Pour une définition de la pratique éthique en protection de l’enfance.

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J’ai eu la possibilité d’animer une session de formation sur la pratique éthique dans le champ de la protection de l’enfance auprès de cadres de l’Aide Sociale à l’Enfance qui interviennent dans le Nord, en Normandie et dans la banlieue de Paris. Nous avons tenté de construire ensemble une définition que je souhaite vous soumettre, sachant qu’elle ne prend pas sa source dans le champ de la théorie mais plutôt de la pratique de ces professionnels. Que disent-ils sur ce sujet ?

Ils confirment que la protection de l’enfance est un domaine où les travailleurs sociaux sont régulièrement confrontés à des dilemmes éthiques complexes. La pratique éthique dans ce champ repose sur un ensemble de valeurs et de principes fondamentaux. Ils s’appliquent ou devraient s’appliquer à tous les professionnels qui interviennent auprès d’enfants à protéger et de familles à aider. Ces principes visent à garantir un traitement juste et équitable, assurant ainsi le bien-être et le respect des droits de chaque enfant.

Quels principes fondamentaux pour une réflexion éthique en protection de l’enfance ?

L’éthique en protection de l’enfance s’appuie prioritairement sur les principes de protection, de sécurité, d’accompagnement et de non-jugement. Ces principes, basés sur les droits de l’enfant, visent à garantir leur bien-être et leur sécurité. Ils sont utilisés dans la relation d’aide pour orienter, négocier, proposer et prendre des décisions, en tenant toujours compte de la particularité de chaque enfant et de la singularité des situations. Déclinons ces principes plus en détail : 

Le principe de protection

Ce principe promeut la non-malfaisance. Les professionnels doivent éviter dans leurs actes et décisions de porter atteinte aux intérêts des enfants. Il s’agit de les protéger contre tout risque de préjudice. Par exemple, dans le cas de Léa, une enfant de huit ans soupçonnée de maltraitance, les travailleurs sociaux doivent décider entre intervenir immédiatement pour protéger l’enfant ou attendre pour disposer d’éléments plus concrets, tout en respectant les droits des parents. Ce qui est loin d’être évident.

Le principe de sécurité

Le principe de sécurité implique que les professionnels prennent des mesures adaptées pour évaluer les risques et les vulnérabilités auxquels les enfants sont exposés. L’objectif est qu’ils puissent mettre en place des stratégies pour les réduire ou les éliminer. Cela peut inclure des actions telles que la réalisation d’évaluations approfondies des besoins et des risques pour les enfants et leur famille. Ce principe conduit à la mise en place de mesures de protection pour les enfants victimes de violence, d’abus ou de négligence. Cela peut aussi se traduire par l’élaboration de mesures préventives pour réduire les risques de violence, d’abus et de négligence.

Le principe d’accompagnement

Le principe d’accompagnement implique que les professionnels travaillent avec les enfants et les familles, en les impliquant activement dans le processus de prise de décision et en les aidant à développer leurs compétences et leur autonomie. Cela inclut l’écoute active et la compréhension des besoins et des préoccupations des enfants et des familles, l’élaboration de plans d’action personnalisés, et l’aide à accéder aux services et aux ressources nécessaires pour leur bien-être physique et psychologique. Par exemple, dans le cas de Sylvie, une adolescente de 17 ans confrontée à des violences familiales, l’assistante sociale doit intervenir de manière à protéger Sylvie tout en travaillant avec la famille pour améliorer la situation.

Le principe de non-jugement

Le non-jugement vise à garantir que les enfants et les familles soient traités avec respect, dignité et équité, sans préjugés ni discrimination. Les professionnels doivent aborder les enfants et les familles avec une attitude ouverte et non critique. Ils sont invités à chercher à comprendre leur situation et leurs besoins de la manière la plus objectivable possible en évitant de prendre parti. Par exemple, dans le cas de Bryan, un adolescent de 14 ans d’origine étrangère avec un parcours difficile, les travailleurs sociaux doivent évaluer la situation sans préjugés et chercher des solutions adaptées à ses besoins spécifiques.

Des principes qui rejoignent les recommandations de l’UNICEF

UNICEF France a mis en place plusieurs dispositifs internes pour renforcer la protection de l’enfance, en conformité avec sa politique globale. Ces dispositifs sont intégrés dans diverses politiques, processus et flux de travail internes, et font l’objet d’un suivi continu par un Comité d’audit, de gouvernance et d’éthique.

La charte éthique d’UNICEF France est remise à tout nouveau personnel ou bénévole. Elle décrit les procédures et les comportements attendus pour garantir la protection des enfants. Cette charte inclut une annexe spécifique stipulant que toute personne agissant pour le compte d’UNICEF France doit travailler de manière à respecter les droits des enfants en plaçant leur intérêt au-dessus de toute autre considération.  Elle prévoit aussi de traiter tous les enfants avec respect, sans discrimination tout en respectant leurs différences culturelles et religieuses.

Toute personne agissant pour le compte d’UNICEF France doit se conformer aux principes de la charte éthique. En conséquence, elle s’engage à :

  •  Travailler de façon à respecter les droits des enfants en plaçant leur intérêt au-dessus de toute autre considération ;
  •  Traiter tous les enfants avec respect, sans discrimination ;
  •  Respecter les différences culturelles et religieuses ;
  •  Adopter un comportement approprié en toute circonstance ;
  •  S’assurer que les données collectées concernant les enfants sont conservées de manière sécurisée et en respectant la réglementation sur les données à caractère personnel ;
  •  Ne pas rester seul avec un enfant sans la présence d’un tiers de confiance – enseignant, animateur, éducateur, parent ;
  •  Ne pas initier de contact physique lors d’interaction avec les enfants ;
  •  Certifier n’avoir pas fait l’objet d’une condamnation susceptible de figurer à son casier judiciaire.

 

Je ne sais si les recommandations de l’UNICEF relèvent bien d’une charte éthique. En effet, elles ressemblent plutôt à un règlement interne qui ne laisse pas beaucoup de place à la discussion. Or la pratique éthique est d’abord un processus de délibération qui permet de choisir d’agir de telle ou telle façon pour respecter au mieux des principes établis.

Voici maintenant deux propositions de définitions. Elles ont été construites avec des cadres de l’Aide Sociale à l’Enfance lors d’une session de formation proposée par le  CNFPT, le Centre National de la Fonction Publique Territoriale.

La proposition de définition : (version courte)

  • La réflexion éthique appliquée à la protection de l’enfance se caractérise par un ensemble de valeurs et de principes fondamentaux s’appliquant à tous les professionnels intervenants dans ce domaine.
  • Elle contribue à donner sens à l’action entreprise, notamment face aux dilemmes ou lorsqu’une décision doit être prise.
  • Elle vise à garantir un traitement juste et équitable, assurant ainsi le bien-être et le respect des droits de chaque enfant. Elle s’appuie sur les principes de protection, de sécurité, d’accompagnement, de non-jugement. Ces principes basés sur les droits de l’enfant visent à garantir leur bien-être et leur sécurité.
  • Ils sont utilisés dans la relation d’aide pour orienter, négocier, proposer et prendre des décisions, en tenant toujours compte de la particularité de chaque enfant et de la singularité des situations.

 

La proposition de définition : (version détaillée)

« L’éthique appliquée à la protection de l’enfance se caractérise par un ensemble de principes fondamentaux s’appliquant à tous les professionnels intervenants dans ce domaine. Elle vise aussi à donner sens à l’action notamment face aux dilemmes ou lorsqu’une décision doit être prise. Elle vise à garantir un traitement juste et équitable, assurant ainsi le bien-être et le respect des droits de chaque enfant. Elle promeut les principes de protection, de sécurité, d’accompagnement, de non-jugement. Ces principes basés sur les droits de l’enfant visent à garantir leur bien-être et leur sécurité.

Le principe de protection promeut :

  • La non-malfaisance : les professionnels de la protection de l’enfance visent à pas porter atteinte aux intérêts des enfants et à les protéger contre tout risque de préjudice.
  • La bénéficence : les professionnels  agissent dans le meilleur intérêt de l’enfant, en prenant en compte ses besoins et ses droits.
  • L’autonomie : les enfants ont le droit d’être impliqués dans les décisions qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.
  • La justice : les enfants sont traités de manière juste et équitable, sans discrimination.
  • La confidentialité : les informations concernant les enfants sont traitées de manière confidentielle, sauf dans les cas où la divulgation est nécessaire pour assurer leur protection.

 

Le principe de sécurité implique que les professionnels de la protection de l’enfance aient la possibilité de prendre des mesures adaptées pour évaluer les risques et les vulnérabilités auxquels les enfants sont exposés, et qu’ils mettent en place des stratégies pour les réduire ou les éliminer. Cela peut inclure des actions telles que :

  • La réalisation d’évaluations approfondies des besoins et des risques pour les enfants et leur famille, afin d’identifier les facteurs de risque et de protection.
  • La mise en place de mesures de protection pour les enfants qui ont été victimes de violence, d’abus ou de négligence, afin de garantir leur sécurité physique et psychologique.
  • La mise en place de mesures préventives pour réduire les risques de violence, d’abus et de négligence, telles que des programmes de sensibilisation et éducatifs pour les parents et les enfants.
  • La collaboration avec d’autres professionnels et organisations pour assurer une réponse coordonnée et efficace aux situations de risque pour les enfants.
  • La veille et l’évaluation régulières des mesures de protection mises en place pour garantir qu’elles sont efficaces et adaptées aux besoins des enfants.

 

Le principe d’accompagnement implique que les professionnels de la protection de l’enfance travaillent avec les enfants et les familles, en les impliquant activement dans le processus de prise de décision et en les aidant à développer leurs compétences et leur autonomie. Cela peut inclure des actions telles que :

  • L’écoute active et la compréhension des besoins et des préoccupations des enfants et des familles.
  • L’élaboration de plans d’action personnalisés qui répondent aux besoins spécifiques des enfants et des familles.
  • L’aide à accéder aux services et aux ressources dont ils ont besoin pour leur bienêtre physique et psychologique.
  • La promotion de l’autonomie et de la résilience des enfants et des familles, en les aidant à développer leurs compétences et à renforcer leurs réseaux de soutien.
  • La collaboration avec d’autres professionnels et structures pour assurer une réponse coordonnée et efficace aux besoins des enfants et des familles.

 

Le principe de non-jugement en protection de l’enfance vise à garantir que les enfants et les familles soient traités avec respect, dignité et équité, sans préjugés ni discrimination. Ce principe reconnaît que les enfants et les familles ont des expériences, des valeurs et des croyances uniques, et que les professionnels de la protection de l’enfance doivent les aborder avec une attitude ouverte et non critique.

  • Les professionnels ne doivent pas porter de jugement sur les choix, les décisions ou les comportements des enfants et des familles, mais plutôt chercher à comprendre leur situation et leurs besoins. Cela ne signifie pas que les professionnels de la protection de l’enfance ne doivent pas évaluer les risques ou les préoccupations en, mais plutôt qu’ils doivent le faire de manière objective et impartiale, en se basant sur des faits et des preuves plutôt que sur des suppositions ou des stéréotypes.
  • Cela implique que les professionnels de ce secteur doivent être conscients de leurs propres préjugés et de leurs propres valeurs, et qu’ils doivent travailler à les surmonter pour fournir une aide équitable et respectueuse aux enfants et aux familles.

 

Tous ces principes sont utilisés dans la relation d’aide pour orienter, négocier, proposer et prendre des décisions, en tenant toujours compte de la particularité de chaque enfant et de la singularité des situations ».

Je trouve cette proposition de définition plutôt pertinente. Et vous, qu’en pensez-vous ?

 

Un grand merci aux cadres de l’ASE qui ont participé à ce travail de formalisation

 


Photo : avatarfreepik

 

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