nombre de professionnels se réduit à la partie congrue : référent/cadre/psychologue/ ETS, ortho… si besoin, afin d’optimiser le ratio : public accueilli/taux d’encadrement respecté à minima..
    Mais où et quand abordons-nous la question de nos pratiques, de nos difficultés, de nos limites personnelles du moment, de nos interrogations, de nos désirs et de ceux des personnes accompagnées ?
    L’analyse des pratiques: temps de remise en question, de réflexion, de partage des pratiques et des points de vue différents si ressourçant ?
    Un temps précieux ou un temps révolu ?

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